Djamel Megharia est parti pour un monde meilleur ce 12 août 2023, laissant un grand vide parmi les siens et ses nombreux amis à Chlef et à travers notre vaste pays. Au café Fedlaoui où il avait l’habitude de s’attabler avec ses proches, c’est la consternation. Encore un être aimé qui s’en va. Sans crier gare. Parmi les plus peinés par sa disparition, son ami d’enfance Ali Dahoumane qui lui a consacré il y a quelques années ce portrait paru dans une des éditions de l’hebdomadaire Le Chélif. Nous le reproduisons dans son intégralité.
Est-il né pour jouer de la musique et chanter car, comme notre amitié date depuis une cinquantaine d’années, et aussi loin que peuvent remonter mes souvenirs dans le temps, je revois toujours mon ami Djamel gratter avec ses doigts sur son satané morceau de bois appelé communément guitare ? Les blocs de nos chers bâtiments de la CIA garderont pour l’éternité les vibrations de ce vénérable instrument de musique. Seule la musique l’attirait et l’envoutait car, à la différence des jeunes du quartier, Djamel était peu porté pour le football. La jungle, «Erroumana» et le terrain des sapins n’étaient pas ses lieux de prédilection. A Chlef, tout le monde a l’air de bien le connaitre. Cependant, dès qu’on évoque son nom, on ne pense ni à l’enseignant ni au directeur de collège qu’il était mais au musicien et chanteur.
Invité à se présenter aux lecteurs de l’hebdomadaire Le Chélif, notre artiste, âgé actuellement de 60 ans, n’y est pas allé par quatre chemins pour nous faire savoir qu’il faisait partie d’une famille nombreuse et modeste comme la plupart des familles algériennes de l’époque. Fils d’un authentique moudjahid de notre glorieuse révolution, c’est avec une touchante émotion que l’artiste nous parlera de l’incarcération de son père dans les geôles coloniales et des énormes sacrifices endurés par sa grand-mère pour subvenir aux nombreux besoins de la famille durant ces moments pénibles. Son père ne retrouvera la liberté que le jour de l’indépendance du pays.
Concernant sa scolarité, Djamel nous parlera de l’école maternelle et d’El Khaldounia (La médersa), établissements où il a poursuivi ses études primaires et, bien entendu, du lycée El Khawarizmi, lieu de passage de presque tous les Asnamis qui réussissaient à leur examen de 6ème.
Après des études dans le secondaire, notre artiste s’est inscrit à l’ITE de Hay Meddahi pour devenir professeur de littérature arabe. Il a tenu à nous signaler que durant cette année, il a fait une brève escapade pour rejoindre l’institut national des arts dramatiques de Bordj El Kiffane mais comme le statut de l’artiste n’était pas très rassurant, il a préféré retourner à l’ITE pour embrasser la carrière d’enseignant, «comme mon défunt père», nous dit-il, avec une pointe de fierté.
Un oubli aux heureuses conséquences
Quand on lui demandait de nous expliquer le secret de ce penchant pour la musique, Djamel nous répondit d’emblée qu’il le doit à son père, que dieu ait son âme, qui a eu l’ingénieuse idée de l’inscrire au centre culturel qui se trouvait jadis dans la rue des martyrs, juste à côté du cercle de l’ASO. «Au début, il m’a inscrit dans la section de dessin. Je tenais un pinceau et j’apprenais à faire des esquisses, je me voyais déjà futur dessinateur», nous confia-t-il. Mais entre le futur chanteur et le dessin, ce n’était pas le grand amour. Il délaissa le crayon et les couleurs pour s’inscrire dans la section de musique. C’était M. Zamit (curé à l’église et qui dispensait bénévolement des cours de musique au sein dudit centre) qui lui donna ses premiers cours de solfège et lui fit aimer la musique. Il fit connaissance avec le piano et les notes de musique. Lors de son initiation et son apprentissage avec cet encombrant instrument de musique qu’est le piano, le regretté M. Moulfi Laid, qui était en ce temps-là directeur du centre culturel, a eu l’heureuse initiative de faire appel à son frère Djelloul, que dieu ait son âme, pour diriger la section musicale du centre culturel. Et c’est en jouant du piano et en écoutant le Chaabi que l’orchestre répétait dans une salle mitoyenne, que le cœur de Djamel a vibré pour cette musique nouvelle pour lui. Djamel eut immédiatement un coup de foudre pour ce genre musical. Il fit connaissance, aima et épousa le Chaabi. C’était un mariage empreint d’amour et de sincérité. Une chose est certaine, notre ami ne quittera plus le Chaabi. C’est son frère Noureddine qui lui apprit à jouer à la guitare. Il nous raconta une anecdote qui restera gravée dans sa mémoire : «Un soir et alors que nous revenions d’une excursion effectuée au musée du Bardo et dans le bus qui nous ramenait à El Asnam, Hamid Benmokhtar, musicien au sein de la formation, passait voir les musiciens un par un pour leur demander d’assister à la répétition qui se tenait le lendemain. En passant devant moi, il m’avait dit de ne pas oublier d’assister à la répétition alors que je ne faisais même pas partie de la formation. C’est grâce à cet oubli que j’ai pu intégrer le groupe et en faire partie».
