Par Mohammed KOULAL*
Nonobstant les directives et instructions du pouvoir politique afin de mettre fin à la bureaucratie qui gangrène la vie du citoyen en plus des entraves – souvent voulues – qui freinent les investissements productifs dont a tant besoin le pays, l’administration s’éloigne de sa mission en tant que service public.
Tenue de s’adapter à la conduite des affaires administratives aux décisions du gouvernement et veiller à l’amélioration de la qualité des prestations de services publics au profit du citoyen, l’administration traîne des pieds pour se mettre à niveau. En effet, nous constatons de nos jours, un énorme fossé qui sépare l’administration du citoyen. Nombre de concitoyens considèrent que nous n’avons point d’État mais des administrations qui n’ont font qu’à leur tête. Ce que nous appelons raison d’État, c’est plutôt la raison des bureaux. On nous dit que cette raison est auguste. En fait, elle permet à l’administration de cacher ses fautes, voire les aggraver.
Pour traiter du thème relatif à l’administration, considérée comme la rotule de tout système politique, je n’ai pas trouvé mieux que l’analyse faite par Vincent Wright, historien, politologue, philosophe et administrativiste que Guy Braibant a évoqué lors d’une conférence. Aussi, par rapport aux diverses recherches relatives à l’amélioration de l’administration, nous demeurons en fait sans administration. En effet, des chercheurs luttent pour l’amélioration de l’administration, de son mode d’organisation et de fonctionnement. Il ne s’agit pas d’élaborer un modèle unique d’administration publique valable pour tous les pays, nonobstant l’existence des tendances à l’uniformisation des administrations publiques qui a échoué du fait de la diversité des évolutions historiques, des traditions nationales, des niveaux de développement économique, social, culturel de chaque pays.
Nombreux sont les pays ayant accédé à leur indépendance et auxquels on a essayé d’appliquer des modèles prétendus universels (le mimétisme administratif) ont subi des ravages qui se perpétuent à ce jour. La responsabilité en est partagée entre les États qui ont accordé leur « aide » pour appliquer des modèles d’administration prétendus performants et ceux censés en être les bénéficiaires. L’on a saisi cependant que ce qui était bon pour les grandes puissances ne l’est pas forcément pour les autres pays, de même qu’une transposition mécanique d’institutions étrangères peu donner des résultats autres que ceux souhaités.
Des modes similaires dans les pays performants
Malgré leur diversité, on constate chez les pays développés un rapprochement des modes de fonctionnement administratives en raison des progrès techniques à même de faciliter les échanges tout en induisant des méthodes identiques. Ce concept est méconnu dans les pays où la bureaucratie est installée dans les rouages de l’État, provoquant une lenteur dans le processus économique lato sensu et un frein à toute innovation des valeurs évolutives pour une finalité d’intérêt général : respect du droit, principe de la responsabilité, exigence de l’efficacité et enfin charte des droits de l’Homme, et cela dans le seul souci « d’un droit à une bonne administration ».
Mais le différend théorique demeure toujours vivace entre partisans du « moins d’État » et ceux du « plus d’État », ce qui, aux yeux des spécialistes de l’administration (administrativistes), est considéré comme un faux problème. Pour ces derniers, les fonctions de l’État ont atteint une sorte d’équilibre, quelle que soit l’idéologie dominante. Aucun ne pense à une société fondée sur le « tout État » ni à une autre dépourvue d’administration. Aucune puissance ou pays émergent ne souhaite que les administrations gèrent directement des activités de production ou de service car l’État-gérant est synonyme de bureaucratie et de lenteurs administratives. Il serait donc urgent de passer de ce type d’État à celui d’État-garant. Cela veut dire que l’État n’est pas le mieux placé pour fabriquer des produits et les vendre mais son rôle relève de la protection des citoyens et des biens particulièrement en période de menace interne ou externe.
Du rôle régalien et régulateur de l’État
Il n’en demeure pas moins que le premier concept de l’administration est la notion de « l’intérêt général » ou « intérêt public » qui est à la fois la justification et la limite, la notion « de respect du droit » s’y ajoute dans les temps modernes. L’État ou les administrations publiques qui détiennent la force publique sont chargés de faire respecter la loi et de la respecter eux-mêmes. Mais peut-on imaginer que l’État respecte la loi que lui-même a créée ? La soumission de l’État et de ses agents aux règles de loi et au contrôle des tribunaux a été qualifiée de miracle. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’État de droit, c’est-à-dire un État qui respecte lui-même le droit lequel est spécial : le droit administratif appliqué par les juridictions administratives. Ce droit et ces juridictions tiennent compte des finalités d’intérêt général et des exigences qui en résultent en ce qui concerne le statut des fonctionnaires. Les administrations sont responsables des dommages qu’elles causent par leurs actions ou inactions, les fonctionnaires sont responsables de leurs fautes ; les uns et les autres doivent rendre compte de leurs actes et leur gestion au pouvoir politique et à l’opinion publique. Mais nous constatons que notre société a subi un endoctrinement dans le sens où l’on a fait prévaloir le fait que « le roi ne peut mal faire », que « le roi ne peut répondre » car « tel est notre bon plaisir ».
