Le dernier Salon de Chlef a brillé par le dynamisme de ses auteurs et le mélange des générations de ses auteurs, éditeurs et visiteurs. Parmi la relève des écrivains, Ammar Salem et son recueil de nouvelles au titre mi-énigmatique, mi-cybernétique : « Mektoub en ligne ».
L’histoire est fluide, anecdotique, sous l’angle du personnage Amine coincé dans son quotidien et une famille envahissante et bruyante. Les petits gestes du quotidien parlent d’eux-mêmes… dérisoires et pesants. Dans un présent aux allures d’habitudes domestiques, Amine, célibataire endurci, passe de son domicile à son annexe le cybercafé d’Hamou, son lieu provisoire de travail et lieux de rendez-vous quotidiens des jeunes du quartier. En quelques dialogues, un tableau simple et évocateur d’une vie simple et résignée par les contraintes économiques, les dépôts de ses candidatures auprès de nombreuses entreprises étant restées vaines. L’auteur observateur de l’existence dans ses moindres détails, ne cherche pas à grossir le trait par des effets de style. Il note l’essentiel des gestes et des répliques et nous les livre tels quels avec une humanité palpable. Le cybercafé « jamais vide » où « les clients sont nombreux et fidèles » semble le lieu de tous les espoirs et, accessoirement, des échanges de cigarettes ou autre succédanés, plutôt succès-damnés. On y vient griller son ennui ou ses rêves de jours meilleurs. « Si c’est seulement des cigarettes, maalich… » ajoute Amine à un client réfractaire à sa surveillance rigoureuse. Le talent en herbe de ce 1er recueil de quatre nouvelles qui sera suivi d’autres recueils, soit une suite thématique des relations, opportunités de travail et dangers sur Internet, mêle avec une grande sobriété le flux de l’oralité à une technicité romanesque actuelle capte l’intérêt du lecteur dès les premières lignes. Quelques figures féminines, dont celle plus présente de la mère, Fatouma, qui voudrait tant changer le cours des choses, se glissent avec intérêt et distance dans cet univers privé. La boîte mail accompagné de la webcam qu’Amine ouvre à son retour du travail est une fenêtre sur le monde parfois traversé de demandes d’aide bien étranges. Cette « Lydie » du Québec qui le poursuit derrière l’écran de son discours ciblé, aura-t-elle raison de son bon sens et de son coeur?…
On ne peut qu’encourager ce nouvel élu de la littérature en partageant cette première nouvelle du recueil et remercier l’initiateur et concepteur de ce 3em Salon de Chlef, Monsieur Ali Laib, qui chaque année, fait la part belle aux jeunes écrivains. Longue vie à ce surprenant et convaincant « Mektoub en ligne »!
Jacqueline Brenot
« Mektoub en ligne » d’Ammar Salem. Editions El Amel (mars 2023)