L'Algérie de plus près

Les supporters se souviennent encore de ses prouesses : Abdelkrim Djoumadi, « l’ogre » de l’ASO

Voici un article de notre confrère AIT SAADA MENOUER publié dans l’édition du l’édition du 3 au 9 octobre 2018 du journal hebdomadaire Le Chélif (n° 252). Nous le publions in extenso pour nos lecteurs.

C’est par un pur hasard que nous avons rencontré, à Alger, M. Abdelkrim Djoumadi, l’ancien footballeur de l’ASO des années 1970. «Djoumadi el Ghoul», l’ogre comme se plaisent à l’appeler les supporters, vit actuellement à Alger. Il est âgé de 67 ans et, malgré les problèmes de santé qu’il a connus, l’homme garde toujours le sourire et un sens aigu de l’humour. Algérois dans le sang, il reste très attaché à l’équipe de l’ASO dans laquelle il a évolué plusieurs années de suite. Une forte amitié le lie par ailleurs à de nombreux chélifiens, qu’ils soient d’anciens joueurs, dirigeants ou simples supporters.

Abdelkrim Djoumadi est né le 26 février 1951 à Alger. L’ancien stoppeur de l’ASO qui porta fièrement le maillot numéro 4 jouit depuis 7 ans d’une retraite méritée après une carrière professionnelle bien remplie au sein de la Sonatrach.

Comme la plupart des Algériens de son âge, Abdelkrim a appris à taper au ballon dès sa prime jeunesse dans les ruelles et les quelques terrains vagues de son quartier natal, à Alger. «En guise de ballon, nous utilisions du papier journal et du carton autour desquels ils enroulaient de ficelle pour lui une donnait une forme ronde. Rarement ça se tenait le temps d’une partie », dit-il, se souvenant des dures années de la colonisation où la misère était le lot des «français musulmans».

Djoumadi a fait ses débuts en 1965 en tant que cadet au sein du club de la JSMA de Bab El Oued. La saison suivante, il est accueilli à l’ASPTT où il se fit connaître auprès du public. Les sélectionneurs de l’équipe nationale vont remarquer son style et son engagement sur le terrain. Le jeune prodige est appelé en équipe nationale «juniors».

Il enclenche par la suite une carrière au sein de l’ASO qui dura sept années entières. Selon lui, c’est l’entraineur Ahmed Arab qui l’a le plus marqué. «Il m’a repéré alors que je jouais au sein de l’équipe nationale militaire», se rappelle-t-il, ajoutant qu’en 1971, il se trouvait avec Belkaïm Abdelkader et Hamid alors qu’il était sous les drapeaux en qualité d’appelé du service national.

Grand admirateur du célèbre USMA, Djoumadi a tenté de signer avec le grand club algérois mais sa licence a été rejetée car, en étant militaire, il se devait de signer avec un club domicilié à quelque 200 km de la capitale. «La réglementation était ainsi faite, c’est Belkaïm qui m’a introduit auprès des dirigeants de l’ASO où j’ai signé mon engagement avec le club», se souvient notre interlocuteur.

Chassé par ses camarades

La plus grande réalisation de Djoumadi a été sans doute l’accession de l’ASO en Régionale puis en Nationale. Une accession à laquelle il a contribué avec les grandes stars du club à cette époque. Mais malgré ses qualités de stoppeur, il n’a pu être retenu en équipe nationale. La raison ? Il nous l’invoque : «J’ai été appelé en équipe nationale mais M. Mekhloufi, qui était le patron de l’équipe, m’a signifié un refus catégorique. Il a exigé que je signe avec une équipe algéroise pour être admis en équipe nationale. Bien que j’ai joué en équipe nationale comme cadet, junior, espoir et dans l’équipe militaire, il n’a pas été tendre avec moi».

Djoumadi égrène ses  souvenirs et notamment ceux qui, avoue-t-il, le marqueront à jamais. «Le plus beau moment de ma carrière, je l’ai vécu lorsque nous avons accédé en Nationale en 1975». Son plus mauvais souvenir ? «C’est lorsque j’ai été carrément éjecté de l’équipe à cause de deux joueurs qui se reconnaîtront certainement. Ils faisaient la pluie et le beau temps. Il y avait quelqu’un, que tout le monde connaît, qui était le véritable patron de l’équipe, même Rogov, l’entraineur, ne pouvait rien contre lui. Ces deux joueurs m’ont fait subir une pression énorme, j’ai dû malgré moi quitter le club». Un départ qui signe en réalité la fin de la carrière de ce talentueux joueur.

