L'Algérie de plus près

Parcours personnel, écrits et identité : un mix d’évidences

La journée d’étude sur « L’identité culturelle dans le texte chez des auteurs contemporains », organisée dimanche dernier par la Faculté des lettres et des langues, département de lettres et langue française de l’université de Constantine a été l’occasion pour plusieurs écrivains, auteurs et chercheurs universitaires de revenir sur les motivations et considérations subjectives qui sous-tendent leurs écrits. La dimension identitaire transparait nettement dans la plupart des œuvres en raison, notamment, du parcours singulier de chacun des auteurs invités. Présent à cette rencontre, Aomar Khennouf nous en restitue le déroulé.

« Je tiens d’abord à remercier et dire toute ma gratitude à Mme Mounia Belguechi et ses collègues, professeurs et responsables de l’Université des Frères Mentouri de Constantine, de m’avoir invité à contribuer à cette journée d’étude aux côtés de mes aînés Omar Kazi Tani, Aziz Mouats et Djawed Rostom Touati. Si biologiquement Djawad Rostom est mon cadet, il n’en demeure pas moins que je le considère comme mon ainé par son immense culture et ses talents qu’il met au service de la promotion notre littérature.

J’éprouve beaucoup d’appréhensions mêlées de crainte lorsqu’il s’agit de débattre d’un sujet aussi sensible que l’identité pour les charges passionnelle, politique et idéologique qu’il soulève. Mais ce jour, mes craintes ont été vite dissipées. D’abord par les interventions de nos hôtes, Mmes Mounia Belguechi et Dahlia Larous. Ensuite par mes prédécesseurs MM. Omar Kazi Tani et Aziz Mouats, avant que notre ami et frère Djawad Rostom ne conclut avec art et éloquence la première partie de cette journée d’étude.

Dans le débat qui a suivi nos interventions, la même sérénité et la même ambiance sereine ont prévalu. Aussi je ne peux passer sous silence la maturité de nos jeunes étudiants qui se démarquent de plus en plus du discours aliénant et rétrograde que la publicité et la promotion des germanopratins ont confiné dans à une praxis indigne, incontournable et indépassable : taper sur le pays et sur ses valeurs, l’islam en premier. En d’autres termes, pour accéder à Saint Germain des Prés, le chemin de la servilité est bien balisé par les piètres héritiers du siècle des lumières. Un siècle qui ne s’est allumé qu’après quatre siècles d’esclavagisme. Des lumières qui sont restées bien ternes sur deux autres siècles de colonisation. Laquelle colonisation se poursuit jusqu’à ce jour en Palestine avec leur bénédiction, celles de leurs affidés dont les plus effarouchés d’entre eux ont mis du henné sur leurs bouches devant le massacre génocidaire qui se déroule à Ghaza.        

Débats sereins et enrichissants

Il y a longtemps que j’ai fait mien cet adage qui dit : ‘’L’expérience est le commencement de la sagesse’’ au point de l’emprunter pour étayer un thème que j’ai développé dans mon second récit que j’ai intitulé ‘’Rien n’arrive par hasard’’. Dans cette salle où une partie de l’assistance est restée debout par manque de sièges, je dirais qu’en dépit des spécialistes des lieux communs, les débats ont été aussi sereins qu’enrichissants. M. Omar Kazi Tani, droit d’aînesse oblige, a ouvert le débat sur la présence de la femme dans son roman La Lyre de Thamugadi, sur la richesse et la splendeur de notre patrimoine archéologique ainsi que sur la grandeur de notre culture plurielle plusieurs fois millénaires. Mon ami Aziz Mouats abonda sur la portée de l’insurrection du nord qui a vu l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de l’ONU dans l’hémicycle de Manhattan, à New York. Il nous a émus tous autant qu’il l’était lui-même avec ses poignants témoignages. L’émotion était grande lorsqu’il relata à l’assistance la détresse d’un enfant qui a longtemps attendu le 5 juillet 1962 pour fêter, un petit drapeau à la main, le retour du père qui ne reviendra pas. Même émotion lorsqu’il nous fit le point sur l’impressionnant arsenal confié par l’ALN à son cousin pour participer à cette insurrection du 20 août 1955 : une bouteille remplie aux trois-quarts d’essence et une boite d’allumettes. Il a mis le feu là où il devait le faire.  

