Le grand homme de lettres et chercheur en anthropologie linguistique, Bouali Kouadri Mostefaï est décédé samedi 21 septembre 2013, à l’hôpital d’Ouled Mohamed de Chlef des suites de complications respiratoires aigües. L’ancien enseignant universitaire et adepte reconnu du monde des Arts et de la culture en général, était natif de Chlef en 1943.
Le défunt s’était toujours distingué par son esprit de total dévouement pour la chose culturelle, sans jamais rien attendre en retour. Il a, d’ailleurs, vécu toujours humblement, mais avec de l’or en barres en tête en matière de richesse culturelle et philosophique.
Comptant des travaux d’une valeur indéniable, il n’a jamais cherché à s’empresser à les publier, à part quelques écrits qu’il a consenti à faire paraître au compte-gouttes, faisant preuve d’une rare modestie intellectuelle, n’étant nullement soucieux du paraître en société, mais accroché surtout à la notion d’un travail de rigueur susceptible de servir l’univers des sciences et de la connaissance productive, avant tout, avec notamment ses nombreux écrits, conférences-débats, des recueil de témoignages sur des vestiges historiques dévoilant des pans insoupçonnés de l’histoire du Chélif depuis la haute antiquité.
Les jeunes le suivaient particulièrement à travers l’émission-phare de Radio Chlef «Dhakiret El Madina» (Mémoire de la ville), animée par le journaliste, Abdelkrim Houari. Assurément, beaucoup ne sont pas prêts d’oublier l’ex-professeur de français du fameux lycée As Salam d’El Asnam des années 1970, le défunt ayant exercé par la suite de multiples fonctions après son départ volontaire de l’enseignement secondaire, comme les métiers de gestionnaire administratif à l’APC de Chlef, conseiller à des projets culturels, électricien, journaliste, enseignant universitaire, etc. Feu Kouadri Bouali Mostefai poursuivant parallèlement et de façon inlassable sa passion vouée aux arts et à la culture, principalement l’Histoire et la recherche en anthropologie linguistique. De son vivant, il a pu publier de nombreux articles et études sur ces thèmes, mais l’essentiel de son travail d’arrache-pied qui l’aura préoccupé durant la majeure partie de sa vie d’intellectuel, c’est son projet de recherche linguistique parvenu à terme, non publié, laissé aux soins de sa famille pour accomplir ce qui lui tenait à cœur, car constituant, selon ses affirmations, un apport fondamental pour le patrimoine culturel algérien pluriel-multimillénaire. Parmi ses écrits – dont les correspondants de presse, hommes de lettres et universitaires locaux en ont fait souvent écho, à l’instar des écrits de Mokrane Ait-Djidda, Ahmed Yechkour, Ali Medjdoub, Mohamed Boudia, etc., – l’on compte notamment ceux figurant dans les publications de la faculté de lettres françaises de l’université de Chlef où a enseigné le défunt.
« Les racines partagées » ou la communauté des humains
Son ouvrage critique « Lectures de Assia Djebar », publié aux éditions L’Harmattan en France, a été déjà signalé par la presse algérienne pour sa haute teneur. Le défunt s’apprêtait, comme indiqué ci-dessus, à publier les résultats de ses longues et âpres investigations en anthropologie linguistique. Inspiré probablement au départ, par la quête scientifique du célèbre lexicographe Paul Robert, natif de la même ville et qui s’est distingué par la mise en chantier du fameux dictionnaire Le Robert, feu Kouadri Bouali s’est attelé à l’élaboration harassante, avec ses seuls moyens de bords, d’un projet de recherche sur «les racines partagées» entre les langues indo-européennes et les langues chamito-sémitiques».
Par ailleurs, son ouvrage consacré à Assia Djebar, membre de l’Académie française et professeur de français dans une université de Louisiane, aux États-Unis, consiste en une étude critique de trois romans de la célèbre écrivaine algérienne, dont «L’amour, la fantasia», traitant suivant le résumé de quatrième de couverture d’une «étrange guerre» mettant aux prises les combattants des deux camps amenant l’auteur à s’interroger sur sa finalité ?» ; «Ombre sultane», traitant d’une femme émancipée qui revenant au pays se voit confrontée à son échec face aux traditions…, l’incitant à abdiquer et se prenant même à envier les femmes cloîtrées» ; «La femme sans sépulture», évoquant pour sa part, «deux femmes éprises d’un Français, image de l’amour et de son corollaire : la liberté». L’œuvre se propose d’aborder des «aspects de la romancière jusque-là inconnus de cette académicienne, surtout connue comme une militante du féminisme, la défenderesse des femmes opprimées. Et «la critique littéraire l’a si solidement coulée dans ce parangon, que l’historienne de profession et la personne de chair et de sang qu’est Assia Djebar ont toutes deux été négligées», soutient l’auteur Kouadri Bouali, grand admirateur de l’académicienne et qui a jugé bon de pallier cette lacune en tentant de livrer des clefs de décryptage de ces trois romans , constituant un triptyque thématique significatif majeur de la célèbre romancière et cinéaste algérienne. Il reste que la distribution cette œuvre, éditée par L’Harmattan, se doit d’être prise en main par un éditeur algérien pour le grand bonheur des lecteurs nationaux, comme le souhaitent vivement ses amis, proches et fans d’arts et lettres, en général.
