L'Algérie de plus près

Messaoud Merbaï : le marin au cœur … large !

J’ai connu Messaoud Merbaï au début de l’été 1964, l’année où nous venions d’emménager à la rue Mostefa Adjekim, au numéro 15, où s’était déjà installée mon oncle Amar, l’aîné de sa fratrie.

A l’époque, nous avions acquis le pas-de-porte d’un appartement constitué de trois pièces-cuisine-toilettes-salle de bain à une famille qui fut notre voisine au Mamelon Négrier, entre 1956 et 1962. Cette famille a décidé de se rendre en France car le père, ex-goumier, n’en pouvait plus de supporter les regards méprisants des gens de la ville qui lui reprochaient d’avoir été du côté des Français. Je ne me rappelle plus du nom patronymique de cette famille, ce dont je m’en souviens, c’est que tout le monde les appelait « dar chinois », la maison du chinois, le sobriquet attribué à leur enfant aîné, qui était aussi l’ami intime de mon cousin Saïd.

Je bouclais mes 10 ans. Messaoud, lui, n’était pas plus haut que trois pommes, il devait avoir entre 3 à 4 ans mais son audace face à plus grand le faisait remarquer des enfants de son âge, d’habitude craintifs et réservés. Il habitait la première maison où finissent les escaliers remontant du cinéma Le Rivoli et aboutissant à la rue Capitaine Drouin. Cette rue a été baptisée à l’indépendance du nom du chahid Mostefa Adjekim (certains orthographient Adjeghim). Et c’est à endroit précis, sur la dernière marche des escaliers, qu’il se pointait à chaque fois que je revenais de l’école du Montplaisant, située sur l’autre versant de la ville, pour me barrer la route. « Donne-moi ton argent sinon tu ne passes pas », me menaçait-il. Et sans attendre, il vient fouiller mes poches dans l’espoir de trouver quelques pièces de monnaie. La première fois, ahuri, ne sachant quelle attitude adopter, je ne l’ai pas laissé faire, je me rappelle même l’avoir un peu bousculé, ce qui a quelque peu refroidi ses ardeurs. Juste après notre premier «incident», les enfants du quartier m’ont expliqué qu’il fallait lui faire croire qu’il était une véritable terreur. Depuis, comme tout le monde, j’ai accepté son comportement parce qu’au fond, il n’était pas aussi « dangereux » qu’il ne le laissait paraître. Bien au contraire, Messaoud est un fils de bonne famille qui obéissait au doigt et à l’œil à ses parents ; jamais, durant les deux années vécues dans le quartier, je ne l’ai vu contester les ordres de ses frères aînés, dont Didine et Mohamed.

Formation à l’institut maritime de Bousmaïl (sauvetage en haute mer)

Voyages au long cours

Les années ont passé et les temps ont changé. Devenu officier-mécanicien à la CNAN-HYPROC, Messaoud ne manquait jamais de me rendre visite chaque fois qu’il débarquait à Alger. Je lui rendais la pareille quand mes pérégrinations de reporter m’emmenaient à Arzew, le port d’attache des méthaniers et pétroliers battant pavillon national.

Mesaoud s’est fait par la suite affecter sur un céréalier puis un vraquier et un grand nombre d’autres bateaux marchands de la CNAN, avec Alger comme port d’attache. C’était pour lui l’occasion de revoir la «bande» d’amis qu’il s’est fait dans le milieu de la presse. En effet, chaque fois qu’il débarquait à Alger après de longs mois de navigation, il trouvait le moyen de ramener quelques friandises à mon fils aîné, des livres et des revues pour moi, Abbes Mouats et feu notre ami Djamel Sayoud. Bien entendu, c’est tout une collection de bonnes bouteilles de scotch et de vodka qu’il nous offrait, sachant la difficulté à se procurer les alcools et spiritueux en Algérie. D’autres collègues se joignaient à notre guillerette bande comme Aziouez, Akli, Ali et j’en oublie. Ce sont des soirées inoubliables qui se terminaient à l’aube sur le bateau de notre ami Messaoud et d’une partie de l’équipage. Oui, c’était possible dans les années 80, où les journalistes jouissaient d’une grande considération. Il suffisait de présenter sa carte professionnelle pour accéder à l’intérieur du port et être admis à bord des navires marchands. Bien sûr, ces «visites» n’échappaient à la vigilance des services de sécurité mais tout le monde fermait l’œil quand bien même des «rapports» parvenaient à la hiérarchie.

