Par Me Mohammed Koulal
« Où étaient les Arabes ? Que sont-ils devenus ? Où sont les poètes, les médecins, les tribuns, les écoles, les bibliothèques, les philosophes, les techniciens, les historiens, les astrologues ? Où sont les livres de leurs arts ? Où sont les chercheurs et les hommes de lettres commentateurs ? »
Boutros El Boustani (père du patriotisme syrien)
Depuis plusieurs décennies, le peuple Palestinien a été délaissé par les pays arabes, particulièrement les monarchies du Glofe, qui ont préféré s’aligner sur les rangs de l’oppresseur, ceux qui tuent hommes, femmes et enfants sans remords. Les peuples arabes voulaient comprendre pourquoi leurs dirigeants ont trahi leurs frères, mais en vain. Ce « négationnisme » de la part des dirigeants des pays prétendus frères des gens d’Al Qds, Jenine, Ramallah ou Gaza a permis tout de même une prise de conscience chez ces derniers. Pour les Palestiniens trahis, il faut désormais se prendre en charge soi-même et ne compter sur la tutelle de quiconque !
Car il faut se rendre à l’évidence : la situation qu’ils vivent en Palestine occupée suite à la soumission à l’oncle Sam de certains pays arabes, surtout les monarchies, est identique à celle qu’ont vécue les musulmans d’Andalousie.
Pour mieux cerner la question, il est utile de rappeler l’analyse faite par le penseur Toualbi Taalibi, en s’inspirant des idées de Platon : « Toute vie tient de la justice » et « le Droit embrasse toutes les nuances de la vie et maîtrise les forces mystérieuses auxquelles obéissent les sociétés humaines ». N’est-il pas permis d’imaginer l’existence d’une relation causale entre la faillite de l’institution juridictionnelle musulmane du fait de son cloisonnement doctrinal à partir du 10e siècle et le déclin progressif de la civilisation islamique ? En effet, force est de constater que le côté culturel de la décadence n’est que la conséquence de luttes et de « Fitna » à partir de l’Espagne musulmane. Gouvernée par la dynastie des Omeyyades qui avait atteint l’apogée de la puissance et de la renommée sous Abdarahman EnNacir, l’Andalousie était soumise et obéissante, ce qui a poussé EnNacir à se proclamer « Emir des croyants » et créant ainsi un calife d’occident face à celui d’orient, d’où la division du monde musulman en deux.
L’autorité de l’Etat Andalou va s’affaiblir sous le règne de Hakam II (petit-fils de EnNacir). Encore enfant, il est proclamé calife vers 976 mais remplacé par sa mère en tant que régente assistée par Ibn Abi Amir. Ce dernier est un homme énergique et intelligent, il fut l’artisan de la concentration de tous les pouvoirs. Mais avec sa disparition en 1002, toute son œuvre s’écroula, par la faute de ses successeurs et de califes incapables. Son fils Abdarahman Sanchoul va le remplacer en tant que ministre. Dès qu’il prit le pouvoir à Cordoue, il accumula les maladresses et irrita l’opinion publique musulmane. Son arrogance le poussa à demander au calife (Hicham II) de le désigner comme héritier présomptif de la couronne, provoquant une « fitna » et le déclenchement de troubles en 1009 qui font émerger trois partis (ou tendances) : les Berbères africains, le parti Andalou et le clan de Sakaliba. Le parti Andalou comprenait les Arabes d’orient, les maghrébins implantés en Espagne depuis la conquête et les musulmans d’origine chrétienne et juive. Ces partis optaient dans l’ensemble pour la dynastie omeyyade. Chaque clan ne songeait qu’à ses propres intérêts, les combats sont sans quartier : femmes, enfants et vieillards sont tués. La terreur que les uns inspiraient aux autres est égale. Un savant cordouan, Rahbat Azira, fut enterré à la place de Cordoue car on craignait la rencontre des berbères en l’enterrant au cimetière.
Il n’y a pas plus atroce que les luttes fratricides. Même les savants qui ont voulu concilier les parties en conflit furent tués par une partie ou une autre. La division de l’Andalousie (ou l’Espagne musulmane) est l’œuvre de ces partis qui s’étaient partagés le territoire en une nuée de petits Etats brisant l’unité et la puissance du pays. Ce pays, jadis puissant et prospère, ne sera bientôt qu’un lambeau autour de Grenade, dernier bastion de l’Islam Andalou et d’où finalement ils seront expulsés en 1492.
