Auteur de l’ouvrage « Agriculture algérienne : entre progrès et regrets », Ali Kader est expert agronome. Dans cet entretien, il revient sur les mesures à prendre pour pallier les cycles de sécheresse que connait notre pays et qui sont très préjudiciables à son agriculteur. Il relève le rôle primordial de l’État dans l’atténuation des effets des changements climatiques et la nécessité de repenser notre système de gestion de l’eau. Ecoutons-le.
Quel est le lien entre changement climatique et sécheresse ?
Le changement climatique ne veut pas dire nécessairement sécheresse. Il se peut que ses mutations, selon les latitudes, engendrent plus ou moins de tempêtes, d’ouragans, de pluies, de neiges. Pour le cas précis de notre pays, déjà connu par son aridité, ce changement provoque non seulement des sécheresses mais est aussi à l’origine de pluies violentes, espacées et localisées, avec souvent des dégâts aux cultures et aux installations. On est loin des standards anciens des quatre saisons. Le dessaisonnement s’est traduit par des dérèglements préjudiciables. Les saisons, notamment l’été et l’automne, caractérisés par des températures caniculaires, sans précipitations, s’étalent plus que de raison. L’hiver et le printemps, jadis généreux, ne procurent plus une pluviométrie satisfaisante pouvant maintenir un taux d’humidité adéquat dans l’air et dans le sol afin d’assurer le bon équilibre végétal devant favoriser la croissance des cultures, notamment les céréales sensibles à des périodes précises de leur cycle.
Le stress hydrique pèse sur plusieurs régions du pays. Quelle stratégie pour sauver les champs déjà emblavés ?
Le stress hydrique n’est pas nouveau. Il a de tout le temps existé. Les disettes aussi ne sont pas nouvelles. Les différents écosystèmes que recèle notre pays avec son régime agricole pluvial sont là pour le prouver. Si pour le sud la solution est toute trouvée avec l’utilisation de l’immense nappe albienne qu’il faudra préserver, il est tout autre pour les autres régions frappées de plein fouet par le manque de pluie, notamment l’ouest, la steppe et les hauts plateaux. Les quantités ont drastiquement régressé. Pour le nord et l’est, les pluies intermittentes et les neiges, loin des quantités habituelles, maintiennent un semblant d’agriculture fragile et n’arrivent pas à remplir les barrages.
Pour ce qui est déjà emblavé, notamment les céréales, pour la campagne actuelle, avec un minimum de pluviosité, il est possible de sauver ce qu’il est possible de sauver en s’attelant à appliquer un itinéraire technique des plus rigoureux. Pour ceux dont la ressource est prouvée, il est conseillé d’accélérer la mise en place des équipements adéquats. Les indemnisations à la volée que l’État, dans son immense générosité, apporte, ne peuvent en avance manière être un palliatif adéquat.
Pensez-vous que l’irrigation d’appoint est une solution pour les agriculteurs, sachant que la nappe phréatique connaît un rabattement terrible ?
L’irrigation d’appoint était la solution idéale. Elle l’est toujours dans les régions qui sont sujettes à un minimum de pluviosité. Sinon, on se dirige vers une irrigation totale comme cela se passe au sud. Effectivement, le rabattement des nappes phréatiques induit par le manque de chute de pluies pose des problèmes sérieux comme la déstabilisation des couches inferieures, la salinisation des sols pouvant conduire à terme à l’inculture des terres. Les pouvoirs publics en sont conscients et s’attèlent à protéger les milieux sensibles.
Quelle lecture faites-vous au sujet des mesures prises par le gouvernement pour faire face à la rareté de l’eau, et le déficit pluviométrique ?
Les dernières décisions prises quant à la multiplication des unités de dessalement et la réutilisation des eaux usées sont à saluer. Mais cela presse, il faut que ces décisions se traduisent vite sur le terrain car il est question de remettre en branle toutes les stations d’épuration et d’en doter certainement les villes qui n’en possèdent pas. Le lagunage, dans les grands espaces, au sud, dans les hauts plateaux et la steppe, peuvent se réaliser à moyen terme. En 2020, le pays aurait produit 1 120 hm3 d’eaux usées. Ce qui pourrait irriguer une surface de plus de 200 000 hectares. Ce qui n’est pas négligeable.
En tant qu’expert et spécialiste en agronomie, quelles solutions préconisez-vous ?
Parmi les solutions préconisées, il y a lieu de citer les plus importantes. À court terme, il est primordial, voire vital d’économiser les ressources hydriques, de les utiliser à bon escient et d’éradiquer les systèmes d’irrigation obsolètes. Ce à quoi s’attèlent les pouvoirs publics en facilitant les procédures de forage et surtout en maintenant les aides pour la mobilisation de la ressource hydrique et l’utilisation des équipements économiseurs. Il faut que ceux qui ne s’inscrivent pas dans cette logique économe prennent leur part de responsabilité. Ensuite, s’atteler à mettre en œuvre le programme de recyclage des eaux usées, une ressource importante et pérenne qui va en augmentant. Enfin, si l’on veut se défaire définitivement de l’insécurité alimentaire, ne plus être dépendant d’un climat versatile à souhait, il est temps de concevoir des autoroutes de l’eau à travers les hauts plateaux et la steppe et ce, en ayant recours à l’énergie solaire et aux unités de dessalement. De toutes les façons, les prévisions scientifiques ne sont pas faites pour nous rassurer, elles ne nous laissent pas le choix. Rêve ou lubie ? N’est-il pas temps de penser à de vrais grands projets pouvant mettre à l’abri les générations futures ?
Propos recueillis par Mohammed Medjahdi
2 thoughts on “Ali Kader, agronome : l’Algérie a besoin des «autoroutes de l’eau» pour faire face à la sécheresse”
Merci pour cette précieuse publication
Effectivement vos solutions sons Spécifiques
Mesurables ambitieuses et réalisables dans le temp.bonne continuation
Une excellente mise au point. Merci Ali Kader d’avoir souligner l’urgence de l’action de l’Etat, quoique ce dernier a tiré la sonnette d’alarme et a commencé à prendre les mesures qui s’imposent.