L'Algérie de plus près

Ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit

Par Mohammed Koulal*

En tant qu’avocat de la défense, je me permets aujourd’hui d’étaler quelques difficultés rencontrées quotidiennement par les robes noires pour une meilleure appréciation des efforts qu’ils consentent afin de prouver l’innocence de leurs clients, en se basant sur les textes et, bien entendu, les procédures soient-elles pénales ou civiles. On dit souvent que l’avocat mène la belle vie, mais soyons certains que les apparences sont toujours trompeuses. Surtout dans cette profession.

Quand on voit un avocat pour la première fois, on le sent à la fois fier et sévère mais, au fond, cette apparence n’est que la conséquence d’un stress permanent. En effet, il est soumis au respect des délais, à tout faire pour contenter ses clients, à être au fait des changements législatifs… et à un volume de travail qui dépasse les horaires légaux, qui sont largement au-dessus des 40 heures par semaine. Certains confrères consomment ce volume horaire en trois jours (des séances qui durent de 9h à 23h sans compter les heures de trajet) et les clients qui ont souvent des exigences irréalisables.

Etre avocat, ce n’est pas prouver l’innocence de son client mais de démonter les arguments de l’adversaire, il doit donc utiliser tous les moyens légaux, sinon les créer par sa ténacité, son intelligence et son expérience.

Cependant, la décadence de la profession d’avocat était bien programmée dans un système où la notion de justice repose sur la quantité au détriment de la qualité, commençant par l’absence d’une école pareille à celle des magistrats. Cette lente chute vers les abîmes depuis des décennies ne concerne pas seulement le métier d’avocat mais touche l’institution judiciaire tout entière. En effet, la confiance entre avocat et client, entre justice et justiciable, a laissé place à une société de défiance où la vérité n’est plus le référent essentiel et où le souci éthique est délaissé.

L’avocat algérien est en constante régression au sein de l’appareil judiciaire, des charges fiscales et parafiscales plombent ses activités et il est surtout victime de l’ignorance de son client en matière de droit et procédures (« Maître on m’a dit que »… etc.). En ce sens, l’avocat Algérien ne vit pas, il survit ; il suffit de l’accompagner dans sa tâche pour se rendre compte qu’il est impossible de supporter un jour ce que lui subit pendant toute sa carrière.

Additivement à cette situation, la confrontation entre juge et avocat relève de l’accomplissement de leurs fonctions respectives ; d’où la ligne de conduite de chacun. Il y a certes des divergences dans la voie prise par chacun pour sauvegarder sa dignité et, enfin, de faire preuve des qualités personnelles qui ne peuvent résulter que de ces mêmes divergences. L’avocat cherche toujours à pénétrer le dévouement de la justice qui devient une vertu inhérente : son idéal et son inspiration à l’existence, donc à la justice. Mais cette image ne peut-être palpable de l’extérieur que par le magistrat de sorte que l’avocat choisira pour lui-même cet exemple supérieur voyant le juge occuper le point central de cet appareil judiciaire qu’on ne peut imaginer sans lui et qui ne pourra aboutir sans lui.

Le respect est créé par l’avocat et c’est lui seul qui marque la vénération de la justice ; l’histoire est là pour témoigner que la juridiction naquit avec l’avocat et qu’on s’en rendit compte au retentissement de ses clameurs appelant la justice. Le juge, aux époques qui ignorèrent l’avocat, ne représentait que l’arbitraire. C’était un inconnu dont on ne savait rien, aux décisions immotivées et chaque force sociale agissait au hasard dans la suspicion et le déchaînement des passions. La différence entre les deux fonctions est plus que claire ; en effet, l’avocat demande et redemande, sa requête peut-être acceptée un jour ou refusée et sa vie s’écoule entre requête et patience. Tandis que le juge ordonne, clôture, les justiciables ne connaissent de son œuvre que les mots qui sillonnent.

Dans les pays « tiers mondistes », l’avocat plaide publiquement, assurant à chaque audience la réalisation de la justice, il n’adresse son discours qu’à cette équité idéale tout en risquant sa liberté individuelle. Tandis que le juge ne parle pas de sa mission humanitaire. Il ne mentionne rien en faveur de l’avocat et ce silence est synonyme d’abstention d’appréciation. Dans ces pays le juge n’a pas le temps d’écouter et d’apprécier l’avocat ; il est impatient de rendre son jugement. Combien de fois, les sentences en matière criminelle sont rendues dans les coulisses avant même l’audience. Dans ces pays, la seule parole du juge envers l’avocat est : « Vos conclusions Maître ! ». Le rôle de l’avocat est de captiver à l’attention du juge.  

L’avocat supporte plus d’épreuves qu’il n’est tolérable, toujours déchiré entre l’ingratitude de ceux qu’il a pu sauver, le venin des foules ignorantes qui le croient un instrument de mensonge, sa déception de ne pas pouvoir réaliser la justice qu’il désire ou de ne point rencontrer l’approbation d’un principe qu’il considère efficace. L’avocat ne peut s’attaquer au juge, il ne peut même pas y songer, s’il n’éprouve un profond sentiment de révolte qui réveille son instinct de défense et cet instinct ne peut se dresser sans raison. Tel est le martyre de l’avocat vis-à-vis des appareils judiciaires.

Mais le grand problème de la corporation est l’Internet qui a modifié complètement la relation au client. L’information juridique est à portée de mains. Le client a le savoir ou il croit l’avoir alors qu’avant il venait recevoir la parole « sacrée » quand il allait voir le notable que fut l’avocat. Avant, l’avocat devait convaincre le juge, aujourd’hui il faut d’abord convaincre le client qu’on est le meilleur pour l’aider à passer le cap difficile qui est le sien.

Des études psychologiques montrent que le risque de dépression chez les avocats est 3,6 plus élevé que chez les autres professions. De plus, certains tomberaient plus facilement dans la dépendance de l’alcool et des médicaments antidépressifs. Il ne faut pas chercher ailleurs les causes, elles apparaissent chaque jour et dans chaque cabinet. Et voilà que le dernier virus « fiscal » tombe comme un couperet…

Il y va de la profession d’avocat si cette situation perdure ; il est donc urgent pour la corporation et à sa tête, nos bâtonniers, de faire face non pas aux difficultés mais aux provocations subies par chacun de nous et dont les conséquences seront psychologiques, physiques et financières ; en un mot notre avenir.

Enfin ! Les gens les plus en vue sont souvent la cible des individus les plus malveillants, ces gens qui ne peuvent supporter la réussite, qui dissimulent leur médiocrité derrière une haine tenace. L’avocat est le plus en vue, il doit donc défendre sa notoriété et son amour pour la justice.

M. K

*Avocat

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