Orpheline de père depuis son jeune âge, Hadja Zahra Benaoun est le 3ème enfant d’une famille de quatre frères et sœurs auxquelles elle a tous survécue. Née en 1934, elle est issue du mariage d’une noble fille de la tribu des Ouled Nail et d’un soldat de la tribu des Ouled Hedjadj de Hassi Rmel sédentarisé à Laghouat, elle est le témoin vivant d’une époque révolue de la vie saharienne au Tidikelt ou les difficultés dues à la nature hostile et la faiblesse des moyens l’ont marquée.
Comme elle n’a eu cesse de l’évoquer de son vivant (elle nous a quittés depuis plusieurs années), Hadja Zahra a eu le privilège d’épouser un homme lettré, ancien receveur des postes d’In Salah originaire de Ouargla. De trente ans son ainé, car elle avait à peine treize ans quand elle l’a épousé, c’est vers le ksar de Ouargla que feu Abdelkader Idder dit El Bouchti a transporté sa jeune épouse en camion cette fois-ci. Sept ans plus tôt, c’est à dos de chameau que la petite Zahra, sa mère Lalla Aicha Bent Benalia et son petit frère Messaoud parcouraient les soixante Km séparant In Salah d’In Ghar. Voici son récit :
« Sauf cas exceptionnel, le voyage vers In Ghar se faisait deux fois par an, l’une en automne pour la récolte de datte et l’autre au printemps pour la récolte de blé et autres céréales et condiments. Souvent on sortait d’In Salah peu après la prière du Dohr pour aller vers El Matyah qui est le dernier point du village. On avait pour chamelier attitré Kouider Boukarkar qui était un homme de confiance connu de mes grands parents. Il nous réservait deux montures, l’une pour ma mère et l’autre pour moi et Messaoud Allah Irahmhoum. On se débrouillait pour prendre la bête la plus conciliante et la moins haute. Le chamelier quant à lui tenait la bride de notre chameau et marchait droit devant lui tandis que ma mère qui savait très bien se tenir sur la bête et connaissait le chemin nous suivait. Au lieu-dit H’deb Hadj Brahim, on s’arrêtait pour une première pause pour la prière du A’assr mais on ne s’y attardait pas car il fallait à tout prix arriver à la forêt de Taghbara au crépuscule. C’est là qu’on passait la nuit. Taghbara est une forêt de bois pétrifié qui est restée verdoyante par endroit et ou on trouvait encore des arbres de Fersig, Latel, Zeita, Dhmar et Tabarkat, des cours d’eau et du bois dans mon enfance, elle se situe exactement à mi-chemin entre In Salah et In Ghar. Mon père y avait ouvert une piste qu’on appelait ‘’Trig Benaoun’’ soit la route de Benaoun et qui a disparu depuis car à présent la route vers In Ghar ne traverse plus Taghbara mais la contourne.
60 kilomètres à pied
Je me rappelle avec plaisir de cet endroit ou il me plaisait de jouer avec mon petit frère tandis que notre guide préparait le feu et que ma mère nous concoctait un bon petit diner en plain air. Généralement c’était soit un pain fourré à la tomate, oignons et graisse qu’elle cuisait sous du sable blanc, sinon elle nous préparait une bonne khebzet el mella selon le même principe mais la sauce était cuite séparément et on aspergeait le pain sec d’une bonne sauce rouge très épicée. On passait donc la nuit sur de petites nattes à la belle étoile et à l’aube, on reprenait la route frais et dispos vers Hassi Ouenni. C’est un endroit qui surplombe In Ghar ou on se désaltérait et remplissait la guerba pour la dernière étape du parcours pour enfin arriver à bon port vers la mi-journée. Le voyage était long mais pas très fatiguant pour l’enfant que j’étais mais j’imagine que pour le chamelier qui se tapait 60 Km à pied, les choses étaient perçues autrement car le périple durait une nuit et demi quand même. Boukarkar connaissait très bien la route, les risques de se perdre planaient sur ceux qui ne connaissaient pas les lieux notamment la déviation vers ‘’El Ghaba El Kahla ‘’ la foret noire située au centre de Taghbara et qui ne mène ni à In Ghar, ni à Tit, ni à Aoulef. C’est une sorte de foret dense ou on se perdait et ou il était difficile de se faire secourir. C’est pour ça qu’on payait l’équivalent de 150 DA par monture ce qui était une petite fortune dans le temps à ce connaisseur et professionnel des pistes sahariennes, d’où la coïncidence des déplacements avec les saisons de récolte ce qui nous permettait de payer allégrement les frais. Autrement la forêt ne nous faisait pas peur et il n’y avait rien de nuisible car les familles en déplacement s’y retrouvaient pour la nuit en bivouac et c’était très amusant pour les enfants.
J’ai en souvenir qu’il y avait à In Ghar des champions de la marche à pied qui faisaient la navette entre In Salah et In Ghar en cas de nécessité ou par besoin pour certains. Je me rappelle de Baiba Baba en particulier. Outre son endurance mémorable et son appétit vorace après autant de kilomètres parcourus, j’ai un souvenir vivace de cet homme que j’ai eu à envoyer personnellement le jour de mon accouchement de mon fils Abdallah. En 1956, mon mari n’avait pas encore été emprisonné par l’armée coloniale, il était en poste alors que je m’étais déplacée plusieurs semaines auparavant chez ma mère pour accoucher. Et bien, Baiba qui était un homme fort, mince et très musclé est parti à l’aube d’In Ghar pour arriver à In Salah au coucher du soleil avec pour mission de porter la Bchara, la nouvelle de la naissance de son deuxième garçon à mon mari. Ce même Baiba est parti chercher le médecin d’In Salah lors de l’accouchement de ma sœur Zeineb qui avait des grossesses difficiles et a succombé à la dernière de ses césariennes. Le médecin ne se déplaçait qu’une fois par mois, le reste du temps c’était au malade d’aller le voir mais il venait en cas d’urgence. Le voyage à dos de chameau a continué bien longtemps après que nous ayons quitté In Salah pour Ouargla mais la vraie révolution fut celle de Abdennebi qui a ramené la première Simca de Tunisie. C’était la première voiture d’un particulier qui rentrait à In Salah et c’était le premier routier et transporteur de la région mais ça, c’est une autre histoire. ».
H. A.