Les Oranais n’en finissent pas de subir le diktat des raquetteurs et des escrocs. Qu’ils soient à pied, en voiture ou dans le tramway, ils doivent supporter le harcèlement des centaines de mendiants qui hantent la capitale de l’Ouest. S’improvisant gardiens de parking ou se faisant passer pour des malades nécessitant une aide financière pour faire face à des soins coûteux, ils rendent la vie impossible aux habitants de la ville.
« Trop, c’en est trop », fulmine Djamel M., médecin, qui déplore la dégradation de la cité qui l’a vu naître il y a soixante cinq ans. « Malgré les avancées indéniables sur le plan socioéconomique et la relative aisance de la majorité des Algériens, des gens continuent à mendier dans les rues alors qu’ils gagnent dignement leur vie. Ces comportements ternissent l’image d’Oran et de tout le pays ». Pour lui, l’Etat est tenu d’intervenir pour y mettre un terme car ceux qui tendent la main ne le font pas pour se nourrir mais pour assouvir de nombreux vices dont la consommation de drogue ou de boissons alcoolisées. « Cette forme de mendicité relève plus de la délinquance urbaine que d’une paupérisation feinte ou réelle d’une partie de la population car s’armer d’un gourdin et s’improviser gardien de parking dans les rues du centre-ville historique et plus particulièrement dans les nouveaux quartiers qui attirent des visiteurs de tout horizon en quête de détente et de repos est un signe de violence manifeste », ajoute-t-il. Quoique strictement interdit par la loi, ce genre de pratiques fait florès dans tous les coins et recoins des zones abritant une activité commerciale notable. Nous l’avons remarqué la veille du nouvel an autour d’un grand magasin de chocolat et confiserie, près de quelques pâtisseries réputées et face à des supérettes bien achalandées …
Nouria, la quarantaine, employée dans une école privée à Maraval, se plaint de la présence en grand nombre de mendiants et autres « malades » dans le tramway. Quémandant de l’aide qui pour une intervention chirurgicale très coûteuse pour lui ou un membre de sa famille, qui pour aider une jeune handicapée à se faire opérer à l’étranger, en Turquie notamment, ils envahissent les lieux dès les premières heures de la journée et poursuivent leur quête jusqu’en début de soirée. Comme beaucoup d’autres travailleuses, la jeune femme emprunte régulièrement ce moyen de locomotion et a tout le temps d’observer le ménage. « Je connais pratiquement tous les mendiants du tramway, je connais par cœur la litanie de chacun, c’est dommage car ce type de comportement porte préjudice à tous les habitants d’Oran ». « Et puis, fait-elle remarquer, il y aussi ces familles de réfugiés du Sahel dont les enfants s’incrustent partout, qui ont appris l’arabe pour mieux soutirer l’argent aux passagers ».
Dans le tramway, nous avons rencontré un homme, la cinquantaine passée, débiter une litanie que les habitués du tramway ont dû entendre plusieurs fois : « Mes frères, mes sœurs, je vous en conjure, ne me prenez pas pour ce que je ne suis pas, je suis malade, je me suis fait opérer d’un cancer du colon, je dois subir actuellement des séances de chimiothérapie qu’il m’est impossible d’effectuer dans le secteur public. Vu l’afflux considérable de malades, il faut patienter des mois entiers pour bénéficier d’une cure. Ma seule chance de survie, c’est de recourir aux services des cliniques privées et vous savez que les tarifs ne sont pas à la portée de tout le monde. Je vous en conjure, ne me laissez pas seul, j’ai des enfants en bas-âge qui ont besoin de moi ».
Bien entendu, l’accent est emprunté de la région d’Oujda où ont vécu beaucoup d’habitants d’Oran avant d’en être expulsés en 1963, au lendemain de la tentative d’annexion d’une partie de l’ouest algérien par le roi Hassan II. Et ça fait son effet, beaucoup de vieux et de vieilles mettent la main à la poche.
« Au final, reprend Djamel M., le praticien, ils finissent la journée avec plus de 5000 DA en poche, ce qui n’est pas rien par les temps qui courent ».
L’autre forme de mendicité qui a pris corps à Oran est le travestissement en employés de la voierie. Beaucoup de « mendiants », des drogués et des alcooliques pour la plupart, se vêtent de tenues d’éboueurs et tiennent un balai entre les mains. Non, ceux-là sont assez malins, ils ne vous tendent pas la main mais vous demandent gentiment de leur donner de quoi acheter une bouteille d’eau. Chose que les Algériens ne refusent jamais. Mais le stratagème a fini par être éventé vu la multiplication de ces « agents » dans les lieux publics, surtout de nuit.
Oran n’en finit pas de vivre avec ses démons.
A. L.