Après l’évocation de l’histoire antique de notre pays et le génie d’un extraterrestre sorti du fin fond de l’Amazonie et incarné en la personne d’Oscar Niemeyer, un architecte hors pair je ne pouvais que suivre le flot des souvenirs que ces évocations firent remonter à la surface de ma mémoire. Oscar Niemeyer dont les liens amicaux et affectifs avec l’Algérie en lutte contre le monstre colonialiste ont été rappelés à notre mémoire par Si Aziz Mouats.

Ce génie a conçu pour l’Algérie indépendante des chefs-d’œuvre aux cachets architecturaux fabuleux et fantastiques qui ont fait entrer notre pays de plain-pied dans la modernité et l’universalisme. Cela s’est passé durant les deux premières décennies postindépendance lorsque notre pays faisait appel aux meilleurs bureaux d’études dans tous les domaines. Ce n’étaient pas que de simples bureaux d’études ou des sous-traitants attirés par l’appât du gain. C’étaient des partenaires loyaux et avant tout, c’étaient des amis de l’Algérie. 

Un pays en construction… et des vocations

L’occasion était trop belle pour le chef de chantier que je suis ou que j’ai été durant plus de vingt ans, pour mettre de côté la contribution que je me suis évertuée à préparer durant les jours précédents pour abonder dans le sens des contributions de mes prédécesseurs. Je m’explique :

Abandonnant mes lubies d’adolescent, j’ai choisi de faire carrière dans le génie-civil et sur les chantiers de construction et de reconstruction d’un pays laissé en ruines par une longue nuit coloniale qu’une guerre asymétrique, impitoyable dévasta et que la sinistre OAS, en corollaire, a voulu achever. Ne laissant derrière eux que ruines et désolation. J’ai fait ce choix pour deux raisons :  

Du haut de l’immeuble où habitait mon grand-père sis au 14 avenue Zaabane (ex-Viviani) à Constantine, à la nuit tombée, je me mettais au balcon pour attendre l’arrivée du train qui ramenait le «dziri» que j’étais par la grâce d’un accident de l’histoire, le premier jour de ses vacances scolaires, au royaume de son enfance, Cirta, la cité de mon grand-père. Le jour, durant la sieste des grands, lorsqu’il nous était interdit de sortir à cause de la chaleur, je contemplais et notais l’état d’avancement des travaux sur le chantier de ce qui sera plus tard l’Université des frères Mentouri. A cette époque, je n’avais aucune idée sur les technologies de construction, sur les étapes qu’elle doit suivre, sur les écoles d’architecture et sur le génie hors du commun de celui qui a conçu et projeté les plans de cette auguste institution ainsi que la similitude entre sa tour, une fois achevée, et celle du siège de l’ONU à New York. Une ressemblance qui a fait dire à mon ami Aziz Mouats ceci : ‘’ De Sidi Ahmed à Manhattan avec escale…… à Cirta’’.

Sur les guérets de ma banlieue algéroise se construisait, à la même époque, c’est-à-dire, les années soixante et soixante-dix, un autre grand complexe formé de plusieurs temples entièrement dédiés au sport et à l’éducation physique. Ma frustration de voir les champs et les chemins de nos escapades juvéniles squattés par des envahisseurs, a vite cédé la place à notre bonheur de voir, en 1972, dans ce magnifique stade de cent mille spectateurs, nos artistes de la balle ronde damer le pion aux stars européennes dont des mondialistes, et aux magiciens du Brésil. Je sus plus tard que le Brésil n’a pas enfanté que des magiciens du football. Il a aussi donné à l’humanité un des plus grands architectes: Oscar Niemeyer. Si les américains par Hollywood interposé, fascinaient le monde avec leurs séries-cultes dont Les envahisseurs, Oscar Niemeyer nous a fascinés et marqués avec sa fantastique soucoupe volante, la grandiose coupole du complexe olympique Mohamed Boudiaf, qu’il fit atterrir l’audace de sa conception sur les champs de mon enfance. Dans cette soucoupe volante, nous étions transportés vers les nues lorsque nos lutteurs, nos judokas et nos artistes s’y produisaient. Le voyage au septième ciel était souvent gratuit et la proximité du complexe de ma cité banlieusarde, nous ont fait oublier les chardonnerets qui nous émerveillaient avec leur chant et les grives et les merles qui, en plus de remplir un peu nos ventres affamés par des randonnées sans fin, étaient un délice pour nos palais.

