L'Algérie de plus près

Le métier d’enseignant, un rêve qui me suivait depuis mon enfance

Par Abdelkader Ham

Enseigner a toujours été mon rêve le plus cher. Étant écolier, je répondais toujours « enseignant » aux questions du maître lorsque ce dernier nous interrogeait sur ce que nous voulions être ou faire à l’avenir. Je me souviens que mon choix plaisait à mon enseignant car j’en possédais le profil depuis mon jeune âge : la belle écriture, la bonne maîtrise de la langue, l’éloquence etc.

Mon assiduité en classe m’a permis de franchir les paliers et les cycles sans aucune peine ; j’apprenais vite, et même plus vite que tous mes camarades. Au collège, certains enseignants me confiaient des cours à dispenser, je gérais la classe comme si j’étais un maître diplômé. J’aidais mes camarades à faire leurs devoirs, les élèves des petites classes sollicitaient souvent mon aide pour la réalisation de leurs tâches scolaires comme les exercices de grammaire, la rédaction, la compréhension des écrits, l’interprétation des images etc. Les examens trimestriels et ceux de fin d’année, je n’y voyais pas d’inconvénients, ils n’ont jamais été un souci pour moi. Mes résultats de la première année primaire jusqu’au lycée faisaient du « rentre-dedans ». C’est à partir de la deuxième année secondaire que j’ai commencé à perdre les pédales, et mes résultats sont devenus de moins en moins reluisants, non pas à cause de la complication de la tâche, mais c’étaient les moyens financiers qui me faisaient défaut. Issu d’une famille nécessiteuse, orphelin de père, une mère âgée et incapable de subvenir à nos besoins, des frères qui se sont installés à leur compte, je n’ai pas pu être à la hauteur des exigences de la vie au lycée. Face à cette difficulté, j’avais hâte de terminer les études secondaires pour me consacrer ensuite à la recherche d’un emploi. Les chances d’obtenir un poste de travail, c’était mieux avant, et postuler à un concours, était vraiment aisé. Effectivement, suite à un parcours secondaire pas très convaincant, ce qui a entraîné mon échec au baccalauréat, j’ai été mis à la porte et donc « orienté vers la vie active » à la fin de l’année scolaire. Contrairement à ce que je m’attendais, les chances de se procurer un emploi dans un établissement scolaire en tant qu’adjoint éducateur ou enseignant suppléant ou contractuel, ont diminué. Désœuvré et dépourvu de sous, je quémandais de l’argent pour faire le tour des entreprises et des chantiers dans l’espoir de trouver qui pourrait m’accepter. Huit mois durant, je me levais tôt dans la matinée, je passais toute la journée à parcourir la région et les régions avoisinantes pour rentrer bredouille, vers la fin de l’après-midi. La nuit, c’était les veillées interminables, le tabagisme, les soucis et le risque qui guettait de toute part.

Quand mon ami Ahmed m’annonça la bonne nouvelle

Le 18 avril 1987, alors que je rentrais chez moi après une matinée harassante, j’entendis mon copain Ahmed m’interpeler. Ahmed et moi étions inséparable, on se tenait compagnie tous les jours. Ahmed refusait d’accomplir son service national, il était « insoumis », autrement déserteur. Il vivait la peur au ventre. Dès qu’il apercevait le véhicule vert et blanc de la gendarmerie qu’on appelait autrefois « el khadra » ou que quelqu’un alertait de la présence du véhicule des gendarmes dans le quartier, il prenait la clé des champs. Ce jour-là, Ahmed m’a fait part d’un employeur qui est me chercher pour commencer un travail sur recommandation de je ne sais qui. Je ne l’ai pas cru de prime abord car je connaissais ses plaisanteries. Mais un autre ami qui a assisté à la scène m’a confirmé la véracité des propos d’Ahmed.

Après cette rencontre, je me suis rendu chez moi, je me suis changé et j’ai rejoint l’établissement car le gérant avait dit à mon ami que je pouvais commencer l’après-midi même.

Le 18 avril 1987 restera à jamais gravé dans ma mémoire, le Collège d’Enseignement Moyen Houari Boumediene d’Ouled Ben Abdelkader fut le point de départ d’une carrière professionnelle de plus de trente ans. Adjoint d’éducation dans cet établissement du 18 avril 1987 au 5 octobre de la même année, j’ai suivi une formation d’instituteur à l’Institut Technologique de l’Éducation du 6 octobre 1987 au 4 juillet 1988 avant d’être affecté dans une école primaire rurale le 6 septembre 1988 où j’ai passé quatre années de suite. De cet établissement situé dans un coin très reculé de la contrée, je ne garde que de bons souvenirs malgré les souffrances endurées avec le transport. Les habitants de la bourgade sont très hospitaliers quand bien même étaient de condition modeste, voire très pauvres. Ils nous ont traités comme des rois. De notre côté, nous avons fait de notre mieux pour être à la hauteur de cette prise en charge en matière de restauration. Nous passions la nuit dans une habitation de fortune, les portes nous servaient de lits. Trois bureaux d’écoliers nous servaient de tables à manger ou pour préparer les cours du lendemain. Aussi, pendant cette période qui s’est étalée du 6 septembre 1988 au 11 janvier 1992, j’ai vécu beaucoup de beaux et de mauvais souvenirs ; j’ai connu beaucoup des gens et j’ai découvert des choses très belles. Le 11 janvier 1992, j’ai été transféré à une autre école plus grande, plus commode et, surtout, plus proche de chez moi, ce qui me permettait de manger et de passer la nuit en famille.

