L'Algérie de plus près

LA VALLEE DU CHELIF ACCUEILLE LA LITTERATURE ALGERIENNE

OEUVRES EN PARTAGE : LE RECUEIL DE JACQUELINE BRENOT

                    PAR DJILALI BENCHEIKH

Notre ami et confrère Djilali Ben cheikh nous a quittés aujourd’hui. L’écrivain et journaliste originaire d’El Attaf avait 80 ans. Voici un article qu’il a publié sur le journal Le Chélif à la sortie du premier recueil de chroniques littéraires de Jacqueline Brenot.

Les Presses du Chélif inaugurent leur parcours éditorial avec une œuvre originale, vivante et multiple consacrée à la littérature algérienne et à ses diverses vibrations. Ces « Œuvres en partage »- le titre du recueil- on les doit à Jacqueline Brenot qui est devenue incontournable au Chélif depuis quelques mois. Écrivaine et plasticienne, l’ancienne prof a irrigué régulièrement l’hebdomadaire de ses chroniques littéraires où l’on croise tout ce qui se fait de mieux dans la créativité algérienne contemporaine. Depuis la décennie de terreur des années 90, on assiste en effet à une profusion éditoriale inégalée, comme si la peur et le non-sens de ce gouffre historique avaient libéré des plumes avides.

Dans cette frénésie d’écriture, se croisent diverses générations qui ont succédé à celles de DIB, Kateb Yacine et Assia Djebar, puis de Mimouni et Djaout, avant de voir l’éclosion de talents comme Kamel Daoud et Akram Belkaïd, les journalistes écrivains, puis de jeunes pousses explosifs comme  Kaouther Adimi ou Amina Mekahli. Entre les deux âges s’insinuent, avec un talent sûr et régulier, les romanciers de l’émotion et de l’intrigue comme Maïssa Bey ou Yasmina Khadra. 

On y retrouve également les auteurs de la vallée, comme le somptueux romancier de l’absurde, Mohamed Magani et l’homme à l’imagination profuse, Rachid Ezziane. On peut aussi lire l’auteur de ces lignes à plusieurs reprises, notamment à propos d’un ouvrage sur Mohamed Boudia, l’homme de théâtre et révolutionnaire pro palestinien assassiné par le Mossad en 1973. Comment ne pas citer l’humble poète et prosateur des lieux, Abdelkader Guerine qui nous offre avec doigté une évocation d’Eberhardt avec un titre prometteur : « Le bédouin d’Isabelle » ou les Roméo et Juliette du désert : sa mission, « Écouter le silence..observer le vent…, admirer,… sentir… »

Jacqueline Brenot n’a pas omis non plus ceux qui ont traversé la mer sans oublier le pays natal, un pays qui parfume toutes leurs pulsions littéraires. Jeanne Benameur ou Catherine Belkhodja, ancienne du lycée Descartes à Alger, qui met en scène des textes de Areki Metref, poète et dramaturge, Farid Mammeri ancien de la Chaîne 2 et plasticien de beauté, Azouz Begag, le gone du Chaâba et de Sétif qui propose un texte émouvant de tendresse sur les chibanis et sur son père que la maladie de l’âge a ramené à la condition tremblotante d’un enfant.  Peut-on ignorer la druidesse des lettres, Leila Sebbar qui nous fait don d’une très belle parabole sur la mémoire et l’exil. Dans Le silence des rives, l’homme qui marche n’en finit pas de déplier sa mémoire et revivre son exil jusqu’à la chute finale.

Dans cette galerie de l’intime, l’auteure a invité aussi ceux qui comme elle, sont issues de familles françaises, mais dont le coeur et la plume ont toujours vibré pour Terre Algérie. Joseph Andras avec « De nos frères blessés », ou  le regretté Jean-Luc Einaudi, inlassable historien qui a débusqué les mensonges historiques de la bande à Papon, le préfet qui supervisé  le massacre parisien  du 17 octobre 1961. Hommage est rendu au célèbre architecte « éclectique » André Cazalet, renommé avec son équipe pour ses « Tours aux totems » de Diar Essaada et Diar El Mahçoul. Cazalet est aussi connu pour le Lafayette, l’immeuble phare de l’époque et qui domine la baie.