Des travaux à publier impérativement
Ce vœu concerne également la nécessité de veiller à la parution future des écrits légués par feu Kouadri Bouali – il faut insister – et qui ont trait essentiellement à son thème de prédilection auquel il a consacré la majeure partie de sa vie, pourrait-on dire. C’est cette étude minutieuse des rapports qu’entretiennent entre eux les termes de différentes langues antiques et de facto contemporaines du monde. Se référant à différents dictionnaires de diverses langues, dont le dictionnaire Bescherel (1958), conçu par un érudit maîtrisant parfaitement le celte, le latin et le grec, Kouadri Bouali en est venu à déceler «une omission chez les linguistes européens qui auraient négligé, dans leurs considérations classificatoires, de faire le parallèle entre les langues sémitiques et celles européennes pour déterminer l’étymologie des mots figurant dans leurs dictionnaires, ayant été vraisemblablement, victimes de leur historio-centrisme. Dans cet ordre d’idées, l’auteur avait soutenu que la vision européocentriste aurait empêché les linguistes et chercheurs occidentaux de fournir des panoplies de termes et d’expressions fournissant une origine tout à fait complète et précise de chaque mot cerné qui resterait, de ce fait, dans le vague…, tant que l’on ne prenne pas soin de se pencher sur l’apport à fond des langues sémitiques, dont l’amazigh, l’arabe. C’est la raison pour laquelle, avait confié le défunt que «l’on retrouve souvent des astérisques où la mention «origine obscure» devant des mots incomplets ou indéchiffrables dans les dictionnaires. Osons espérer que les responsables du département de Lettres et Sciences humaines de l’université de Chlef, et à leur tête la doyenne Mme Ait Saada, M. Mohamed Kassoul, M. Mokrane Ait-Djida, etc., eux qui ont côtoyé de très près feu Kouadri Bouali, puissent envisager la prise en charge de la poursuite de ce projet de publication des travaux du défunt, eux qui se sont déjà signalés par une intense activité culturelle, il y a peu de temps, en prenant notamment l’initiative d’inviter l’éminent écrivain Yasmina Khadra à Chlef, celui-là même qui confiera qu’il a été l’élève de feu Kouadri Bouali qui l’a incontestablement initié à l’amour des lettres et la passion de l’écriture littéraire.
Signalons que l’académicienne Assia Djebar avait adressé, après son admission à l’Académie française, une lettre caractéristique au défunt et pour cause… On peut lire dans l’introduction d’un numéro de la revue de la faculté des lettres de Chlef – parvenu à divers milieux culturels et universitaires nationaux et étrangers, dont ceux Français principalement – une énergique interpellation de feu Kouadri Bouali Mostefaoui aux plus hautes instances littéraires françaises leur reprochant le «sous-traitement» symptomatique des écrivains algériens d’expression française dont l’apport se devrait d’être considéré au même titre que celui des usagers de la langue française d’où qu’ils soient. Signifiant par-là que cette relégation rappelant étrangement le statut d’indigénat consenti à des écrivains considérés comme de niveau secondaire par rapport à celui des écrivains de souche, ne se justifiait absolument pas. Ajoutant : «Si jamais ce qui semble tenir lieu de véritable ‘ostracisme culturel’ avec ses sous-entendus de « littérature de Banana y a bon », irait en persistant, il va falloir que la France dise bientôt « adieu » à la langue française en Algérie et en Afrique en général.» Apparemment, il a été écouté, c’est du moins l’avis de ceux qui lisent en filigrane.
Notons qu’à la faveur de la tenue du colloque sur Paul Robert, le fameux lexicographe, une importante délégation d’universitaires français est venue assister à cette manifestation culturelle organisée par l’université de Chlef qui souligne, en passant, l’important apport méditerranéen de l’Algérie à l’universalité. A l’occasion de ces communications, des échanges ont eu lieu, notamment entre Kouadri Bouali et des universitaires dont certains comptaient parmi ses amis de longue date et de l’Algérie souveraine, d’une manière générale.
N’omettons pas de signaler que l’animateur-radio, Abdelkrim Houari, qui compte de nombreuses émissions culturelles avec le défunt, pourrait envisager de relancer l’idée de la publication de l’ouvrage «Dhakiret El Madina», conçu à partir des copies enregistrées de la série d’émissions consacrée à l’histoire de Chlef et portant le même titre.
Que Chikh Bouali repose en paix. El Asnam et les Chélifiens ne t’oublieront jamais. Et d’ores et déjà nous émettons le vœu ardent à ce qu’un grand édifice culturel chélifien puisse porter un jour le nom de cet honorable homme dont la contribution culturelle au pays et à la connaissance universelle, d’une manière générale, mentionnera assurément, à l’avenir, son important apport, lors de la revisite de son précieux travail de recherche sur les racines partagées entre les langues antiques et primordiales de l’humanité.
M. G.