Et pourtant, malgré ses déboires avec les deux joueurs dont il ne veut pas citer le nom, Djoumadi resta très attaché à l’ASO : «Lorsque je jouais à l’ASO, les propositions pour rejoindre d’autres clubs pleuvaient. Il y avait notamment l’USMA qui voulait s’offrir mes services. Mais mon transfert était impossible vu les textes qui régissaient le football à l’époque. Il y a eu également l’USMBA mais c’est moi qui ai refusé à cause de l’éloignement de cette ville. Enfin, il y a eu la proposition du MCA. Sauf que j’ai exigé des dirigeants qu’ils m’affectent un logement. La direction a refusé, j’en ai fait de même».

Parmi les joueurs avec lesquels «l’Ogre» s’entendait bien, figurait feu Abdelkader Belkaïm, avec qui il s’est lié d’une grande amitié. «Je me sentais à l’aise en jouant à ses côtés. On a joué ensemble quand on était militaire puis à l’ASO», nous rappelle-t-il.

Quel joueur craignez-vous le plus ?, nous lui avons-nous posé comme question. Sa réponse est directe : «Franchement, aucun. C’était plutôt le contraire. Même Fréha, le buteur du MCO, que dieu ait son âme, trouvait des difficultés à m’affronter. Ahmed Arab peut en témoigner».

Mekati, Zaïri, et, bien entendu, Arab, ont été les entraineurs qui l’ont le plus marqué dans sa carrière. «Quant à Rogov, je n’étais pas en bons termes avec lui car il subissait l’influence des deux joueurs dont je vous ai parlés», avoue-t-il.

Après l’ASO, le vide et la maladie

Parlant de sa relation avec les supporters, Djoumadi nous fait cette confidence : «Dieu merci, les supporters de l’ASO m’appréciaient beaucoup. Ils me considéraient comme leur fils et moi je les voyais comme des frères. A ce jour, je jouis d’une grande popularité auprès d’eux. Quand il leur arrive de me rencontrer dans la rue, ils me montrent toute leur estime. Et chaque fois que l’un d’eux me reconnait, il me lance cette phrase : «Rah dakhal ch’koun, Djoumadi el ghoul » (qui est-ce qui rentre, c’est Djoumadi l’ogre). C’est ce que les supporters scandaient chaque fois que je pénétrais sur la pelouse du stade pour disputer un match».

Son seul regret : ne pas avoir joué au sein du club qu’il chérissait depuis son enfance, l’USMA. En quittant l’ASO en 1977, il pensait pouvoir réaliser ce rêve.

Après des passages furtifs dans quelques clubs comme l’OMR, il dut se rendre à l’évidence qu’un ressort est brisé : «Après mon départ de l’ASO, il ne m’était plus possible de reprendre ailleurs, je me suis alors retiré de la scène non sans quelque amertume».

La vie ne va pas beaucoup sourire au talentueux joueur. Souffrant de douleurs au dos, probablement dues à son engagement physique sur les terrains de football, Djoumadi subira quatre lourdes opérations chirurgicales en Ecosse où il a dû séjourner près de 23 mois dans un l’hôpital. «Je souffrais de douleurs atroces causées par une atteinte à la colonne vertébrale. J’ai ensuite été admis dans un hôpital en France pour ma convalescence (4 mois). En plus, j’ai subi une opération à Alger qui s’est mal passée, et qui m’a plongé dans le coma pendant près de 50 jour», nous apprend-il, ajoutant qu’aujourd’hui, il va nettement mieux.  

Comme le plupart des joueurs de son époque, il estime que le football pratiqué de nos jours est totalement différent de ce qu’il a connu à l’époque : «Les jeunes jouent pour l’argent, pas pour les couleurs de leur équipe, ils ne mettent pas le cœur à l’ouvrage, tous cherchent avant tout à faire carrière. Moi, je dis  ceci : quand vous jouez, jouez pour le pays, travaillez pour hisser le niveau de votre équipe, pas uniquement pour l’argent…»

À Chlef, il existe quelques bonnes volontés qui pensent organiser un jubilée pour l’ancienne star de l’ASO. Et pourquoi pas, sachant que ce joueur a fait rêver des milliers de jeunes supporters à son époque.

Menouer Aït Saada/Traduit de l’arabe par Ali Laïb

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