Après l’écroulement de la dynastie Omeyyade en 1031, l’Espagne musulmane devient la proie du particularisme politique. Une infinité de « principautés » (arabe, berbère et slave) se partagent le territoire, autrefois unifié par les califes de Cordoue. A la capitale de tout Al Andalous, succédèrent chacune pour son petit territoire, les villes de Séville, Saragosse, Malaga, Almeria, Valence, Dénia, Carmona et d’autres encore. Chaque prince dans sa capitale entretient une cour, encourage lettrés et poètes pour lui tisser des louanges, et tient à faire figure de souverain. Personne ne se souciait de l’ennemi commun espagnol qui va bientôt attaquer, une à une, ces proies faciles qui se jalousaient et se combattaient.
Il est à rappeler que parmi les différentes dynasties, il y a celle des Beni Abbad de Séville ou Moulouk AT-Tawarif (Rois des partis) qui fut l’une des plus puissantes dynasties et occupait un vaste territoire sur tout le sud de la péninsule. Cette puissance les incita à convoiter les territoires de certains de leurs voisins particulièrement ceux de Cordoue et de Tolède. D’où les guerres sans fin entre les princes musulmans, ce qui faisait l’affaire des rois chrétiens du Nord. Et ainsi, l’on vit des souverains musulmans s’allier aux princes chrétiens, ou acheter leur protection moyennant de lourds tributs. Le plus entreprenant de ces princes chrétiens fut Alphonse VI, roi de Castille, mais sa puissance disparaît à l’arrivée d’Ibn Tachfin et de son imposante armée pour sauver ce qu’il restait de l’Andalousie. De cette bataille, l’historien anglais Lane Poll écrivait : « Quand Alphonse jeta un coup d’œil sur son imposante armée, il poussa ce cri admiratif : avec de telles troupes, je lutterais même contre les démons et les anges ! … Cependant, il eut recours à un stratagème de guerre pour tromper ses ennemis berbères et andalous. Mais le Sultan Youssef n’était pas de ceux qu’on trompe facilement. Il réussit (lui le Saharien inexpérimenté) à encercler ses ennemis et à les placer entre deux feux. Les Castillans malgré leur bravoure, furent taillés en pièces et subirent un vrai désastre. Leur grand courage et la connaissance qu’ils avaient de l’art de la guerre ne leur servirent à rien. Alphonse put, à grande peine, s’enfuir avec environ 500 cavaliers. Il laissait sur le terrain des milliers de ses meilleurs soldats… ».
Après sa victoire éclatante sur les Espagnols, Ibn Tachfin quitta l’Andalousie en laissant une armée de 3000 hommes à la disposition des andalous qui ne surent tirer de leçons de la victoire de Zellaqa. Ils revinrent à leur querelle et à leurs discordes. Alphonse réorganisa son armée et revint plus menaçant. Une seconde fois, Ibn Tachfin accéda à leurs désirs mais cette fois-ci, il n’engagea pas de bataille décisive contre les chrétiens. Il s’était fait une opinion sur l’incapacité et l’indignité des princes andalous : plus préoccupés aux plaisirs mondains, et plus soucieux de se quereller les uns les autres. Les jurisconsuls musulmans (fouqaha) l’autorisèrent par une fetwa juridique à éliminer ces petits monarques, indignes de régner au nom de l’Islam, et à s’emparer du pays à leur place pour lutter contre l’ennemi chrétien. Ce qui permettait aux musulmans de demeurer dans la péninsule encore 400 ans. Il est donc clair que les causes de cette décadence ne sont que le désir du pouvoir, de l’arrogance, de la division et des rencontres mondaines, qui existent d’ailleurs à nos jours.