À bord, les discussions reprenaient de plus belle avec les marins et les responsables de la compagnie de navigation. A la fin de leur service, des officiers de douane et de police se mêlaient parfois à nos discussions. Mais pas trop parce que leur devoir de réserve leur impose le silence sur certaines questions que nous leur posions, déformation professionnelle oblige.

Et ce n’est pas du tout : nous ne manquions jamais de faire le tour du «propriétaire» à nos amis marins qui découvraient, souvent avec étonnement, l’extrême modestie des locaux dans lesquels nous produisions nos journaux respectifs, à savoir El Moudjahid, Horizons, Algérie Actualités et Révolution Africaine. Beaucoup ne comprenaient pas comment, munis d’un stylo et d’une feuille de papier, des journalistes mal payés – mais très bien considérés – arrivaient à produire des articles de presse et comment se confectionnaient les journaux avec si peu de moyens matériels et humains. S’en suivaient alors des explications sur l’organisation du travail au sein des rédactions et des services techniques pour parvenir à produire chaque jour, à une heure fixe, un quotidien ou, au bout de 6 jours, un hebdomadaire de très haute facture. 

En service dans la salle des machines

Formé aux métiers techniques, Messaoud a compris très vite le fonctionnement de la rotative de presse et le process suivi dans les différents ateliers de l’imprimerie d’El Moudjahid. Avec Ali, il a su comment faire d’une prise de vue une illustration sur le journal. Curieux, il s’intéressait à tout mais n’insistait jamais quand la discussion débordait sur des sujets plus terre-à-terre, autrement dit la politique et les dérives que nous avions connues durant les années 80 et 90.

Un méchoui en pleine mer un jour de fête (Aïd El Adha)

Aujourd’hui, notre génération émarge à la CNR. Certains d’entre nos collègues ne sont plus de ce monde. Et j’ai perdu de vue la plupart de mes amis marins. À l’exception de Houari Mazouzi, qui a fini sa carrière comme commandant de bord, et Messaoud Merbaï, comme officier-mécanicien.

Chaque fois que je me rends à l’Ouest, où vit Houari, et à Skikda où habite Messaoud, je ne manque jamais de leur rendre visite. Pour leur rappeler non sans rire les mémorables moments vécus depuis l’aube de l’indépendance du pays. Au premier, nos escapades aux Genêts et à Couva Lawa (Cuva de lagua selon certains), au second le racket systématique qu’il exerçait sur les passants ayant le malheur de fouler la rue Capitaine Adjekim.

Ali Laïb

Abbes Mouats, journaliste : « Grâce à Messaoud, j’ai compris comment fonctionnait un navire marchand »

Notre frère et ami Messaoud Merbai, que je salue ici, est l’un des braves hommes que la ville de Skikda ait connus. Pour ceux qui ne le connaissent pas ou le connaissent peu, Messaoud reste un grand serviteur de la marine marchande algérienne et de l’Algérie en général. Notre ami a passé une bonne partie de sa carrière professionnelle dans ce corps national au service de l’économie nationale. Messaoud a sillonné les mers du monde durant de longues années comme beaucoup de ses collègues de cette profession noble et difficile au service du pays. Durant ses nombreuses escales à Alger, dans les années 1980 et 1990 (en pleine décennie noire), je rencontrais notre frère et ami Messaoud avec d’autres amis de Skikda et d’Alger, où nous célébrions ces retrouvailles joyeuses dans les meilleurs restaurants de la capitale. C’était « le bon vieux temps » lorsque la capitale et toute l’Algérie des années 1980 respirait la sécurité, la stabilité sur tous les plans et surtout la joie de vivre. Il arrivait à notre grand Messaoud en tant qu’officier mécanicien de la marine marchande qui est passé par le prestigieux Institut maritime de Bousmail à l’ouest d’Alger, de nous faire visiter le bateau d’où il venait de débarquer après de longues semaines de navigation et d’escales dans de nombreux ports étrangers de tous les continents. C’est grâce à Messaoud que j’ai l’honneur de vour de plus près comment fonctionne un navire de la marine marchande où il était un pilier très respecté. Nous avions vécu de belles années avec Messaoud à Alger maid aussi à Skikda, à Arzew et ailleurs.

