Le douar déshérité de «Hay Chouhada», près d’Ouled Bouzid, dans la commune de Dahra, est l’illustration parfaite de ce que le président de la république appelle les «zones d’ombre». Isolés, manquant pratiquement de tout, ses habitants gardent toutefois l’espoir de voir quelques difficultés majeures résolues. En priorité, l’alimentation du douar en eau potable.
«Hay Chouhada» doit son nom à la bataille épique qui a opposé des moudjahidine de l’ALN à l’armée française, appuyée par des unités de parachutistes et plusieurs hélicopères et avions de chasse. Un engagement au cours duquel des centaines de morts ont été enregistrés des deux côtés.
La route qui y mène est dans état acceptable mais la signalisation laisse quelque peu à désirer. Un étranger peut facilement s’égarer s’il ne demande pas son chemin aux rares personnes qu’il peut rencontrer en bord de route. Formé d’habitations éparses plus ou moins récentes, pour la plupart inachevées, le hameau vivrait les conditions du 19è siècle s’il n’y avait pas l’électricité, assure un des habitants rencontré sur les lieux.
Les problèmes que rencontrent au quotidien les 150 familles sont nombreux. A commencer par le stress hydrique qui ne fait que s’accentuer. On nous apprend qu’il existe un château d’eau qui dessert le village, il est alimenté par la station de dessalement de Maïnis, près de Ténès. Toutes les habitations sont raccordées au réseau de distribution mais l’eau n’arrive jamais dans les robinets. «Depuis plus de 5 mois, nous n’avons pas eu une seule goutte d’eau dans nos canalisations», affirme un jeune enseignant au lycée de Sidi Moussa, la principale agglomération secondaire de la commune de Dahra. Membre de l’association de quartier «Hay Chouhada», il tient un registre où sont consignées toutes les doléances ainsi que les PV des réunions du comité. «Les douars environnants bénéficient de l’eau potable, sauf le nôtre; nous avons touché pratiquement toutes les autorités locales, de daïra et de wilaya, mais aucune d’elles n’a daigné résoudre le problème.»
Les maladies infectieuses guettent
Face à cette incompréhensible manière de gérer la collectivité, les chefs de familles n’ont d’autres solutions que de faire appel aux services des colporteurs d’eau des communes limitrophes de Sidi M’hamed Benali, l’ex-Renault (R’nou dans le langage local), situé dans la wilaya de Relizane, Mazouna ou à partir des villages frontaliers de la wilaya de Mostaganem. La citerne de 3000 litres coûte 1500 DA. Et il en faut plusieurs par mois pour les besoins de la famille. «Au total, les besoins de chaque famille se comptent à 5 ou 6 citernes par mois, parfois davantage quand on célèbre un événement», souligne-t-il.
A la différence des autres hameaux avoisinants, « Hay Chouhada » n’est pas doté de réseaux d’assainissement. Ici, on utilise encore des fosses septiques qu’il faut nettoyer régulièrement. Parfois, les rejets liquides contaminent les quelques rares puits traditionnels dont le niveau a considérablement baissé ces dernières années. La crainte des maladies à transmission hydrique est prégnante d’autant que les unités de soins de proximité sont mal loties en personnel et en équipements. Un citoyen fait savoir qu’il n’est pas aisé de se faire administrer une injection ou renouveler un pansement. L’infirmier de service arrive à 10 h du matin et doit repartir vite faute de moyens de transport. Ce sont les habitants des lieux qui se chargent de le convoyer jusqu’à son lieu de résidence. Quant à la prise en charge des parturientes, il faut nécessairement s’adresser au chef-lieu de wilaya de Chlef. «A la maternité de Mazouna, on nous dit de nous adresser à notre wilaya, pas à la wilaya de Relizane», s’offusque un habitant qui affirme que tous ses enfants sont nés à l’hôpital d’Ouled Mohamed, à Chlef.
Le transport… par camionnettes bâchées !
Le transport est un autre souci majeur qui cause du tintouin pour les habitants de « Hay Chouhada » et des autres hameaux environnants. Selon nos interlocuteurs, l’échec scolaire dont sont victimes nombre d’élèves de la région est dû aux retards et aux absences récurrentes des enseignants. Parce qu’il n’y a pas de moyens de transport, ces derniers, originaires des communes environnantes, peinent à rejoindre leur poste de travail. Contactée à maintes reprises, la direction des Transports prétexte qu’il y a possibilité d’attribuer des lignes aux postulants, à condition de les désigner parmi les gens de la région. «Il n’est pas dans les prérogatives des citoyens de recruter des transporteurs», dénonce-t-on.
Pour le moment, ce qui inquiète le plus, c’est le risque que prennent les jeunes enfants en se rendant à leur école, distante d’au moins 2 km. D’où le vœu des habitants de voir la mairie construire des classes au niveau du douar pour les préscolaires et les élèves de 1ère et 2ème année.
Une enseignante de « Hay Chouhada » a décrit quant à elle son calvaire. Exerçant dans un lycée à Ouled Ben Abdelkader, ville distante d’au moins 120 kilomètres de son douar, elle doit se rendre au travail le dimanche matin aux aurores. C’est son père qui l’accompagne jusqu’à Aïn Merane d’où elle emprunte un bus pour Chlef puis un autre pour Ouled Ben Abdelkader. Elle passe toute la semaine ouvrable dans son établissement et rentre chez elle tous les jeudis après-midi. Son père l’attend à Aïn Merane, à une trentaine de kilomètres, pour la raccompagner à la maison. Sinon, il lui arrive de la récupérer à Chlef quand les transports viennent à manquer. Quand il pleut et que la terre est gorgée d’eau, elle est obligée, au sortir de la maison, d’enfiler des bottes en caoutchouc afin de ne pas abîmer ses chaussures.
Les commodités essentielles et le superflu
Pendant notre séjour qui a duré de 10h à 23h, nous étions isolés du monde extérieur. Le réseau de téléphonie est quasi-inexistant, il est impossible de se connecter avec un quelconque opérateur. Pourtant, nous assure-t-on, il suffirait d’installer quelques antennes-relais pour assurer des communications fiables. Cela compenserait l’absence de lignes téléphoniques et de l’ADSL.
«Ce sont des commodités essentielles, nous dit un membre du comité de quartier, mais elles sont secondaires pour la population de nos douars qui, elle, se préoccupe davantage de l’eau, de l’assainissement et du transport». Des jeunes renchérissent : «Nous, nos revendications auraient dû être prises en charge le siècle dernier, voire au début du 21è siècle. Demander la fibre optique, le gaz naturel, une polyclinique ou des terrains de jeu et de sports, choses ordinaires ailleurs, relève de l’impossible ici tant nos douars sont marginalisés…»
De nos jours, on prépare fébrilement la rentrée scolaire. Une autre épreuve pour la population, notamment les pères de famille qui doivent affronter de longues chaînes au niveau des guichets de la mairie pour retirer des extraits de naissance et d’autres documents de l’état-civil. Car à « Hay Chouhada », tout comme dans les autres hameaux, les antennes communales censées rapprocher le citoyen de l’administration sont fermées depuis belle lurette.
Abdelkader Ham