La célébration de la journée nationale de la presse nous rappelle, heureusement, qu’il existe bel et bien une presse en Algérie. Celle-ci, nous le savons tous, est née à une époque où l’accès à l’information était l’apanage des puissants, à savoir ceux qui s’arrogeaient le droit de décider seuls du sort de tout un peuple dont on a spolié les terres et aliéné l’identité. C’était une élite pétrie de patriotisme et décidée à parler directement au peuple dans son propre langage (même si la langue était empruntée à l’envahisseur) en levant le voile sur ce qui le fait souffrir et en semant l’espoir d’un lendemain meilleur.
Des journalistes formés sur le tas, devenus par la suite de grands écrivains, ont excellé dans l’art de diffuser l’info qu’il faut (titre de la Une d’un numéro du journal Le Chélif) tout en faisant prendre conscience au peuple de la nécessité de se révolter contre l’ordre établi en réclamant irréversiblement sa liberté. La suite, tout le monde la connait, et le mérite de cette première génération de journalistes qui étaient de véritables révolutionnaires ne peut être contesté.
Des années après, et dans une Algérie indépendante, une autre génération de journalistes avait à croiser le fer avec un autre ennemi qui avait juré de mettre tout le pays à feu et à sang. Il fallait, de nouveau, mettre sa plume au service d’un combat libérateur dont la cible n’était autre que l’hydre terroriste. Des dizaines de ces combattants ont été abattus pour la simple raison qu’ils avaient refusé de s’inscrire dans le jeu de la peur et de la mort en dénonçant chaque jour les criminels les commanditaires qui prêchaient l’idéologie du chaos.
La liberté a, enfin, eu raison de la peur et, au prix de sacrifices ô combien énormes, la presse algérienne s’est fait une place de prestige aussi bien au niveau régional qu’international. Son professionnalisme n’est plus à démontrer, et sa volonté d’aller toujours de l’avant en défendant bec et ongles sa liberté n’a pris aucune ride.
Cependant, c’est fier de ce passé glorieux et des acquis des révolutions de novembre, octobre et février que nous déplorons l’état dans lequel est jeté une presse autrefois florissante, et qui servait de modèle à de nombreux pays. En effet, personne ne nie le fait que l’exercice journalistique, à l’instar des autres professions, est soumis à des lois qui le régissent. La diffamation, le mensonge et la calomnie devraient être plus bannis par l’éthique et la déontologie qu’interdits par textes. Toutefois, il est regrettable de constater, de nos jours, que sous prétexte d’organiser davantage la profession, on s’attaque à une valeur fondamentale garantie par la Constitution, qui est la liberté même de cette presse qu’on voudrait régenter. Dire ou ne pas dire, diffuser ou demander la permission, dénoncer ou épargner, prendre position ou s’aligner sur la position ambiante, émettre une opinion ou colporter celle des autres… Autant de questions auxquelles le journaliste est confronté lorsqu’il est appelé à traiter l’information qui doit parvenir au lecteur dans toute sa « nudité ».
Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le nombre impressionnant de procès intentés à de simples journalistes dont le seul tort était de rédiger un papier a fini par persuader de nombreux jeunes sortis fraichement de l’université de renoncer définitivement à l’exercice de ce métier. La censure a toujours été un mal qui détruit plus qu’il ne protège la société. Elle est génératrice de la peur et inhibitrice de la créativité. Une nation qui veut s’affirmer doit fondamentalement mettre la liberté de penser et de s’exprimer en haut de son échelle des valeurs. Ainsi, plutôt que de se satisfaire du travail accompli par d’amateurs-courtisans et délateurs qui profitent gracieusement des biens de ceux qu’ils courtisent tout en s’abstenant de faire allusion aux moindres préoccupations des petite gens, l’État aura tout à gagner en promouvant une presse libre et indépendante, qu’elle soit publique ou privée, tout en la dotant de moyens lui permettant d’exercer dans les meilleures conditions qui soient.
En outre, s’agissant d’un métier où la concurrence est omniprésente, il appartient au journal de rehausser son audience soit en investissant des sommes colossales d’argent, soit en courant derrière l’information sensationnelle, laquelle de nos jours attire plus que la crédible. Dans les deux cas, nous assistons malheureusement à une concurrence déloyale qui ne permet qu’aux opportunistes d’émerger. C’est ainsi qu’on a assisté à la mort programmée de nombreux journaux qui ont pourtant fait le bonheur de la presse algérienne à cause d’un problème de financement dans un contexte dominé par une baisse horrible du lectorat.
En définitive, nous croyons qu’il est temps, à l’heure où on parle de réformes dans tous les secteurs et de la volonté de l’État de booster notre économie en la mettant en conformité avec les normes universellement reconnues, de promouvoir notre presse en lui garantissant toute sa liberté qu’elle saura très bien préserver en la mettant à l’abri de la manipulation. Car, museler une presse libre reviendrait à remettre en cause tous les idéaux pour lesquels nous nous sommes battus depuis des siècles et dont le plus sublime est, incontestablement, celui de dire la vérité, toute la vérité.
Mokrane Ait Djida