Cependant, mon passage dans cette école fut de courte durée. À peine ai-je commencé à m’y adapter qu’une autre mutation est survenue. Cette fois-ci, c’était pour une nécessité de service parce que dans une autre école, au centre de la ville, il manquait un poste d’enseignant de français qui convenait à mon profil de formation. Dès que la décision fut prise, je rejoignis l’école des Frères Himane au mois de février 1992 où trois cours de français m’ont été attribués. La surcharge des classes était ennuyeuse et agaçante si bien qu’adresser la parole à tout le monde, faire lire ou faire écrire des textes à la totalité des élèves était chose pénible. Mais comme on dit, « ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait ». J’ai essayé d’être à la hauteur de la mission en sacrifiant quelques heures de sommeil dans le seul but d’apprendre à mes élèves à s’exprimer, à lire et à écrire en m’appuyant sur l’expérience des collègues, les orientations de l’inspecteur et les conseils avisés de mes responsables hiérarchiques. Au moment où j’ai commencé à me stabiliser et à m’habituer au travail aux côtés d’une équipe pédagogique de renom, il a été décidé de nouveau que je doive retrouver mon poste initial à l’école de Djenane El Hadj pour enseigner la langue arabe. Je suis reparti dans ce trou perdu à contre-cœur où une classe de première année fondamentale m’a été attribuée. Ne sachant comment faire, j’ai sollicité l’aide d’un collègue qui s’est plié en quatre pour que je m’acquitte de ma tâche. Deux mois s’étaient écoulés et ma dépendance affective aux petits anges commence à s’installer.

25 années au service de l’enseignement

Au mois de novembre de l’année 1992, je fus encore appelé à enseigner à l’école des Frères Himane pour l’intérêt du service mais, cette fois-ci, pour une période indéterminée. Effectivement, je m’y suis installé jusqu’au jour où je suis parti à la retraite le 31 août de l’année 2017, soit 25 années durant lesquelles j’ai connu des gens et des responsables à qui je dois toujours un grand respect. J’assurais des cours de français à des élèves de différents niveaux, j’ai participé durant ma carrière professionnelle à des actions de formation, des stages et des rendez-vous pédagogiques. Les multiples rencontres, la participation dans l’enrichissement et les réaménagements apportés aux programmes ainsi que le côtoiement des spécialistes dans le domaine de la pédagogie m’ont permis de me perfectionner davantage et d’acquérir des notions pédagogiques supplémentaires. Afin d’être au diapason des nouvelles approches stipulées par la didactique des langues étrangères et les nouvelles méthodes d’enseignement, je me suis trouvé dans l’obligation de passer le baccalauréat et me entamer des études universitaires. En 2007, soit 21 ans après le premier examen du baccalauréat en 1986, je me suis inscrit comme candidat libre, je me suis préparé pour l’échéance, mais malheureusement, ma tentative a échoué faute de concentration et de préparation mentale. La réussite est venue une année plus tard après avoir cartonné en français, en anglais et dans les autres matières. La moyenne obtenue m’a permis de m’inscrire au département de français.

Université-école primaire : le difficile équilibre

Néanmoins, pour poursuivre mes études, cela n’a pas été chose aisée du moment que j’avais en charge des classes d’examen en main, il m’a fallu toute une gymnastique quotidienne pour joindre les deux tâches. Mais ça en valait la peine. Je me rendais à la faculté, le matin pour assister à quelques cours et je revenais vers les coups de midi pour assurer les cours à mes élèves. Heureusement pour moi, l’équipe pédagogique de l’université a été compréhensive : les enseignants m’ont aménagé un emploi du temps de façon à ce que je puisse assister avec d’autres groupes de même niveau, j’assistais aux cours et aux séances de travaux dirigés de manière intermittente. Quoique je m’absente quelquefois, mes résultats ont toujours été satisfaisants, il ne m’est jamais arrivé de refaire l’année ou d’être ajourné à une session de synthèse ou de rattrapage. J’ai terminé mon cursus au bout des quatre ans décrétés par le système classique. En 2012, le ministère de l’éducation nationale avait instruit les directions d’Éducation à accorder des promotions aux diplômés universitaires. Remplissant toutes les conditions requises, j’ai bénéficié du grade de professeur formateur. J’étais habilité à participer à la formation des nouveaux enseignants et à leur confirmation au poste. J’assurais même des actions de formation et j’animais des journées pédagogiques.

Le 31 août 2017 est le jour qui récompensé une carrière professionnelle de 29 ans et 25 jours durant laquelle j’ai connu des succès et des revers, des satisfactions et des déboires, des hauts et des bas. Le 31 août, c’est le jour où j’ai bénéficié d’une retraite anticipée suite à laquelle je me suis consacré à l’enseignement supérieur en qualité de vacataire puis en qualité de professeur associé, un poste accordé aux titulaires des postes spécifiques. Mon passage à l’université en tant qu’enseignant m’a permis de décrocher un diplôme de master en Sciences du langage, filière français, et de postuler à plusieurs concours de doctorat. Par cette expérience aussi humble soit-elle, je peux dire que j’ai réalisé un tant soit peu mon rêve de toujours.

Abdelkader Ham

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