Rupture épistémologique ou juste retour des choses ?

Je vous laisse également deviner ma joie et mon bonheur lorsque, quelques années plus tard, nos professeurs nous initiaient aux techniques de construction qui ont donné corps aux fantasmes d’Oscar Niemeyer sur l’immense chantier du campus universitaire de Bab Ezzouar, l’USTHB, dont sont issus, par fournées entières, des bataillons d’ingénieurs dont la notoriété a largement dépassé nos frontières depuis longtemps.  

Revenons à cette journée. Libéré de mon inhibition, je ne pouvais que communiquer à mon tour sur ce que j’ai appris sur la richesse de notre patrimoine archéologique et que j’ai découvert lors de ma première transhumance à Thevest (l’actuelle Tébessa) qui n’est qu’à un jet de pierre de Thamugadi, l’autre nom de Timgad. Caracalla, Salomon, Minerve, Sainte Crispine, Apulée de M’daourouch, Saint Augustin de Souk Ahras, Saint Donat, les Circoncellions, les Romains, les Vandales, les Byzantins, ne m’étaient plus des légendes importées sur cette terre de Numidie. Ils font partie de notre histoire et de notre mémoire. Tout le plaisir que j’avais à écrire Mes Transhumances m’a submergé durant cette mémorable journée à laquelle j’ai eu l’insigne honneur d’être invité.

Mon bonheur arriva à son comble lorsque M. Hosni Kitouni prit place à côté de moi sur cette scène face aux étudiants et enseignants. Au-delà de ma fierté de dire la pertinence, la lucidité et la droiture de sa plume qui transparait, de manière dépassionnée, qualité rare pour un digne fils de chahid,  dans ses ouvrages et contributions à l’écriture de notre histoire. Je n’ai jamais compris clairement les mécanismes inhumains du code de l’indigénat et des lois scélérates des colonialistes français que lorsqu’il en fit le démontage. En plus d’être fier d’avoir partagé ce moment à ses côtés, je suis heureux qu’il se souvienne du pain que pétrissait mon grand-père dans sa petite boulangerie de ‘’La rue du bienfait’’, plus connu chez les constantinois sous le nom de Roude Bienfait.

En parlant de boulangerie, on peut compter dans ma famille les renégats au métier originel de mes ancêtres. Mais on ne peut pas compter ceux qui lui sont restés fidèles toute leur vie. Et d’une certaine manière, pour me dédouaner de ma trahison, j’ai appris, à l’instar de beaucoup d’ingénieurs et de techniciens, à construire des moulins et des silos à grains pour qu’ils aient toujours de la bonne semoule et de la bonne farine pour préparer du bon pain qui est aussi bon que le pain de la maman de notre hôte, Mme Mounia Belguechi. Dans Rien n’arrive par hasard, le récit de ma seconde transhumance sur les hauts plateaux de la Medjana, le lecteur perfectionnera ses connaissances sur une technologie dont la passion est devenue virale pour le jeune Weiss parachuté dans la peau d’un sapeur-pompier au milieu d’une arène où la légèreté de certains aryens a provoqué une grande catastrophe que des Vikings et mes compatriotes n’ont pu empêcher.    

Enfin, pour conclure, je reprends partiellement cette citation : le secret du bonheur réside dans de bonnes lectures et la fréquentation de bonnes personnes. Ce jour du 19 novembre 2023, je l’ai encore vérifié. 

A. K.

*Auteur de deux romans autobiographiques, ancien cadre dirigeant d’entreprises publiques et privées.

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