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Roman maghrébin francophone : quel rapport entre la littérature et la religion ?

Par Nour-El-Houda Benderdouch *

La journée d’études internationale sur l’Islam dans le roman maghrébin francophone qui s’est tenue en décembre dernier, à l’université de Chlef, a eu le mérite d’aborder des questions essentielles qui font toujours débat dans les cercles savants. Organisée en ligne à la faculté des langues étrangères de l’université Hassiba Benbouali de Chlef via l’application Google Meet, elle avait pour but de promouvoir la recherche scientifique et de renforcer l’échange intellectuel au sein de la communauté universitaire. 

Les intervenants ont tenté de répondre à la problématique de l’entrecroisement du fictionnel et du fait religieux dans le roman maghrébin francophone. Elle avait notamment deux objectifs capitaux :

– Repenser activement la problématique de l’entrelacement du sacré et du fictionnel dans le roman maghrébin francophone ;

– Croiser les regards des chercheurs sur la manière d’aborder l’Islam dans l’écriture littéraire maghrébine de langue française.

Les récits de fiction des romanciers maghrébins sont jalonnés d’événements historiques en rapport avec l’Islam qui s’impose comme une donnée référentielle capitale sur laquelle est fondée leur imagination créatrice. L’organisation d’un tel événement scientifique nous a permis indubitablement de disséquer les éléments substantiels d’un récit hybride qui interroge les fondements d’une religion noble et sacrée à travers six axes de réflexion non exhaustifs :

– Le discours religieux dans le roman maghrébin : entre hybridation romanesque et renouveau esthétique.

– Sacralisation et représentations symboliques du Prophète à travers le récit maghrébin francophone.

– L’Islam entre radicalisme et réformisme dans la littérature maghrébine.

– L’Histoire de l’Islam dans la fiction littéraire maghrébine.

– Coran et pratiques islamiques dans la littérature maghrébine francophone.

– La traduction du fait religieux à travers la fiction romanesque maghrébine.

L’événement sur la littérature et la spiritualité islamique a été honoré de la présence de la docteure Lynda-Nawel Tebbani, chercheure en lettres et romancière à Paris, qui a présenté une communication prolifique portant sur « Saints, Lieux sains et rites culturels dans le récit poétique Moi, ton enfant Éphraïm » du poète algérien Soheil Dib qui met en relief le syncrétisme judéo-islamique à Tlemcen. Une vision panoramique a été étalée par la Dre Samia Mouffok de l’université Mustapha Ben Boulaid (Batna 2) sur les formes de présence du discours islamique dans le roman maghrébin francophone en analysant avec perspicacité le phénomène de l’hybridation linguistico-culturelle et le procédé de la profanisation qui désigne, selon Paul Tillich de l’université de Laval, une action anti-sacrée, sacrilège qui s’accomplit donc dans la sphère du sacré.

Dans la même veine, la Dre Leila Bouzenada de l’université Lounici Ali (Blida 2) est revenue, dans son intervention enrichissante, sur le discours subversif et l’écriture blasphématoire dans l’œuvre romanesque de l’écrivain anti-intégriste Amin Zaoui dont les écrits sont presque entièrement consacrés à la question de l’Islam et les guerres religieuses. Dans son dernier essai La boîte noire de l’Islam paru aux éditions Tafat, Zaoui amorce la question du « sacré et de la discorde contemporaine » en vue d’extirper l’Islam civilisationnel du sépulcre de l’intégrisme et de la haine.

Littérature, islam et condition féminine

En offrant une esquisse de la vie du Saint Prophète Muhammed ﴾ﷺque la prière d’Allah et Son salut soient sur lui﴿, le Dr Hichem Boudjemaa Bachir de l’université Ahmed Ben Yahia El Wancharissi (Tissemsilt) a décortiqué ingénieusement les enjeux discursifs d’une référentialité problématique dans la réécriture de la Sira du prophète dans Le Silence de Mahomet de Salim Bachi. La même problématique a été disséquée intelligemment par les docteures Naima Merdji et Mekkia Bennama de l’Université Abd El Hamid Ibn Badis (Mostaganem) dans une intervention intitulée : À la recherche du récit incontestable dans Les derniers jours de Muhammed de l’écrivaine tunisienne Hela Ouardi à travers une ré-historisation du récit sur l’Islam en plaidant ainsi pour une valorisation post-mortem d’une figure héroïco-religieuse.