Le rôle de l’administration publique est la recherche permanente de l’efficacité, à savoir fournir aux citoyens le maximum de satisfactions avec le minimum de coût ; et non une administration de routine, de gaspillage et de lenteurs, synonymes de bureaucratie. Cette dernière, devenue comme justificatif à tout acte administratif, a mis à genoux les plus enthousiastes des investisseurs ou des chercheurs. En un mot, des compétences victimes de la bureaucratie.
De l’art de gouverner
Platon considérait le fait de gérer la vie publique des citoyens relève de l’art en ce sens que l’honnêteté et la compétence chez le fonctionnaire doivent être permanentes. Sans cela, la corruption administrative demeurera l’un des maux les plus graves de notre société, elle trouve sa source dans les entreprises privées et est encore plus grave quand elle infecte le secteur public qui ne doit être animé que par le seul intérêt général. C’est pourquoi l’honnêteté doit être une vertu qu’on doit exiger à tout fonctionnaire.
En aucun cas, l’administration ne doit se substituer au pouvoir politique pour définir les orientations de la société, elle est subordonnée aux instances politiques qui procèdent à l’élection. Elle doit contribuer au maintien des valeurs et au respect des règles mais elle n’est pas chargée de les définir. Ainsi, sa neutralité et son impartialité doivent être transparentes vis-à-vis de l’opinion publique et agir dans le sens de l’intérêt public. C’est cet intérêt public qui a « enfanté » la puissance publique nantie à l’administration. À ce niveau apparaît le concept de la décentralisation où le pouvoir lègue certaines décisions à caractère urgent à l’administration locale considérée comme plus près des citoyens lesquels sont représentés par des élus (APC, APW). Les citoyens ne peuvent plus supporter les affres de l’inégalité, particulièrement en matière d’infrastructures : routes, écoles, centres de santé etc. Les besoins urgents pour la satisfaction desquels le pouvoir a réservé des budgets propres à la région pour remédier aux lacunes qui en découlent. Subventionner une équipe de football au détriment d’un axe routier dont l’entretien aura des résultats socio-économiques positifs relève purement et simplement de la démagogie pour ne pas dire que c’est de « la poudre aux yeux ». Il est impératif de prévoir une administration « participative » allant dans le sens de l’affirmation de la démocratie où le citoyen aura le droit de proposer, d’exiger, de contrôler et d’assister à toute adjudication quel que soit le projet dans l’intérêt de la société. Et ce n’est que de cette manière que la confiance entre administration et citoyen sera établie. La participation des citoyens et l’intervention de la société civile doivent se combiner avec la professionnalisation des fonctionnaires, elles ne doivent pas entraîner une baisse de la qualité de l’administration ou un ralentissement de ses procédures, ni faire de celle-ci un champ de conflits entre des intérêts particuliers, ni substituer des rapports de force aux rapports de droit ; la primauté de l’intérêt général doit garder toute son importance dans la définition des finalités et dans le mode de gestion des administrations publiques.
Le bien-être des citoyens doit être la première mission de tout responsable surtout celle de l’administration locale qui doit s’ériger en bastion des aspirations des communautés, pour être la sentinelles des rêves des citoyens. Les villes doivent être inclusives, résilientes et durables. Les responsables locaux sont responsables, par leur engagement vis-à-vis des services publics, de travailler pour le bien-être des citoyens. Tel est le rôle de l’administration : réaliser le maximum avec un coût minimum dans le but de rendre le citoyen heureux car « toutes les familles heureuses se ressemblent mais les familles malheureuses sont malheureuses à leur manière », disait Tolstoï.
Pour le moment, le bras de fer entre l’administration et le citoyen demeure toujours prégnant. Seules la compétence et l’honnêteté pourront faire entrevoir des solutions durables.
M. K.
*Avocat à la Cour de Relizane
Agréé près la Cour Suprême et le Conseil d’Etat
One thought on “Administration, bureaucratie et droits du citoyen : à quand le sursaut de l’Etat ?”
Bon courage monsieur koulal