Les territoires insoupçonnés de l’humaine condition
Depuis que certains virus se sont glissés dans la marche accélérée du monde en imposant un changement de vie des sociétés, certains de ceux qui ont survécu à la pandémie ont pris la plume pour témoigner. Ce récit illustre un état des lieux intimes et collectifs sous l’emprise d’un mal inconnu qui, comme la peste, répandait la terreur dont « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Contre l’amnésie des épreuves récentes et l’anxiété d’un retour viral, la force de ce récit authentique apporte un témoignage riche d’observations et de valeurs humaines.
Le récit débute en juillet-août 2021, après deux ans déjà de mesures barrières des plus simples au plus sophistiquées, et surtout avec une même quête, celle de l’oxygène et de ses extracteurs contre le dernier variant « Delta », qui comme celui du Nil se divise en autant de bras ramifiés… De plein pied dans cet univers anxiogène, l’auteure ne se prive pas de mettre en scène la panoplie du parfait citoyen masqué, ganté, à l’affût des dernières spéculations pour contrer le mortel virus. Aucun détail n’est épargné pour attester du combat acharné des soignants et du simple citoyen mis à rudes épreuves. L’auteure touchée dans son corps et hospitalisée résiste avec les siens et décide au début de témoigner par « smartphone » interposé. C’est là que le récit prend une tournure particulière, car dans le contexte de lutte concurrentielle des géants de la Technologie où le manque de générateurs et concentrateurs d’oxygène se négocie à prix d’or, cet appareil si commun va tenir tête à l’agression du virus. Il n’en faut pas plus à la narratrice, tel un récit chevaleresque jeté à la face du « Corona… Covid… variant Delta », pour le défier de sa généalogie illustre et particulièrement de l’héritage paternel. Les poèmes s’enchainent relativisant par les mots les crises d’étouffements et la gêne du masque à oxygène. La parole bâillonnée a plus d’un tour dans son arsenal offensif. Lorsque le virus pénètre au sein de la famille, l’hécatombe commence mais n’est pas ébruitée pour limiter l’anxiété. Le récit s’accélère et focalise sur chaque symptôme alarmant et instinct de survie, mais aussi sur la logistique improvisée face aux entraves d’une hospitalisation à proximité du domicile. L’enchaînement des faits dans l’urgence se déroule comme un film à suspens où chaque seconde compte. La contamination s’accentuant, plus de réunions familiales pour célébrer les fêtes, juste des prières et l’extracteur d’oxygène pour survivre. Au passage de l’ambulance dans laquelle la narratrice est transportée, la beauté de la nature soulignée par celle qui lutte de tout son souffle, ajoute une poésie de l’instant au drame. Dans cette course pour la vie, les manifestations de solidarité de chacun, dont celle de Rym, sa fille et de son gendre, se multiplient en dépit du danger de la contamination. Sans entrer dans le détail des événements, l’inquiétude des proches et la multiplication des décès autour de la malade attestent de la gravité ambiante, avec le rappel perceptible de l’imminence des désaturations et la « potence » à perfusions à proximité. C’est ainsi que le récit avance entre le dédale de souffrances des victimes hospitalisées, résistant jusqu’au bout pour ne pas finir comme « un chiffre à ajouter aux statistiques annoncées quotidiennement par une voix lugubre » et la volonté irréductible de la narratrice de vaincre le mal. Si ce n’était pas le sort de centaines de milliers de malades dans le monde auquel chacun de nous avons été confrontés, l’histoire pourrait s’apparenter à de la Science-fiction. Des portraits de malades alités s’accrochant à leurs proches dévoués montrent la fragilité et la dépendance de nos existences. Au passage, la narratrice met l’accent sur la « docilité servile » dans l’abnégation de certains. Plus ce mal décime, plus l’humain développe ce qu’il a de meilleur en lui.
Pour contrer la violence des épreuves, la narratrice s’attache à tisser des liens de survie avec son entourage et entretient l’espoir permanent d’une guérison. Malgré la gravité croissante de la situation, un état de grâce semble s’emparer de la famille autour de la malade.
Dans la représentation détaillée de la maladie de cette « Algérie en souffrance » où la vie de chaque malade alité est rythmée par la régularité ou le manque de souffle , les prouesses de la prise en charge du personnel médical et le niveau des réserves d’oxygène occupent une place prédominante. Espoir et tourments généralisés alternent au rythme des effets inattendus du virus. Quand tout nouveau plan de guérison semble vaciller, la narratrice prend le parti d’évoquer les souvenirs d’une enfance heureuse en la compagnie lumineuse des livres et de la nature. Plus tard, avec la guérison, à la sortie d’hôpital, la vie semble reprendre son cours avec la visite des petits-enfants. Mais c’est sans compter avec les décès de proches qu’il faut à présent annoncer, comme celui d’un des gendres et auquel l’auteure dédit un texte de louanges.
L’intérêt de cet ouvrage qui s’achève sur une série de poèmes, réside aussi dans ce combat partagé entre les malades hospitalisés, rehaussé à l’occasion par une élégie comme chant de résistance ou des éloges au dévouement du personnel médical, nominatives pour certains médecins ou amis et parents.
En convoquant les phases extrêmes et pernicieuses du virus dans les espaces de l’hôpital, ou à l’extérieur, en citant les « sans domicile fixe », sans rien n’éluder ni de la rage de lutter, ni des phases de désespoir, l’auteure mesure avec lucidité le degré de résistance humaine qui force l’admiration.
En dépit des ravages entraînés par ce virus sur les malades et le moral de la population, ce récit s’attache à mettre en valeur les tréfonds de résistance physiques et spirituelles extraordinaires. Mieux qu’un traité philosophique sur l’Ethique en période de crise ou une analyse comportementaliste sur les effets d’un virus à l’échelle mondiale, ce témoignage personnel et direct invite à repenser autrement pour échapper aux tragédies du réel.
Jacqueline Brenot
Pour une bouffée d’oxygène… de F.Z. Slimani -Douadi. Editions Elqobia – février 2022
F.Z Slimani -Douadi est née à Ténès. Elle a enseigné dans le Secondaire et a publié son premier roman après avoir partagé ses écrits en prose et poésie sur les réseaux sociaux.