En revenant à la représentation de la femme en Islam, les docteures Mahdjouba Benattou du centre universitaire Salhi Ahmed de Naâma et Mokhtar Saidia Nawel de l’université Hassiba Ben Bouali de Chlef, ont explicité pertinemment le statut de la femme dans Loin de Médine à travers une vision djebarienne qui décrit merveilleusement les aventures miraculeuses des héroïnes musulmanes dans une Arabie en pleine agitation.

La Dre Yasmine Baghbagha de l’université d’Alger 2 a examiné, quant à elle, la condition féminine et le discours polyphonique dans cette fiction polymorphe sous forme de chroniques historiques.

Dans ce même cadre, la Dre Wafaa Berkat du département de langue anglaise de l’université de Chlef a repensé activement le phénomène de l’oppression des femmes durant la décennie noire dans Women Without Memory (Femmes sans mémoire) de l’écrivaine algérienne Houda Darwish.

La problématique du totalitarisme religieux n’a pas manqué d’ébranler les avis et les positions des intervenants grâce aux communications fructueuses des deux doctorantes Mlle Ilhem Abbad de l’université Abderrahmane Mira de Bejaïa, et Mlle Fatima Zohra Boulares, de l’université d’Alger 2 qui se sont penchées sur le sujet du totalitarisme dans 2084 : la fin du monde de Boualem Sansal et Les hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra.

Les questions de radicalisation et de déconstruction du discours intégriste ont été disséquées avec tant de verve par la Dre Naima Hocine de l’université de Chlef qui a choisi comme corpus Khalil de Yasmina Khadra, un roman réaliste dénonçant sans complaisance la folie terroriste par le prisme d’une écriture provocatrice.

Religion et littérature, un lien constant dans le roman maghrébin

Sortant de la sphère littéraire algérienne, le Dr Redhouane Kerrouzi de l’université de Chlef nous a livré un regard d’une perçante acuité sur l’Islam syncrétique dans la littérature marocaine en prenant comme exemple les romans tapageurs de Driss Chraïbi qui dénigrent, de façon fracassante, l’Islam et la société marocaine.

Dans la même optique, l’organisatrice de la journée Mlle Benderdouch Nour-El-Houda s’est focalisée sur les aspects de l’écriture du sacré et de la mystique soufie dans Phantasia d’Abdelwahab Meddeb qui allie miraculeusement l’érotisme et le sacré dans un espace romanesque kaléidoscopique.

En alternant chance et hasard, la Dre Warda Derdour de l’université de Chlef nous a gratifiés d’une lecture réfléchie de Balak de Chawki Amari, roman dans lequel l’auteur met en branle la dérive sectaire et les défaillances politiques d’une Algérie onirique.

En passant au domaine de la traduction, le Dr Zine El Abidine Ben Haddi de l’université de Chlef a focalisé son attention sur le transfert interlingual et culturel des références religieuses dans le roman algérien francophone.

Le docteur et traducteur Farouk Afounas a souligné, quant à lui, le rôle cardinal de la traduction dans l’actualisation de la dimension religieuse du discours littéraire maghrébin en soumettant une proposition consistante sur : « Le sens du sacré révélé par le transfert des culturèmes religieux dans la traduction arabe du roman maghrébin d’expression française »

Ces différentes interventions de très haute qualité feront l’objet d’un ouvrage collectif qui sera sans doute considéré comme une référence incontournable sur la question du fait religieux dans le champ littéraire. Le triptyque littérature, religion et spiritualité constitue un objet de questionnement épineux qui a donné lieu à de multiples débats et critiques. Vu la complexité de ce rapport, les chercheurs ne cessent donc de redonner de l’actualité au sujet de la représentation de l’Islam dans les littératures francophones.

N. E. H. B.

*Enseignante à l’Université Hassiba Benbouali de Chlef)

One thought on “Roman maghrébin francophone : quel rapport entre la littérature et la religion ?”
  1. Très Bravo chère madame l’organisatrice de la journée d étude internationale- Mlle Benderdouch Nour-El-Houda . Très bonne continuation . C était une journée extraordinaire .
    Dr. Wafa BERKAT
    Département d anglais , université de Chlef , Algérie

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