L'Algérie de plus près

« Une valse » de Lynda Chouiten : un perpétuel exercice d’exorcisme

Par Aomar Khennouf

Je ne suis ni critique littéraire ni un spécialiste es-qualité de la littérature. Je ne suis qu’un simple lecteur qui partage ses impressions de lecture. J’ai trouvé en Lynda Chouiten, comme chez beaucoup d’autres d’écrivains et romanciers contemporains, la sensibilité et la pertinence de nos ainés. Face au vide qu’ils ont laissé, nous ne pouvons qu’être heureux de la profusion de ces jeunes talents qui nous font aimer de nouveau notre littérature de manière générale et celle d’expression française notamment. Cette langue qui n’est que notre butin de guerre comme l’a si bien définie Kateb Yacine.

Cela dit, permettons-nous « Une valse ». C’est un roman qui fera valser vos neurones comme il a fait valser les miennes parce que cette lecture ne peut nous laisser insensible à son charme et à sa musique. Comme elle comble, au même titre que d’autres merveilleuses plumes, une partie du vide culturel dans lequel nous avons été immergés jusqu’à la ‘’gatocha’’ durant trois décennies. Aujourd’hui, dans ce renouveau du mouvement littéraire et culturel, bien amorcé, Lynda Chouiten nous apporte une part de bonheur.

« La valse » aborde un sujet qui est et restera, à mon sens, assez difficile à aborder et à cerner : la femme dans son être et dans son devenir. Quels que soient les outils sociologiques, pédagogiques ou théologiques avec lesquels on traite ce sujet, les positions restent souvent inébranlables dans une société qui se cherche et n’arrive pas à se retrouver. Aussi, je ne fais, dans la présente note de lecture, que suivre les péripéties de l’héroïne de Lynda Chouiten, une jeune femme qui veut s’en sortir et s’émanciper par la force de son caractère et par le métier sur lequel elle fonde tous ses espoirs. Il y a dans ce roman un je ne sais quoi de profondeur et d’intrigue, mélangé dans la réalité quotidienne avec des brins de folie. Il faut vraiment rester concentré pour ne pas perdre le fil de l’histoire narrée dans un style introspectif qui n’a cessé de titiller mon esprit et ses penchants graves pour la solitude, pour ne pas dire pour l’autisme. Je ne vis pas dans une bulle, mais il m’arrive de m’y enfermer de temps à autre pour échapper aux brouhahas et aux tapages de mon époque.

Fragments de vérité

Autant à son agitation dans tous les sens et qui m’échappe autant qu’à l’auteure, qui le définit d’une manière assez éloquente avec cette phrase placée dans la bouche de Chahira :  ‘’… d’où les gens tenaient les informations qui ne parvenaient jamais à la pauvre autiste qu’elle était’’.

Pour celui qui se sent dans cet état d’âme, il est aisé de comprendre que l’héroïne ne fait que se remettre en cause perpétuellement devant tant de ‘’certitudes’’ et tant ‘’de sources sûres’’. Ce qui n’est, en fin de compte, que la résultante du marasme dans lequel se débat notre culture et l’incongruité des directives pédagogiques obsolètes, idéologisées et instrumentalisées qui nous ont dépourvu de tout esprit critique. Tous ces paradigmes soulignés sont résumés par : ‘’L’histoire de l’éternel bras de fer entre la Vérité et la Peur’’. Les majuscules sont de l’auteur. Une manière de personnifier les pôles du bras de fer. Parce que, comme le dit si bien Djallal Edine Rumi : ‘’La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve’’. Surtout que nous sommes, tel que le caricature Lynda Chouiten, dans ‘’une situation qui ressemble à la salle d’attente d’un psychiatre… les gens avaient peur pour leur tête où régnait le chaos, à l’image du pays… Elle ne lui avait pas parlé de ces larmes douloureuses, de ses peurs, de son épuisement du mot « psychose » tombant comme une lourde condamnation, peut-être à perpétuité’’. Condamné à perpète, ne le sommes-nous pas devant tant d’autodénigrements.

Hommes ou démons ?

Il peut sembler aux lecteurs de ma présente note que je m’éloigne un peu du sujet. Je pense que ceux qui l’ont lu ou qui le liront peuvent partager mes impressions. Dans ce roman, le lecteur accompagnera Chahira dans un perpétuel exercice d’exorcisme. Il est recommandé de rester concentré pour ne pas perdre le fil de l’histoire de Chahira et la musique de La valse. En effet l’héroïne dont le prénom est prémonitoire et tellement incompris, ne cesse de se battre contre les démons à figures humaines tapies au fond de notre conscience ou de notre inconscience. Alors, je reviens dans l’histoire de ce roman qui a reçu le prix Assia Djebbar en 2019. L’auteur plante le décor de son roman dans un minuscule douar, El Moudja, tourmenté par les vagues des courants qui le traversent, avant de le transporter vers une ville assez grande, Tizi N’Tleli, que nous pouvons reconnaitre grâce aux allusions de l’auteure quant à son caractère millénaire, rebelle et montagnard et qui n’est pas exempt de contradictions.

L’histoire se termine à Vienne la capitale de la valse. Ah l’Autriche, un pays chargé de symboles aristocratiques. D’art et de guerre aussi. Rien de plus symbolique pour Chahira qui voit son abnégation et sa passion, la haute couture, consacrées dans un métier encore balbutiant chez nous. Le roman commence par un poème et une très belle chanson langoureuse venue de l’Orient spirituel et plein de lumière que ni beauté froide de l’Occident en manque de soleil, ni son aristocratie, ne peuvent atténuer dans l’esprit de Chahira. Comme il a débuté, il se termine par des notes de musique grattées sur une guitare en attendant les paroles et le retour aux sources.

A. K.     

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