L'Algérie de plus près

L’Education ne suffit pas à la dignité

Par Karim Bouhassoun*

On m’a fait l’honneur de me demander d’écrire un texte pour le 3e salon national du livre de Chlef, ville où je compte quelques amis fidèles.

Le thème de l’année gravitant autour de l’éducation des femmes et de la dignité, je ne peux pas m’empêcher de penser à mère. C’est un vrai réflexe algérien, je sais. Elle qui n’est pas allée à l’école. Qui a quitté sa terre natale près de Mostaganem et les siens pour fonder une famille. Et réussir à emmener tous ses enfants aux études supérieures. Loin, là-bas, en France. Les difficultés de la vie ont fait qu’elle s’est retrouvée veuve trop jeune. Comme si l’exil n’était pas suffisant. Elle a tenu bon malgré les difficultés. Et nous sommes devenus nous, ses enfants, ce que nous sommes, grâce à sa ténacité et son tempérament naturels. Je dis souvent à mes amis, et je l’ai écrit dans un livre d’entretiens avec Rachid Arhab il y a quelques années, que ne sachant pas lire, ma mère savait tout de même si nos devoirs d’écoliers n’étaient pas faits. Ma mère est la preuve vivante que l’on peut savoir lire sans savoir lire. La preuve que l’éducation ne suffit pas à la dignité.

La dignité est assurée en partie par l’éducation, c’est vrai. Mais pas seulement. Autre éminent exemple, que j’aurais pu citer avant ma mère : le prophète de l’Islam, que la Paix et le Salut soient sur lui, n’était-il pas analphabète ? Il a pourtant donné le départ, par sa vie et son œuvre, à une des plus brillantes civilisations de l’Histoire. Une civilisation globale, avec une dialectique complète qui va du canon juridique et des codes sociaux à la maîtrise de l’art de la guerre, des sciences exactes et jusqu’à la philosophie.

A Sciences Po et à la Sorbonne, j’ai appris à maîtriser les lettres. Et l’art de l’antithèse. Je continuerai donc ma démonstration en disant le contraire de ce que j’ai dit. Le thème de l’exercice écrit de réflexion au concours d’entrée à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, où j’ai étudié plus jeune, est tout indiqué. « La littérature, comme toute forme d’art, est la preuve que la vie ne suffit pas. » Alors oui, nous avons besoin de lire, et d’écrire. Ecrire pour imaginer. Ecrire pour se souvenir. Ecrire pour transmettre. Lire pour ressentir. S’enrichir. Alimenter sa propre plume. Et dépasser l’horizon de notre quotidien.

Alors c’est au chaland, au lecteur – ou à la lectrice – de se faire une religion en la matière. Je n’en dirais pas plus. Si ce n’est pour rendre hommage à toutes les femmes algériennes, combattantes, résistantes, mères courage, entrepreneuse, gardiennes à la fois de notre identité algérienne, de notre fierté et de l’éducation de nos enfants.

K. B.

*Conseiller politique, auteur de plusieurs ouvrages dont « Que veut la banlieue », « Soyons philosophes », co-auteur de « Quatre nuances de France ».

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