C’était un jour mémorable. Je me souviens encore, et par le menu détail, de chacun des événements que j’ai vécus par un lundi matin du mois de septembre de l’année 1973. L’école mixte de Maameria, actuellement baptisée Sayah Mustapha, située à mi-chemin entre la commune d’Oued Sly et la commune d’Ouled Ben Abdelkader, était distante de notre habitation d’environ quatre kilomètres à vol d’oiseau. Aux premières lueurs du jour, accompagné de ma mère, je me suis engagé sur le chemin de l’école. D’un pas pressé et soutenu, ma mère semblait fendre le vent, égrenant, par intermittence, qu’il était inconvenant d’arriver en retard et notamment pour ce premier jour d’école. Ma mère semblait livrer un bras de fer avec le temps : elle comptait arriver à l’école avant que le rassemblement matinal ne se tienne et que les élèves rejoignent les salles de classe.
Impliqué malgré moi dans cette épreuve, je tentais autant que faire se peut d’emboîter le pas à ma mère. À moitié endormi, en dépit de la brise du matin, je me trouvais, plus nous avancions, dans l’incapacité de rester collé à l’allure rapide que cette concurrente du temps avait imprégné à notre progression. A mi-chemin, la fatigue commença à se faire sentir ; je dus alors, même si cela contraignait le projet de ma mère, ralentir le pas. Constatant que je trottinais menu, mon accompagnatrice m’agrippa par la main et me traîna avec force tant et si bien que mes pieds touchaient à peine le sol. De par son caractère trempé de campagnarde, ma mère pliait certes aux vicissitudes mais ne rompait jamais. Elle me lança d’une voix saccadée mais ferme : « Nous… Nous arriverons à l’heure. Même si … Même si je dois te porter !!! » Convaincu que ma mère était déterminée à faire tourner sa course contre la montre en sa faveur, je lui rétorquai que je ne voulais d’aucune manière être son boulet et que je puisais par contrecoup dans mes dernières ressources pour être à ses pas.
«Mon fils, reprit-elle, à l’impossible tu es tenu aujourd’hui car les places à l’école reviennent à ceux qui arrivent les premiers» . Elle ajouta sans se départir de son air grave et solennel : «Ici, à la campagne, à l’inverse de la ville, l’accès à l’école…mon enfant est certes affaire d’âge légal mais pas que.… Il est également conditionné par la disponibilité des places».
Des propos de ma mère, je compris que nous étions, d’une part, en mission commandée et que la réussite de cette mission était, d’autre part, au bout de nos souliers. Pour la responsable de mission autoproclamée, il n’était pas question, quel que soit le motif, de ralentir la cadence. Je m’exécutais en bon soldat. Ainsi, tout au long de notre expédition, je réprimais par crainte de m’attirer les foudres de ma génitrice toute velléité de fatigue. Avançant au pas de course, ma mère et moi parcourions, tels des fantômes, les hameaux. Seuls les aboiements des chiens, que ma mère s’empressait d’accueillir de salves de jet de pierre, trahissaient notre passage.
Abdelkader Ham