L'Algérie de plus près

Une classe bien particulière

Par Ali Dahoumane*

Comme ses souvenirs hantent encore mon esprit, j’ai envie de vous parler aujourd’hui d’une classe particulière que j’avais au début des années 1980.

Durant les années 1970 et 1980, il y avait des classes bilingues et des classes arabisées. Dans les classes bilingues, les élèves étudiaient les mathématiques, les sciences naturelles et la physique en français alors que les classes arabisées étudiaient ces mêmes matières dans leur langue maternelle.

En ce temps-là, l’état algérien encourageait les émigrés à retourner à leur pays. C’était la politique de réintégration. Le gouvernement leur procurait du travail, des logements et leurs enfants étaient orientés vers ces classes bilingues pour poursuivre leurs études. Quelques-uns sont revenus, ils n’étaient pas nombreux. Il faut souligner qu’à cette époque il y avait la politique d’arabisation générale. Toutes les disciplines étaient enseignées en langue arabe et les classes bilingues commençaient à être supprimées d’une manière progressive. Pour permettre aux enfants issus de l’émigration de suivre un enseignement bilingue adéquat, l’état avait alors décidé de regrouper ces élèves dans certains collèges et lycées qui disposaient d’un internat.  

Notre collège a regroupé plusieurs élèves venus des villages voisins. J’avais alors une classe composée uniquement d’élèves issus de l’émigration. Ils n’étaient pas nombreux, juste une quinzaine venue de France et de Belgique. J’avais tout de suite sympathisé avec eux. Il y avait une très bonne ambiance durant chaque heure et la bonne humeur était palpable. Ils ne savaient pas s’exprimer correctement en arabe. A chaque séance, on parlait de tout et de rien. Je délaissais quelques instants la grammaire, l’orthographe et la conjugaison pour écouter leurs paroles innocentes. Ils me faisaient savoir s’ils n’ont pas bien mangé la veille, s’ils n’ont pas bien dormi. Tout y passait même ce professeur qui ne leur souriait pas. J’ai pris l’habitude de leur apporter du chocolat ou des biscuits, et on allait jouer au ping-pong. Les collègues et le personnel disait ‘’ C’est la classe de Dahoumane Ali ‘’. Certains les appelaient ‘’ Wled Ali’’ (les enfants d’Ali). Il y avait des jumeaux venus de Belgique, ils ne se séparaient jamais. Ils ont tellement parlé de moi à leur père qu’il était venu me voir ; on a discuté longuement et on a pris des cafés ensemble. Il les amenait le samedi matin au collège et venait les chercher le lundi à midi pour une virée en ville. Il venait enfin le jeudi à midi pour les reconduire à la maison. Tout allait bien jusqu’au jour où, en rentrant à l’établissement, un collègue me dit que les jumeaux étaient en train de pleurer. Je m’étais dirigé rapidement vers la surveillance et le spectacle m’a bouleversé. Les jumeaux pleuraient toutes les larmes de leurs yeux, ils sanglotaient. Une personne se tenait à leurs côtés. C’était leur oncle qui tentait de leur expliquer que leur père est retourné en Belgique pour des formalités administratives et qu’il reviendrait dans les prochains jours mais les enfants ne le croyaient pas. J’ai discuté avec eux mais rien ne semblait les intéresser. Ils lui en voulaient énormément, ils m’ont dit que leur père les a abandonnés. Ils ont continué à venir au collège mais je sentais qu’ils avaient l’esprit ailleurs, le sourire a quitté leurs visages. Trois ou quatre semaines plus tard, ils n’étaient pas venus au collège. J’ai cherché à entrer en contact avec eux mais mes recherches furent infructueuses. Quelques temps plus tard, j’ai appris que les deux jumeaux étaient retournés en Belgique en compagnie de leur oncle. Ma classe préférée se vidait de jour en jour, de semaine en semaine car tous les enfants étaient retournés en France. Comment-ont-ils fait ? Je ne le sais pas. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu une lettre des jumeaux qui m’ont appris qu’ils habitaient à Liège avec leur maman et qu’ils me remerciaient. Par la suite, j’ai reçu des lettres et des cartes postales de la part de quelques élèves. Elles étaient envoyées au collège. Chacun me demandait de passer le bonjour à ses camarades de classe en ignorant qu’il n y’avait plus de classe car, faute d’effectif, la classe a été supprimée de l’organigramme.

Déjà quarante ans nous séparent de cette époque, j’ai oublié leurs noms, leurs visages mais j’ai gardé de cette classe si particulière beaucoup de bons souvenirs. Ils avaient des accents bien différents, un accent du Sud de la France, du Nord et même un accent belge.

A. D.

*Enseignant retraité

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