Le tisserand est plus un artiste qu’un artisan. Son nom vient du verbe tisser, confectionner des habits pour les hommes et des pièces de tissu destinées à la décoration.
Pendant des générations, le tissage a été une des principales occupations de la femme algérienne. Rurale ou citadine, elle confectionnait des couvertures, des étoffes de laine blanche (haïk), des ceintures multicolores pour le mariage de ses filles, des petits châles rectangulaires, des vêtements masculins, des « kachabias » à capuche et des burnous ainsi que d’autres pièces de tissus destinées à orner l’intérieur des maisons, comme les tapis, les carpettes etc. Tout était fait par des mains adroites et assidues. La jeune fille apprenait les secrets de l’art de tisser dès son jeune âge. Le tissage, la broderie et la poterie constituaient les premiers apprentissages que la jeune fille devrait se munir avant qu’elle ne soit donnée en mariage. La précocité du mariage exigeait de la jeune fille une initiation dès son jeune âge aux tâches et travaux domestiques. Le tissage traditionnel est souvent l’œuvre de la femme au foyer qui tissait pour les besoins de la maison, mais aussi pour préparer le mariage de la fille ou du garçon. Ce métier n’est pas facile, bien au contraire. De plus, le don de tisser n’est pas donné à tout le monde, il nécessite patience, concentration et bien sûr agilité. des outils très personnels.
De précieux outils
Ce n’était n’importe quelle famille qui possédait les outils de tissage. Autrefois, nous dit-on, on faisait le déplacement de village en village pour les emprunter. Et ce n’était pas n’importe quelle personne qui pouvait monter un métier à tisser. Il fallait souvent solliciter l’aide de la mère, de la belle-mère ou d’une tante. Ce type d’opération se faisait en présence des jeunes filles intéressées par l’apprentissage du métier. Car, il faut bien le préciser, tout tissage commencé doit être terminé. C’est une règle d’or à laquelle sont astreintes toutes les prétendantes Parmi les outils du tissage, certains sont gardés jalousement par leurs propriétaires. En effet, on ne prête ni les cardes, ni le peigne, ni les quenouilles et bien d’autres choses qui sont très personnelles. Ces outils constituent un héritage incarnant la filiation des femmes. Comment procéder au tissage ? On commence par la tonte des moutons au printemps qui sera lavée. Dans certaines régions, on la fait bouillir et la débarrasser de toutes impuretés. La laine exposée au soleil sèche et blanchit, elle est prête pour être cardée. Ce sont les femmes, encore elles, qui exécutent cette opération. Le filage est immédiatement entamé en faisant tourner un fuseau en bois de forme tronconique à la manière d’une toupie en tenant de l’autre main le bout du fil. L’opération pour construire le métier à tisser est, le moins que l’on puisse dire, compliquée et nécessite une patience et une agilité très particulière. La lourdeur des ensouples, ces deux planches ouvertes des deux extrémités qui sont déposées l’une contre l’autre et tenues par deux montants mis à l’intérieur des ouvertures est primordiale. C’est entre ces deux ensouples qu’est placé le métier. Deux roseaux sont glissés près de l’ensouple supérieure dans l’encroix fait par la fileuse en va et vient. Ce sont les baguettes d’envergure qui maintiennent le parallélisme des files de la chaine.
Le made in China a tout tué
Une fois le tissage commencé, il est très plaisant de le voir, le bruit du lourd peigne (khoulala) incite à un petit somme. Derrière le métier à tisser, les femmes murmurent des chansons qui se mélangent avec les battements du lourd peigne, procurant une mélodie agréable à l’ouïe. Le travail est continuel jusqu’à ce que l’ouvrage prenne fin. Les jours de l’aïd, les vendredis et le Mouloud, date anniversaire de la naissance du Prophète, sont fériés pour les tisserandes. Un rituel des plus étranges est à signaler : le jour de la descente de l’ouvrage ou la coupure de l’objet tissé, on interdit aux enfants de le voir. Les femmes s’enferment toutes seules dans la chambre où se trouve le métier loin des yeux des enfants. Elles procèdent à la coupure puis tout le monde s’attable pour déguster du café ou du thé avec du » r’fis « , une préparation à base de pâte, de miel et de raisin secs. De nos jours, ces pratiques ancestrales font partie de l’histoire. Elles n’intéressent plus personne depuis que citadins et ruraux ont délaissé certains habits traditionnels et commencé à se procurer couvertures, habits et autres tapis made in China dans le commerce.
Abdelkader Ham