Voulant connaitre les personnes qui l’ont encouragé à percer dans cette voie, Djamel nous répondit sans l’ombre d’une hésitation qu’il doit beaucoup au regretté Djelloul Moulfi qui était le chanteur attitré de la formation musicale «El Afrah». «Il m’a beaucoup aidé et motivé», nous avoua Djamel. C’est lui qui m’a poussé sur la scène en me demandant d’interpréter la célèbre chanson de Bensahla intitulée «Youm el khemis wach eddani».
Par l’intermédiaire de notre hebdomadaire, il a tenu également à rendre un vibrant hommage au grand artiste Blaoui El Houari qui a été à l’origine de l’enregistrement de ses premières chansons en 1979 et 1980. Djamel avoua que le maestro l’avait soutenu et assisté lors des séances de répétition qui se tenaient à la station régionale d’Oran.
Concernant les chanteurs algériens de l’époque, Djamel nous déclara qu’ils étaient tous bons, sans aucune exception. «Cette belle époque ne renfermait que des monstres sacrés du Chaabi», affirma-t-il.

«Ma tabkiche ya Meskoud» (ne pleure pas, ô Meskoud)
Djamel n’est pas un inconnu dans l’univers musical national. Il a plusieurs chansons à son actif dont les plus connues sont «Mabrouk Ya laaris» chanté en 1978 et «Ya tammaa fi rezk ennas» en 1979. En 1980, il interpréta la célèbre chanson dédiée aux victimes du terrible séisme qui a endeuillé la ville d’El Asnam intitulée «Youm el djemaa kherdjat ed demaa». L’orchestre était alors dirigé par le grand maestro Mustapha Skandrani. En 1990, il interpréta tour à tour « Ouled bladi el djemia», «Ya hassrah âala zeman» et surtout la chanson par laquelle il répondit à Abdelmadjid Meskoud qui pleurait en ce temps-là sa ville natale dans «Dzair ya el assima». Dans cette chanson, Djamel implorait Abdelmadjid Meskoud de ne pas pleurer car Alger redeviendra plus belle qu’autrefois.
Les mélomanes ont eu également le plaisir d’entendre sa belle voix mélodieuse à la radio nationale ou lors de ses nombreuses apparitions à la télévision algérienne. L’artiste nous dira qu’il garde de très bons souvenirs lors de ses nombreux déplacements pour participer à des festivités. Durant ces voyages aussi bien en Algérie qu’à l’étranger, il a eu l’honneur de côtoyer de grands chanteurs et musiciens tels que Blaoui El Houari, Mustapha Skandrani et Chaou Abdelkader.
Quand on l’a interrogé sur l’état actuel du Chaabi à Chlef, notre artiste nous répondit que la région dispose de grands talents. Il citera à titre d’exemple le groupe musical «El Hachimia» dirigé par Berrabha.
Comme conseils à donner aux jeunes musiciens, le ténor leur demande de respecter l’art et de travailler sans arrêt, car c’est là que réside la clé de la réussite. Enfin, quand on lui a demandé s’il avait l’intention de déposer la guitare, comme on dit, le chantre nous déclara que la chanson est comme le sport, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’âge. «Le Chaabi est toujours en moi, dans le cœur et le corps et je n’ai nullement l’intention de l’abandonner», nous dit-il.
Par la même occasion notre artiste adresse ses vifs remerciements au chanteur Abdelkader Bendaameche et à toutes les personnes qui l’ont aidé à terminer le recueil poétique de Hadj Omar Mokrane d’El-Asnam.
Pour la petite histoire et bien que n’ayant pas un goût prononcé pour la musique affectionnée par mon ami, je ne peux m’empêcher d’exprimer toute ma gratitude et mes remerciements à Djamel pour les agréables moments que nous avions passés ensemble près de la station essence de Boudjemaa (route d’Alger) durant les années 1970. Il nous interprétait avec talent les meilleurs tubes de Guerrouabi, El Anka, Boudjemaa El Ankis, Chaou… Tout y passait et nous on dansait et répétait après le maitre. C’était «El Bouffa» qui mettait de l’ambiance et animait ces merveilleuses soirées. Mais là, c’est une autre histoire.
Ali Dahoumane
One thought on “Djamel Megharia : «Le Chaabi est en moi, dans le cœur et dans le corps»”
Bel hommage à une star du Chaabi. Allah yerhmou w wessaa aalih