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Il veille sur un riche cimetière de voitures : Moussa, gardien de casse automobile

Vendredi, toute la zone de Bourouis est à l’arrêt. Les parcs à ferraille sont fermés et il n’y a pas âme qui vive à l’intérieur de ces immenses étendues où pourrissent à l’air libre des centaines de véhicules accidentés.

Décharnés, déchiquetés, désossés, les carcasses des voitures sont parfois difficiles à reconnaître, il faut deviner les formes initiales, sinon chercher les logos à l’avant et à l’arrière, sur le volant ou les jantes pour y mettre un nom de marque et de modèle. On peut tomber sur des automobiles quasiment neuves dont la partie avant ou arrière est écrabouillée. D’autres sont méconnaissables, c’est un amalgame de tôle tordue, de verre éclaté et de plastique brisé. Nous avons erré plusieurs minutes dans les lieux en pensant à ce qu’il est advenu des conducteurs. Beaucoup n’ont certainement pas pu échapper à leur funeste sort au vu de ce qu’il reste de leur véhicule.

Au moment où nous prenions quelques photos, survient Moussa, qui assure le gardiennage de plusieurs parcs. Il nous salue avec amabilité en nous expliquant que les parcs ne travaillent pas le vendredi et que, si nous avions besoin d’une pièce, il nous fallait revenir le lendemain, samedi. Nous nous présentons et expliquons les raisons de notre présence : savoir si cette activité est vraiment rentable et si elle emploie beaucoup de travailleurs comme le prétend la vox populi. D’emblée, notre gardien nous fait savoir qu’il y a «tout un monde» qui s’affaire dans cette zone : mécaniciens, tôliers, soudeurs, ouvriers et patrons répondent avec diligence aux sollicitations des nombreux acheteurs qui y affluent à la recherche de pièces impossibles à trouver chez les concessionnaires. Ils sont des centaines à fréquenter ces lieux, la plupart venant de toute la région du centre-ouest. «Certains font le déplacement depuis Mostaganem, Oran, Sidi Bel Abbès», affirme Moussa qui explique que les casses de la zone de Bourouis ont acquis une solide réputation depuis les années 1970.  Mieux, ajoute-t-il, l’activité a connu un boom spectaculaire ces quinze dernières années puisque le nombre de ferrailleurs ne fait qu’augmenter.  Moussa nous fait savoir que la multiplication des concessionnaires automobiles, des marques et des modèles de voitures est une véritable aubaine pour les ferrailleurs.

Ainsi, on peut trouver des pièces automobiles très difficiles à dénicher, même chez les importateurs exclusifs. La raison ? Ici atterrissent, souvent dans un état de détérioration avancée, tous les types de véhicules : des plus récents aux modèles dépassés, des marques prestigieuses à celles éphémères, surtout les marques chinoises. Là, on peut trouver des pièces rares que les concessionnaires refusent d’importer parce qu’elles ne sont pas très demandées comme certains accessoires intérieurs. Les marchands connaissent la valeur de chaque pièce, de chaque boulon, de chaque accessoire. Ils savent aussi si ce que vous demandez est disponible ou introuvable. Ils peuvent aussi vous indiquer dans quelle casse vous pouvez trouver ce que vous cherchez, n’hésitant pas à vous refiler l’adresse d’un collègue à… Draâ Ben Khadda ou Tadjenanet ! C’est dire leurs hautes connaissances en la matière.

Moussa travaille à Bourouis depuis moins d’une année. Il avoue qu’il vient juste d’obtenir son permis de construire mais qu’au bout de six mois ici, il a tout appris. Peut-être que lui aussi aura l’occasion d’ouvrir sa casse. Mais, souligne-t-il, «ce ne sera pas pour demain ; le prix du terrain a explosé et il faut se conformer à une législation très sévère, sinon la contourner par des artifices qui peuvent vous mener droit en prison.»

Moussa affirme qu’il n’est pas du genre à se risquer dans des magouilles qui lui seraient préjudiciables à la longue. Il préfère comme il dit «manger du pain propre», estimant que les fortunes mal acquises peuvent se dissiper en clin d’œil. «Comme ce qu’il vient d’arriver à tous les conducteurs de ces véhicules écrabouillés», conclut-il.

Ab. Kader

In Le Chélif 74 – Edition du 6 au 12 mai 2015

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