L'Algérie de plus près

Anne Beaumanoir, l’amie de l’Algérie combattante

Anne Beaumanoir est décédée, le 4 mars dernier, à l’âge de 98 ans. Alors qu’elle était étudiante en médecine, elle s’engagea dans la résistance à 17 ans. Pendant la guerre d’Algérie, elle a pris position pour le FLN ce qui lui a valu d’être arrêtée et condamnée à 10 ans de prison.

Anne Beaumanoir est née le 30 octobre 1923 en Bretagne, au Guildo (actuellement commune de Saint-Cast-le-Guildo), près de Dinan, dans les Côtes-du-Nord1,2. Elle est issue d’un milieu modeste. Ses parents sont restaurateurs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est étudiante en médecine, et clandestinement militante communiste4. Des amis de ses parents l’avertissent un jour qu’une rafle va avoir lieu la nuit suivante dans le 13e arrondissement de Paris, et lui demandent de prévenir une dame, Victoria, qui cache une famille juive. Anne Beaumanoir se rend chez Victoria, puis auprès de la famille juive, les Lisopravski ; mais elle ne parvient pas à les convaincre tous de la suivre d’urgence, seuls les deux enfants, Daniel et Simone, partent avec elle.

Elle emmène les enfants dans une cachette où logent de nombreux membres de la Résistance. Mais la Gestapo investit peu après le repaire, vraisemblablement sur dénonciation, et arrête tous les résistants sauf le chef qui parvient à s’enfuir par les toits, avec les deux enfants. Anne Beaumanoir n’était pas à Paris à ce moment-là ; lorsqu’elle revient, elle retire les deux enfants de la cachette temporaire où ils ont été placés, ne la jugeant pas sûre, et elle les emmène chez ses parents en Bretagne, dans leur maison de Dinan.

À Dinan, son père Jean Beaumanoir est interrogé par la police qui soupçonne sa participation à la Résistance, mais le relâche faute de preuve. Sa mère Marthe Beaumanoir cache les enfants à deux endroits différents pendant deux semaines, puis avec son mari les accueille chez eux pendant presque un an. Après la Libération, les deux enfants sauvés gardent contact avec Anne Beaumanoir et ses parents.

Après la guerre, Anne Beaumanoir reprend ses études de médecine, à Marseille, et devient neurologue, professeure de neurologie5. Elle épouse un médecin. N’étant plus d’accord avec le PCF, elle le quitte le parti en 1955. À Marseille, elle fait la connaissance des prêtres ouvriers, et de leur travail social auprès des Algériens.

À Paris, elle fait de la recherche médicale. Elle prend parti pour le FLN algérien et lui apporte son aide, ce qui lui vaut d’être arrêtée, et condamnée en 1959 à dix ans de prison1. À la prison des Baumettes elle est d’abord mise au secret, puis chargée d’alphabétiser les détenues, et écrit leurs lettres. Étant enceinte, elle est libérée provisoirement pour accoucher. Après la naissance de son enfant, elle s’évade et part en Tunisie. Rejoignant l’armée algérienne, elle prend la relève de Frantz Fanon en tant que neuropsychiatre.

Après les accords d’Évian et la fin de la guerre d’Algérie, Anne Beaumanoir devient membre du cabinet du ministre de la Santé du gouvernement de Ben Bella. Lorsque ce dernier est renversé, en 1965, elle est exfiltrée vers la Suisse, où elle prend la direction du service de neurophysiologie à l’hôpital universitaire de Genève.

Une star parmi le peuple d’en bas 

Camille Laffont, auteur de l’ouvrage : « Il était une fois les Baumettes », évoque le séjours d’Anne Beaumanoir dans les geôles de cette sinistre prison marseillaise : 

« Dans les années 1950, les cellules se remplissent de membres supposés du FLN et d’objecteurs de conscience. Une poignée de militants anticolonialistes, comme Anne Beaumanoir, tâteront aussi de la paille marseillaise. Condamnée par un tribunal militaire pour son activisme présumé dans un réseau de soutien aux indépendantistes algériens, cette ancienne résistante faite Juste parmi les nations (pour avoir aidé des juifs pendant la guerre) y a été enfermée huit mois en 1959 ».

De son vivant, la défunte avait avoué à l’auteur du livre ceci : « J’étais une espèce de star, là-bas ». Mise au secret, puis chargée d’alphabétiser ses codétenues, l’institutrice s’y est improvisée écrivain publique. Elle a écrit les lettres « enflammées » d’une meurtrière à son mari. Découvert les prostituées du port, les orphelines de l’après-guerre, les gitanes. Toute une population qu’elle n’aurait « jamais rencontrée autrement ».

L. C.