L'Algérie de plus près

Je suis moi, je ne suis l’ambassadeur de personne

Par Ahmed Cheniki

Je ne suis pas l’Algérie, je ne représente que moi-même. Je ne suis pas l’ambassadeur de qui que ce soit, quand j’interviens sur tel ou tel sujet, ici ou à l’étranger. C’est mon point de vue tout simplement.

Quand je publie un ouvrage ou un article ici ou à l’étranger, c’est Ahmed Cheniki qui le fait, pas l’Algérie. Quand je donne une conférence ici ou à l’étranger, ce n’est pas au nom de l’Algérie ou de quelque autre entité, c’est moi qui parle. Chacun est responsable de sa petite personne. Nous sommes tous différents, nous nous habillons différemment, chacun mange à sa manière, nous pensons différemment. L’Algérie, comme tout pays, est plurielle. Mais l’Algérie est en moi, au plus profond de mon être, elle est au cœur de chacun de nous. C’est ce que nous devons comprendre. Quand Yasmina Khadra, Djillali Khellas, Rachid Boudjedra ou Said Khatibi parlent, ils s’expriment en leurs noms, ils n’engagent personne.

« Nous sommes tous responsables » et « Pourquoi maintenant ? », ce sont des expressions qui reviennent souvent chez beaucoup de gens qui voudraient que les autres soient comme eux. Ce n’est pas vrai, chacun de nous ne représente que lui-même, même s’il s’inscrit dans une perspective commune. Je ne suis responsable que de ma petite personne.  Ainsi, un criminel ou un corrompu n’incarne que sa propre personne, je ne suis pas lui. Je ne suis pas responsable des dégâts résultant d’une mauvaise gestion et de la corruption. Je n’ai pas le pouvoir de décider des projets engageant une commune, une université, une entreprise économique ou le pays. Je travaille tout simplement contre un salaire tout en essayant d’aider les autres, en usant de mes maigres moyens. Quand on lit un écrit sur un fait, l’essentiel, c’est de voir si ce qui est dit est juste et argumenté ou ne serait que balivernes. Si un crime est jugé, la question la plus importante qui devrait-elle posée, c’est celle consistant à savoir si la justice a été faite dans de bonnes conditions et dans les règles.

On comprend pourquoi les médiocres et les voleurs voudraient que tous les gens soient responsables d’une situation ou d’un fait peu enviable. Je serais responsable de quoi ? Chacun est responsable de ses échecs et de ses réussites. Non, nous ne sommes pas tous responsables, je ne suis pas responsable des échecs des autres ou provoqués par les autres qui ne m’ont ni consulté ni écouté.

Nous vivons dans le monde tout en étant singuliers. Chacun de nous se construit sa propre image, son propre monde, mais paradoxalement, en relation perpétuelle avec l’autre, les autres, ce qui convoque la notion d’espace public. Le « je » est marqué par la présence de nombreuses traces extérieures, fruits de négociations et d’appropriations continues. L’intime n’est nullement étranger des manifestations sociologiques, psychologiques, anthropologiques, il constitue peut-être le summum d’un désir à réaliser, celui de dialoguer avec soi, une sorte de soliloque. Mais je ne suis pas l’autre qui peut-être un voleur, un escroc ou plutôt un génie.

Cette propension qu’ont beaucoup de locuteurs à vouloir exclure l’intime, le « je » pour se fondre dans un groupe informel, indéfini ou un « nous » injustement collectif, fait de multiples béances. Ils usent souvent de pronoms collectifs indéfinis « on » ou de catégories générales : « nous, les Algériens », « les intellectuels algériens », « les femmes », « les hommes » …Je n’ai jamais compris pourquoi, ces locuteurs évitent d’employer « moi, je » qui est l’expression de l’autonomie discursive et d’une certaine liberté, tout en étant dans le commun. Souvent, ils emploient le « nous » pour impliquer les autres dans leurs bêtises et en généralisant le propos, ils tentent de se donner une contenance et de montrer faussement qu’ils parlent en connaissance de cause

Chacun de nous est tout d’abord un « Je » marqué, certes, par les jeux de l’espace public. Toute généralisation est une escroquerie, une tentative de partager la bêtise : « nous sommes tous responsables », « nous sommes tous coupables » … Chacun devrait assumer ses actes. Je ne suis pas les autres, je suis tout simplement moi. Si tu es voleur, le « nous », tu le gardes pour toi, si tu es un corrompu ou un grand technicien, cela te concerne également. N’est pas Ibn Khaldoun, Einstein ou Kateb Yacine qui veut. Ils sont différents.

Moi, je suis différent, je suis Algérien, je ne suis pas l’Algérie, je suis l’Arbre, un arbre fait de nombreuses branches, mais qui se conjugue au singulier. Je suis aussi fait des autres. La facilité, le confort et la médiocrité poussent les uns et/ou les autres à user du « nous » collectif, ça manque de rigueur et de concision et ça convoque clichés, stéréotypes et idioties.

Je n’ai jamais accepté l’usage excessif du nous ambigu, prétendument collectif dans le métier que j’ai toujours exercé, le journalisme, un « nous » de majesté, j’ai passé outre ces appels au collectivisme ? Puis ailleurs, à l’université, le « moi » est exclu pour d’autres, alors que j’ai toujours considéré que les sciences sociales et humaines étaient du domaine du subjectif, donc du « je », sans exclure, bien entendu, la « mise à distance », ce « je », synonyme d’une neutralité opératoire. Dans le métier de journaliste, il y a nos écrits qui nous suivent, je suis un journaliste, pas les journalistes ou la presse.

Je sais que j’existe, avec les autres, mais j’existe aussi comme entité individuelle qui aime ou déteste des choses, des êtres ou des situations. Je dis « j’aime » à tous ceux que j’aime, pas « nous » quand-même, je ne suis pas comme mon voisin, je suis différent tout en ayant certains traits communs, je construis telle ou telle chose, je commets telle maladresse, ce n’est pas tout le monde, certains m’inondent de discours en cherchant à m’inclure avec eux, est-ce un nombre ?

Je n’ai pas de problème avec les oripeaux que les uns et/ou les autres portent, je n’ai pas à m’en prendre à celles qui portent le hidjab, le pantalon ou une robe courte, c’est leur vie. Je ne sais pas, mais certains, je dis bien certains, heureusement pas nombreux, de ceux qui s’autoproclament « démocrates » ou « islamistes », n’arrêtent pas de considérer inconsciemment les femmes comme de petites filles dont on impose tel ou tel accessoire. Ils se considèrent comme les tuteurs/tutrices de toute la société tout en répudiant la liberté, se prenant pour les détenteurs de la vérité unique au nom de laquelle on a partout, dans l’Histoire de l’humanité, érigé des bûchers.

C’est une famille plurielle qu’il serait bon de construire, où chacun a sa place sans chercher à imposer sa vérité, son point de vue, où émergera l’idée de citoyenneté qui ne se réduit pas à nos préférences égoïstes, mais marqué par des postures communes. C’est cette Algérie-là, plurielle, comme cette famille, que nous voulons, où chacun aura le droit d’avoir des droits et des devoirs, ni plus ni moins.

Je suis « je » tout en étant peut-être « nous » singulièrement disséminé. Si un Algérien X ou Y commet une bêtise à Bonn ou à Milan, il ne représente que lui, je ne suis pas lui, ou si quelqu’un fait une bonne action, c’est avant tout lui. Je suis tout simplement comptable de mes actes et de mes responsabilités. UN POINT, C’EST TOUT.

A. C.

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