Nouredine Boukrouh dans son livre « Pensée de Malek Benabi, la décadence du monde musulman », évoque cette pensée : « La cité musulmane a été pervertie par les tyrans qui se sont emparés du pouvoir après les quatre premiers califes. Le citoyen qui avait voix au chapitre de tous les intérêts de la communauté a fait face au « sujet qui plie devant l’arbitraire et au courtisan qui le flatte. La chute de la cité musulmane a été la chute du musulman dépouillé désormais de sa mission : de faire le bien et de réprimer le mal. Les guerres fratricides deviennent courantes et dramatiques. Le Coran, en tant que système philosophique, était une science qui dépassait l’horizon de la conscience « djahilienne ». Il en est résulté une rupture entre ceux qui avaient assimilé la nouvelle pensée : la pensée coranique, et ceux qui demeuraient attachés à la tradition, à des conceptions sociales, à des conditions de vie que le Coran venait abolir. Ce phénomène est le fond même de l’histoire musulmane depuis plus de 13 siècles, il disparaît sous des vêtements historiques mais des luttes intestines le font périodiquement resurgir d’une crise à l’autre. Après avoir été le moteur de la civilisation musulmane marquée par d’illustres noms comme Al Kindi, Al Farabi, Ibn Sina, Abou El Wafa, Ibn Rochd jusqu’à Ibn Khaldoun dont le génie mélancolique (décrit par Benabi) éclairera le crépuscule de la civilisation musulmane. Après avoir été le moteur d’une civilisation, le musulman s’est trouvé, par une phase de querelles de toutes sortes, de guerre de tawaïfs, de razzia, ramené à son stade actuel. A partir d’Al Achari et de Ghazali, les portes de la pensée et de la recherche vont être fermées et de là va découler la psychologie fataliste, le repli de la société sur elle-même, la fin de la recherche et de l’innovation qui n’existent que si elles sont portées par un esprit critique.
Benabi va encore plus loin : Siffin est un précédent qui allait se perpétuer systématiquement sous forme de dynasties héréditaires, de dictatures civiles ou militaires c’est-à-dire de despotisme.
Le premier crime de Moawya a été le coup d’Etat qu’il a fomenté contre Ali par la ruse et la corruption. Son second crime est d’avoir, avant sa mort, introduit la dynastie, c’est-à-dire le pouvoir familial et despotique dans l’histoire de l’Islam en obligeant la communauté à faire allégeance à son fils Yazid. Sachant que le despotisme a ses effets psychologiques, il retire toute passion commune, tout besoin mutuel, toute nécessité de s’entendre, toute occasion d’agir ensemble, il mure les citoyens dans la vie privée, il les isole, ils se refroidissent les uns pour les autres : il les glace (Alexis de Tocqueville).
En conclusion, je n’ai pas trouvé mieux que l’analyse faite par Bernard Lewis : « Pendant des siècles, la réalité semble confirmer la vision que les musulmans avaient du monde et d’eux-mêmes. L’islam représentait la plus grande puissance militaire, au même moment ses armées envahissaient l’Europe et l’Afrique, l’Inde et la Chine. C’était aussi la première puissance économique du monde dominant le commerce d’un large éventail de produits grâce à un vaste réseau de communication en Asie, en Europe et en Afrique … Dans les arts et les sciences l’islam pouvait s’enorgueillir d’un niveau jamais atteint dans l’histoire de l’humanité. Et puis le rapport s’inversa. Pendant longtemps, les musulmans ne s’en rendirent pas compte … La renaissance, la réforme, la révolution technique passèrent, pour ainsi dire, inaperçus en terre d’Islam… La confrontation militaire révéla la cause profonde du nouveau déséquilibre des forces. Ce sont l’inventivité et le dynamisme déployés par l’Europe qui creusaient l’écart entre les deux camps »…
M. K.
*Avocat à la Cour de Relizane
One thought on “D’Alphonse VI à Netanyahou en passant par « Septembre noir » et Sabra et Chatila…”
On oublie que les palestiniens n’ont jamais été unis face à l’ennemi israélien,hamas et fateh jusqu’à présent sont des rivaux éternels et lors des élections on retiendra les tueries entre frères d’armes.les subventions et aides financières vont directement aux dirigeants du Hamas alors qu’ils sont destinés aux populations palestiniennes. L’unification des deux parties pour des revendications communes est primordial. Quant aux pays arabes, Israël leur a donné plusieurs occasions pour libérer la Palestine.. 1948,1956,1967,1973 des défaites cuisante et humiliantes d’autant plus qu israel aujourd’hui domine le proche Orient et le Maghreb !n’oubliez pas le bombardement Israëlien de la Tunisie en 1985 et la tentative de bombardement d’Alger le 10 novembre 1988 lors de la tenue du CNP palestinien…