L'Algérie de plus près

Fête de l’indépendance : Derrière le sang et les larmes, une cause commune

On ne le répétera jamais assez, la Guerre d’Algérie n’a pas commencé le 1er novembre 1954, le jour où les membres du Front de libération nationale ont perpétré une série de soixante-dix attentats contre des infrastructures stratégiques et des civils. Elle a débuté le 14 juin 1830 quand le corps expéditionnaire français, envoyé sous des prétextes fallacieux, a débarqué à Sidi-Ferruch, à l’ouest d’Alger. Ainsi commençait la conquête du pays et en même temps sa résistance. De la même façon, elle ne s’est pas arrêtée à une heure précise le 19 mars 1962 avec l’annonce du cessez-le feu, et nombre de civils sont morts après sa proclamation.

On ne le répétera jamais assez, en dépit d’un problème d’appréciation numérique, le nombre de pertes algériennes de la guerre de Libération se situerait autour de plus d’un million quatre cent mille sur une population estimée à l’époque à plus de 10 millions (1), avec des périodes de massacres accrus comme les « enfumades » du Dahra entre 1844 et 1845, sans oublier les « emmurades » de la même époque, pratiques barbares et génocidaires utilisées durant la conquête par le corps expéditionnaire français, connues par les témoignages d’officiers présents sur place et, pour certains gradés comme le lieutenant-colonel Montagnac animé d’une volonté « d’anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens… », (notes adressées à son neveu), suivies un siècle plus tard par la répression sanglante du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata. 

Face à la résistance algérienne, le tribut de cette guerre coloniale avec humiliations, sévices, exécutions, enlèvements, déportations, viols, représailles, tortures contre la population est très lourd, même soixante ans après. On sait depuis, selon les spécialistes, que les traumatismes d’une telle guerre peuvent s’étendre sur plusieurs générations à la suite.

Prise de conscience en métropole

Au milieu de cette violence aveugle de la colonisation, on n’ignorait pas cependant l’opposition et la résistance française à la Guerre d’Algérie, sur place et en France. Pour ne citer que quelques exemples parmi d’autres plus connus, c’est un écrivain, membre de l’Académie Française, François Mauriac qui alerte en s’élevant contre la torture en Algérie en 1955 dans un article intitulé « La question », titre repris par le journaliste membre du PCF et PCA, directeur du quotidien « Alger Républicain », Henri Alleg, dans son livre autobiographique de torturé publié en 1958. Des journalistes accusent les pratiques de la France semblables à celles des Nazis en 1940 : « Votre Gestapo d’Algérie ». Des instituteurs européens sur place en Algérie avaient dénoncé depuis longtemps la ségrégation, les injustices au quotidien exercées à l’encontre de la population « arabe ». Parmi eux, Louis Truphémus, Inspecteur de l’enseignement, qui s’était insurgé contre le système inégalitaire en place, avec son roman anticolonialiste : « Ferhat, instituteur indigène ». Le journaliste et écrivain Albert Camus avait dénoncé sur une période d’une vingtaine d’années à travers ses « Chroniques algériennes 1939-1958 » les conditions de dénuement et de misère extrême de la population « indigène », de famines et d’exploitation du « peuple arabe ». En France, en dépit des arrestations et emprisonnements qui se multiplient, des manifestations fréquentes de civils et de soldats, des révoltes dans les casernes, des distributions de tracts devant les églises, des journalistes de plus en plus nombreux prennent position contre cette guerre colonialiste, et se rapprochent des nationalistes algériens pour faire connaître en France les grandes figures du FLN et de l’ALN. En 1956, les opposants à la guerre d’Algérie se scindent entre ceux fidèles à Messali Hadj et ceux en faveur du FLN. Les comités français d’opposition à cette guerre impérialiste s’intensifient. L’écrivain J. P. Sartre participe au « Manifeste des 121 » par la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »  et « Manifeste pour l’insoumission et aide au FLN », signé par des intellectuels, universitaires et artistes publié en 1960, édité le 1er janvier 1961 par l’éditeur engagé François Maspero, pour informer l’opinion nationale et internationale et encourager les jeunes engagés à « refuser de prendre les armes contre le peuple algérien » et « lutter contre le mensonge naïf et la déformation systématique ». Les dernières phrases du manifeste déclarent : « La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. ». Ces marques de soutien à la résistance algérienne, de dénonciations de la torture, de plaidoyers contre la peine de mort, dont des premiers guillotinés de cette période en Algérie « pour l’exemple », fut Fernand Iveton, ouvrier communiste rallié au FLN ; exécuté le 11 février 1957, après Hamida Zabana, ouvrier militant à la CGT et au PPA-MTLD et Abdelkader Ferradj, goumier déserteur, tous deux guillotinés le 19 juin 1956 dans la prison de Barberousse, et avant la longue liste officielle de 222 guillotinés (2).  

La victoire, au nom de tous les sacrifiés

Dans cette adhésion et de solidarité pour la cause algérienne qui rappellent le climat historique de cette époque, ici à peine esquissé, pour certains, jusqu’au sacrifice suprême, les voix qui dénoncent depuis longtemps, en France et en Algérie, la spoliation des terres et des esprits n’ont pas été entendues, du moins on les a minimisées ou tuées dans l’œuf, sous d’autres déclarations officielles comme « opérations de maintien de l’ordre », « pacification », etc.  Il importe que soixante ans après la fin du conflit, en cette veille d’anniversaire, alors que les stigmates de cette guerre continuent à révéler la violence sociale, ethnique et religieuse de cette guerre, à travers des témoignages personnels auxquels la littérature algérienne actuelle contribue, ou des récits de jeunes appelés français de l’époque et grâce à la dé-classification récente des archives françaises jusque-là nommées « secret-défense ».  Il importe que ceux qui ont résisté et ont témoigné : « Soldats, avocats, éditeurs, écrivains, ouvriers. Chrétiens, communistes ou tiers-mondistes », tous « ces insoumis qui ont pris le parti de leurs frères algériens au péril de leur liberté ou de leur vie » (3) comme l’a écrit l’éditeur et analyste politique Nils Anderson, soient associés à cette victoire de la nation algérienne. Même si, certaines formes du colonialisme ne sont pas effacées pour autant avec la fin des guerres coloniales, en témoigne l’occupation persistance et non justifiée de certains pays dans certaines parties du monde.

Il importe de célébrer cette date de la proclamation de l’Indépendance du territoire algérien fixée au 5 juillet 1962, au nom de tous les sacrifiés confondus en faveur de l’Indépendance algérienne et de toutes les victimes collatérales. Le rappel de la diversité des origines des résistants aux injustices commises durant 132 ans, atteste la légitimité du combat en faveur du droit inaliénable des individus à disposer d’eux-mêmes.

J. B.

(1) Chiffres officiels cités par « Persée », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (Année 82) (p.119-134)

(2) Extraits de « Résister à la guerre d’Algérie par les textes de l’époque » publié par « Les petits Matins » de Nils Anderson

(3) Pour repères : la première exécution en Algérie d’un condamné à mort par la guillotine eut lieu le 16 février 1843. La dernière exécution par la guillotine en Algérie eut lieu le 12 août 1959.