Brûlée par l’histoire contemporaine, Jacqueline Brenot prend totalement partie pour les anciens colonisés, comme le fit sa famille et notamment son père. Cet ancien pilote de la Résistance en 40/45  s’est opposé pied à pied aux sbires de l’OAS qui ont attenté à plusieurs reprises à sa vie et à celle de sa famille à la fin de la guerre d’Algérie. Pour lui rendre hommage, tout a commencé par une nouvelle écrite fiévreusement sur une journée à Bérard (1) que le Chélif a accepté de publier. Un moment de paix dans un lieu paradisiaque en 1986. Puis, cette affamée d’Algérie s’est accrochée et a proposé au journal des lectures inoubliables de ces textes qui éliminent les frontières. Il en est ainsi de Sadia Tabti et sa bouteille à la mer… une jeune algéroise recueille sur la plage de Tipaza une bouteille lestée d’un message. Son auteur Henri a lancé son flacon depuis un rivage de France. Quelques mois plus tard, les deux jeunes gens entament une correspondance fébrile sur le parallélisme de leurs histoires communes. La répression des Communards qui rejoignent en 1871 les révoltés d’El Mokrani dans les bagnes de Nouvelle-Calédonie, voila une allégorie sur ces deux peuples que les manipulateurs de l’histoire cherchent toujours à diviser. Les enfants de la Commune de Paris rejoignant les héritiers d’Abdelkader déportés : le thème avait été abordé par Anouar Benmalek, dans son somptueux roman « L’enfant du peuple ancien » paru en 2000 chez Fayard.

 Les femmes ne sont pas les plus nombreuses dans ce recueil. Cette absence statistique est compensée par une éloquente puissance d’évocation, une énergie et un style de feu qui permettent à la littérature féminine d’exploser les murs de la stérile retenue moralisante. « Les femmes ne meurent plus d’amour » nous dit, dès le titre, la plus prolifique d’entre elles. Ahlem Mostaghanemi monopolise depuis vingt ans les palmarès de vente au Moyen-Orient. Elle continue son chemin de liberté en démontrant qu’une belle romance n’est pas antinomique d’un esprit libre et imaginatif. C‘est le cas de « Hiziya », le fastueux roman de Maïssa Bey. 

Les femmes ne meurent plus, mais les écrivains peuvent s’éteindre. L’incomparable Nourredine Saadi nous a quittés en décembre 2017 avec un héritage inoubliable. Son ultime roman, « Boulevard de l’abîme » chez Barzakh, interpelle, nous dit l’auteure,  « par ses questionnements sur l’identité, l’État civil, l’absence, le sens de la vie et de la mort ».

Jacqueline Brenot, dans sa préface, résume ainsi le sens intime de cette gerbe de plumes : «  L’intrusion dans l’intimité des personnages et l’appropriation de leurs situations, ressemblent souvent à des voyages vers l’altérité et à des nostalgies de terre natale. »
Ce livre est un carnet de bord, alors levez-vous Ulysse, Ibn Battouta, Du Bellay, Rimbaud, Kerouac et tous les écrivains de l’exil, Kateb ou Feraoun, Dib ou Mammeri !… Saluez cet hommage qui vous est rendu et merci à l’équipe du Chélif qui a travaillé d’arrache-pied pournous offrir cet ouvrageunique, par sa conception et son contenu.
Cela s’appelle : « Œuvres en Partage. Chroniques culturelles du Chélif » de Jacqueline Brenot. Editions Les presses du Chélif (2018).

D.B

(1) AIN TAGOURAIT

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