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Transports publics et téléphone portable : quand la communication se fait ostentatoire

En dépit des grands services qu’il rend, le téléphone mobile devient franchement dérangeant lorsqu’il est mal exploité par certaines gens. En particulier ceux qui parlent en vociférant à leurs correspondants et, en plus, en étalant au grand jour leurs affaires personnelles devant les gens. Dans les bus notamment où certains vont jusqu’à se comporter de manière fort indécente.

En vérité, le téléphone, fixe ou portable, est censé abolir les distances en rapprochant les correspondants. De nos jours, pratiquement tout se règle par ce moyen de communication irremplaçable. Les avantages de cet outil sont innombrables sauf qu’il est devenu, chez certains, un moyen d’ostentation du fait qu’ils n’ont aucune pudeur à étaler au grand jour leur vie personnelle, portant atteinte à la tranquillité des gens et chatouillant les oreilles qui refusent d’être indiscrètes. Tous les utilisateurs des transports en commun peuvent le confirmer car ce phénomène est devenu leur plat du jour. Jeunes et moins jeunes s’arrangent pour communiquer quand ils sont dans le bus et quand ils sont entourés de jeunes femmes, ou de pauvres bougres rentrant chez eux après une journée de travail épuisante, auxquels on fait croire qu’on est des «quelqu’un». Voici quelques phrases happées au hasard dans un bus en partance de Chlef vers Boukadir : «Allo ! Où es-tu ? Où est parti le camion ? Récupère les papiers chez le chauffeur !» ; «Tu remets 120 millions à untel et tu récupères la marchandise » ; «Dis à Untel que son affaire est réglée et qu’on est là pour le soutenir en toutes circonstances » ; «Tu me la joues sérieuse alors que je t’ai vue avec quelqu’un dans sa voiture…» ; «Je prends note de telle et telle chose mais tu auras affaire à moi, ça je te jure…»

Des insanités de ce genre, les passagers en sont rassasiés eux qui ne comprennent pas comment peut-on parler ainsi, à haute voix et sans aucune forme de pudeur. Et l’on se demande comment ces idiots peuvent convaincre leurs vis-à-vis, en se faisant passer pour des hommes d’affaires alors qu’ils voyagent par bus avec des gens qui n’ont même pas le sou ! L’autre jour, en écoutant un jeune pérorer au téléphone qu’il risque de perdre 3 milliards s’il ne fournit pas le dossier demandé, un sexagénaire enturbanné a osé cette réflexion : « Je ne comprends pas pourquoi ces patrons qui possèdent tout cet argent et ce matériel selon leurs dires s’arrangent pour voyager avec nous en bus entassés comme des sardines en boite ?»

Aucun livre ou revue

Les voyageurs qui n’ont certainement pas besoin d’écouter pareilles balivernes pendant tout le trajet – qui dure parfois plus d’une heure sur certaines dessertes – écoutent malgré eux ces conversations fantaisistes qui traduisent on ne peut mieux la décadence des valeurs et des mœurs. Autrefois, dans les bus desservant les communes rurales, seuls les anciens osaient prendre la parole et tout le monde les écoutait religieusement ; il en est qui racontent des histoires vécues et d’autres qui mettent de l’ambiance pour dérider les visages. Leurs discours n’étaient nullement ennuyeux, bien au contraire. On y trouve des voyageurs qui feuillettent qui un journal, qui une revue ou un livre ; les étudiants, les lycéens et même les enfants du primaire révisaient leurs cours ou les apprenaient. Aujourd’hui, tout cela a disparu. Pas moins de la moitié des voyageurs et voyageuses sont au téléphone. Parfois, on met à fond la musique. Les disputes et les altercations sont récurrentes et fréquentes… Un professeur de langue française dans un collège de la région nous a affirmé qu’il emprunte depuis plus de 5 ans les bus et qu’il n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi certains voyageurs s’arrangent pour porter atteinte à la quiétude et la tranquillité des autres en parlant au téléphone de la sorte. Il est allé jusqu’à faire la comparaison entre les Algériens et les Européens. Ces derniers, au lieu de parler au téléphone, lisent un livre. Ammi Zoubir, un sexagénaire, qualifie cette mauvaise attitude de «fléau qui s’infiltre de manière pernicieuse dans notre société, il est temps de mettre fin à de tels agissements. »

Parfois, ajoute notre interlocuteur, «on entend même des mots déplacés et des expressions vulgaires qui vous mettent hors de vous. Il faut que la direction des Transports décrète des règlements qui garantissent au voyageur paix et quiétude.

Même les scènes de ménage

Thouria de Tlemcen raconte son voyage sur Alger avec l’une de ses amies. Les deux femmes avaient emprunté bus et, au moment où il allait démarrer, le téléphone de son amie sonne. C’était son fiancée qui l’appelait. «Pendant toute la durée du voyage, mon amie n’a pas cessé de parler au téléphone. Nous voyagions de nuit et c’était assez désagréable pour moi et les autres passagers. Deux voyageurs qui étaient près de nous n’arrivaient pas à fermer l’œil. Ma copine avait un malentendu avec son fiancé et c’était la débandade. La jeune fille criait au téléphone et les pauvres voyageurs regardaient sans mot dire.»

Selon notre interlocutrice, la communication a duré plus de huit heures.

Elle dit qu’elle a souffert le martyre et qu’elle était complètement marquée par comportement. «A sa place, j’aurai eu honte », souligne-t-elle, ajoutant qu’elle condamne ouvertement des comportements pareils.

Un transporteur de voyageurs nous fait savoir qu’il n’est pas responsable de ces comportements et qu’il revient aux voyageurs de lutter contre ce phénomène. Il est devenu quasi-impossible de voyager en famille dans de telles circonstances. A qui incombe la responsabilité ? Dans l’espoir de trouver une issue, le voyageur continue de payer cash la facture de ces irresponsables qui pervertissent la société par leur écart de conduite.

Abdelkader Ham

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