L'Algérie de plus près

Andreï Makine parle de la guerre en Ukraine

Andreï Makine, académicien franco-russe, prix Goncourt 1995 est l’auteur d’une douzaine de romans traduits dans plus de quarante langues, parmi lesquels Le Testament français (prix Goncourt et prix Médicis 1995), La Musique d’une vie (éd. Seuil, 2001), et, plus récemment, Une femme aimée (Seuil). Il a été élu à l’Académie française en 2016.

Dans un entretien accordé à Agoravox, il s’afflige de voir l’Ukraine transformée en «chaudron guerrier». Il se défend d’être pro-Kremlin et regrette une vision «manichéenne» du conflit «qui empêche tout débat».

Nous avons choisi deux extraits qui nous ont semblé résumer son opinion sur ce conflit :

Agoravox : Comment peut-on prétendre défendre la démocratie en censurant des chaînes de télévision, des artistes, des livres ?

Andreï Makine : De mon point de vue, la fermeture de la chaîne RT France par Ursula von der Leyen, présidente non élue de la Commission européenne, est une erreur qui sera fatalement perçue par l’opinion comme une censure. Comment ne pas être révolté par la déprogrammation du Bolchoï de l’Opéra Royal de Londres, l’annulation d’un cours consacré à Dostoïevski à Milan ? Comment peut-on prétendre défendre la démocratie en censurant des chaînes de télévision, des artistes, des livres ? C’est le meilleur moyen, pour les Européens, de nourrir le nationalisme russe, d’obtenir le résultat inverse de celui escompté. Il faudrait au contraire s’ouvrir à la Russie, notamment par le biais des Russes qui vivent en Europe et qui sont de manière évidente pro-européens. Comme le disait justement Dostoïevski : «Chaque pierre dans cette Europe nous est chère».

Agoravox : La propagande russe paraît tout de même délirante lorsque Poutine parle de «dénazification »

Andreï Makine : Le bataillon Azov, qui a repris la ville de Marioupol aux séparatistes en 2014, et qui depuis a été incorporé à l’armée régulière, revendique son idéologie néo-nazie et porte des casques et des insignes ayant pour emblème le symbole SS et la croix gammée. Il est évident que cette présence reste marginale et que l’État ukrainien n’est pas nazi, et ne voue pas un culte inconditionnel à Stepan Bandera. Mais des journalistes occidentaux auraient dû enquêter sérieusement sur cette influence et l’Europe condamner la présence d’emblèmes nazis sur son territoire. Il faut comprendre que cela ravive chez les Russes le souvenir de la Seconde guerre mondiale et des commandos ukrainiens ralliés à Hitler, et que cela donne du crédit, à leurs yeux, à la propagande du Kremlin.

Pour l’académicien, la seule solution est de proposer « une solution radicale », qui consisterait à revenir à ce qu’il appelle « la bifurcation de 1992 ». De son point de vue, les Européens se sont trompés de chemin, lui-même avouant cru « qu’il n’y aurait plus de blocs, que l’Otan allait être dissoute car l’Amérique n’avait plus d’ennemi, que nous allions former un grand continent pacifique ».

Pour l’écrivain, c’est l’inverse qui s’est produit car et l’Europe et l’Amérique n’ont pas voulu le monde de la paix auxquels aspirent toujours l’humanité. « Notre continent est un trésor vivant, il faut le protéger. Hélas, on préfère prendre le contre-pied de cette proposition : bannir Dostoïevski et faire la guerre ».

Sa conclusion est sans appel : « C’est la destruction garantie car il n’y aura pas de vainqueur ».