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Yennayer à Tlemcen : une tradition ancrée dans les mémoires

Le 12 janvier, décrétée journée chômée et payée, prouve l’intérêt de l’État Algérien à préserver et promouvoir la langue amazighe. Yennayer est fêté en Algérie par l’organisation d’expositions de produits agricoles et produits de terroir, entre autres les fruits secs, l’huile d’olive, les gâteaux et les plats culinaires traditionnels, la poterie, les produits artisanaux mais également des galas et des conférences scientifiques.

À Tlemcen, plus exactement à Beni Snous, une parade donne le ton à cette manifestation, où des troupes folkloriques se produisent dans la rue, donnant une ambiance particulière à cet événement.

La soirée, quant à elle, est réservée au carnaval d’Ayred. L’originalité de cette fête champêtre, qui tire ses racines du fin fond de nos coutumes et croyances les plus lointaines, réside dans son authenticité. Elle est le patrimoine collectif et l’expression d’une identité millénaire.

Le carnaval s’inscrit également dans l’esprit de la solidarité communautaire. Le carnaval, qui est célébré avec faste marque le nouvel an amazigh.

Ce carnaval est fêté pendant les nuits du 11, 12 et 13 janvier de chaque année, qui coïncide avec la nouvelle année du calendrier berbère, dans les villages des Béni Snous, notamment Khemis, Ouled Moussa Ouled Arbi, Beni Achir et Beni Zidaz.

Ce carnaval reste cette tradition qui marque le nouvel an berbère mais aussi celle de l’année agraire, où les préparatifs se font pendant une semaine ; avec la mise en place des déguisement et des costumes ainsi que les répétition de ce spectacle par les comédiens.

À Béni Snous, le Naïr (Yennayer) se fête avec un évènement venant de la nuit des temps : l’Ayred

Le retour aux sources

En fêtant Yennayer, on fait revivre l’histoire, on adhère à des croyances, on perpétue des traditions séculaires. Il s’agit d’une façon de dire notre attachement à cette culture et à cette civilisation millénaire. Et pour cause, toute culture entretient ses mythes fondateurs qui sont nécessaires à sa survie. Ils finissent par donner des repères aux porteurs de la culture en question.

Dans ce sens, l’écrivain et homme de théâtre Mustpha Nedjai estime que Yennayer est un « déclic » pour un retour à la terre nourricière. Il souligne que le carnaval d’Ayred n’est autre qu’une des formes para-théâtrales en Algérie.

Selon lui, « le retour aux sources » en tant que recherche de toutes les expressions du passé,  demeure comme une remise dans la mémoire collective de vieilles traditions oubliées, parce qu’exterminées par de multiples colonisateurs. « Nous l’avons compris comme une évolution critique de l’héritage culturel. En plus, l’état de la réflexion sur l’histoire du théâtre algérien restait marqué par des limites n’allant pas plus loin que des descriptions formelles du conteur (Goual), le Garagouz (le théâtre d’ombres), le théâtre populaire du 19 siècle et ce, sans investir de manière systématique dans des périodes plus anciennes de type para-théâtral », résume-t-il.

Yennayer demeure ainsi un rituel qui date depuis 950 avant JC et qui demeure ancré dans toutes les régions du pays et de l’Afrique du Nord. « Que les portes du bien s’ouvrent et que celles du mal se ferment ! » semble être sa définition première. En outre, elle vise selon de nombreux auteurs universitaires, à préserver l’identité amazighe et à consolider les rangs du peuple. Il s’agit également d’une date qui marque la fin d’un cycle naturel et la naissance d’un autre. Elle marque le point de rupture ou de jonction. 

Des pratiques encore vivaces

Yennayer est une fête qui est liée au cycle des saisons et consacrée dans une atmosphère conviviale et de bon augure qui dure selon les régions de deux à quatre jours. Yennayer, comme toute réjouissance, concerne un lien social qu’il s’agit de manifester, de renforcer, fut-il familial, religieux ou politique. Le rite renforce le lien social et son fondement est toujours une croyance partagée, une foi que la fête rappelle et raffermit. Alors, comment s’effectue ce rappel et comment s’accomplit l’intensification du lien social ? De quelle énergie jaillit cette intensification et comment le quantitatif peut-il se transfigurer en qualitatif ? Il y aurait somme toute une communion entre les individus et l’émergence quasiment palpable d’un idéal opposé à la réalité quotidienne, cet idéal devenant la réalité à laquelle le groupe participe.

Yennayer, faut-il le rappeler, impose l’hospitalité et la solidarité. Lors du dîner de la veille, les villageois gardent leurs portes ouvertes ! Tout passant est l’invité de la famille. On garde la part de l’absent ! Les enfants se déguisent (chacun s’affublant de son propre masque) et parcourent les ruelles du village. Passant de maison en maison, ils quémandaient quelque pitance que les gens s’obligent de donner. Par ce geste d’offrande, l’amazighe tisse, avec les forces invisibles, un contrat d’alliance qui place la nouvelle année sous d’heureux auspices. Ce rite est transposé à l’Achoura et repris lors de la période des labours. Le paysan distribue d’humbles offrandes aux passants croisés sur son chemin et dépose de petites quantités de nourritures dans des lieux saints, en se rendant dans ses champs. Ces manifestations hospitalières, même si elles relèvent parfois de quelque fétichisme, n’en procèdent pas moins de la socialisation des personnes : elles harmonisent et renforcent le tissu social et culturel. Ainsi, au-delà de toute frontière, des peuples d’identités différentes considèrent Yennayer comme partie intégrante de leur patrimoine culturel…

Il s’agit selon certains d’une fête devenue par le temps un rendez-vous incontournable et familier, et une fête populaire. 

Yennayer ou la philosophie du « vivre-ensemble »

Yennayer, dans sa philosophie profonde et sa quête de la prospérité, ne peut qu’y répondre de manière vraie. C’est la seule fête païenne qui continue à être fêtée avec assiduité depuis des millénaires dans toute l’Afrique du nord.

Les spécialistes indiquent qu’en cette ère de consumérisme outrancier qui remet en cause bien des valeurs et dont le premier espace est celui de la famille, de la fratrie, lieu de l’éducation élémentaire, répondant à un autre espace plus ouvert sur l’autre : celui des jeunes générations puisant leur expérience dans les plus anciennes, se pose de plus en plus dans notre société, cette question obsédante et lancinante du vivre-ensemble. Yennayer, dans sa philosophie profonde et sa quête de la prospérité, ne peut qu’y répondre de manière vraie.

Mohammed Medjahdi

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