Aujourd’hui encore, lorsqu’il m’arrive de me rendre à Skikda, ma wilaya natale, je ne manque pas de revoir avec grande joie, mon frère et ami notamment, autour d’un café au centre-ville dans ce qu’on appelait à l’époque, la place de l’Eglise et le Square ! Cet été également, je compte retrouver Messaoud à qui je souhaite santé, paix et longue vie.

A. M.


3 thoughts on “Messaoud Merbaï : le marin au cœur … large !”
  1. A ce jour, moi son frère mohamed, je ne savais pas qu’il était un rackteur portant un surnom de gougoule qui signifie presque docile, tu t’es bien fait avoir si Ali. Une seule fois, il voulait montrer qu’il faisait partie des durs,HRAG en France il est aussitôt revenu HAREG, pas plus d’une semaine, on s’est même pas rendu compte qu’il s’est absenté,enfin bref s’était juste pour dire à Ali, à qui il avait affaire.mais fréquenter ou attirer autant de journalistes du pays n’est pas chose facile, si ce n’est sa bonté et sa générosité, qui d’ailleurs quelque part a fait revaloriser l’image de LA la société CNAN.par le seule fête que CES journalistes et  » quels journalistes Faisaient le va et vient dans le port et sur les navires et finissent par ilustrer un officier de la CNAN,je dirais que c’est de la bonne foi et de la reconnaissance.
    Vrai que messaoud etun enfant de bonne famille,même à présent retraité,il ne fait que s’entourer de braves gens au tours des tables de terrasses avec ses petites blagues et coups de finesses, taquine par-ci et par là. En tant que retraité aussi on le laisse faire, que dieu le garde aussi longtemps.
    Incha Allah.

    1. L’essentiel est que l’article lui fasse plaisir. C’est une période de notre vie que je raconte. J’espère avoir la force d’écrire beaucoup d’autres souvenirs. Bien sûr, Messaoud est un gentil garçon. Et d’une agréable compagnie.

  2. Bonsoir,
    C’est avec surprise que je viens de découvrir votre article qui illustre si bien le portrait de notre Ami Messaoud Merabai.Personellement, nous avons passé un bout de chemin ensemble sous le drapeau dans une caserne de la Marine nationale à Arzew,On a gardé de très bons souvenirs,oui Messaoud ,un type d’un. Caractère particulier,très sympa,, blagueur,et avait un éclat de rire qui le distinguait à tel Point qu’ont peut le. repérer facilement parmi les sections ou les compagnies dans un rassemblement.Mais il y avait un autre Ami Allah yarrahmou.Mohamed Laib.un ancien officier de la Cnan, c’était lui qui racontait des aventures passées avec Raouf de Skikda un ami commun et de surcroît un autre officier de la Cnan,qui intéressait Messaoud,on était des officiers de contingent, mais Avec des gens pareils on a jamais sentie le temps passé,c’était de très bons souvenirs qu’on a gardés, malheureusement beaucoup d’amis ne sont plus de ce monde aujourd’hui ,Allah yarhamhoum.Et je termine en Souhaitons longue et heureuse vie pleine de santé à tous les Marins en service ,en particulier les retraités. Ahmed Ouzouir commandant Hyproc Shipping Company

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