Par Mokrane Ait Djida*
Un pays vient d’être envahi par un autre. Le fait est là. Cela suffit, abstraction faite de toutes les causes, les tenants et les aboutissants de ce conflit géopolitique qui risque de durer longtemps, pour qu’on condamne l’invasion au nom des principes et valeurs dont nous sommes pétris et dont le respect de l’indépendance des États n’est pas le moindre.
La Russie n’a, en effet, pas attendu longtemps pour mettre ses menaces à exécution, elle, qui n’a cessé d’alerter l’opinion internationale sur les velléités expansionnistes de l’OTAN qui a piétiné ses propres engagements pris en 1990. Ainsi, les causes de cette guerre qui, d’ores et déjà, s’annonce planétaire, sont-elles connues de tous et tiennent à la volonté des grandes puissances d’imposer leur diktat aussi bien politique qu’économique au monde entier.
Les pro-américains tentent tant bien que mal d’occulter ces causes, pourtant évidentes, pour se lamenter sur le sort de l’Ukraine, allié objectif de l’Occident, qui serait victime de la barbarie des forces russes.
Encore une fois, je tiens à préciser qu’il n’est nullement dans mon intention d’apporter un quelconque soutien aux forces envahissantes, cela serait contraire à mes principes qui, je le rappelle, découlent de notre histoire collective marquée par des résistances à toutes les invasions, et ce, quelles que pût être leur nature. Cependant, si l’action d’occuper illégalement les terres d’autrui est à condamner, la réaction de l’Occident qui procède d’une politique à géométrie variable me paraît plus qu’exécrable.
En effet, L’Europe, dont la France, n’a pas attendu longtemps pour faire entendre la voix des va-en guerre qui nous présentent une Russie en marge de la civilisation et dont les responsables monstrueux ne sont mus que par l’effusion de sang. Un pays tenu par un dictateur dont la folie pourrait détruire le monde. La solution consiste alors à l’éliminer, physiquement, et c’est Bernard Henri Levy qui est chargé de trouver les arguments politico-philosophiques afin de convaincre la communauté internationale du bien-fondé de cette option. Des sanctions économiques ainsi que des décisions d’exclusion de compétitions sportives sont prises à l’encontre de ce pays qui, il y a seulement quelques années, avait abrité la coupe du monde du football. Ce qu’ils oublient de dire, c’est qu’en partie, grâce à la Russie (ex-URSS), que l’Europe s’est libérée de joug nazi. La botte de Staline était bien encensée lorsqu’elle était mise au service d’une guerre ayant mis fin au Führer et à sa folie dévastatrice, et permis à de nombreux pays, dont la France, de recouvrer leur liberté. Aujourd’hui, les choses ont bien changé et la tendance est plutôt à l’alignement derrière un seul maître qui dicte à ses larbins les politiques à adopter en leur désignant les amis à chérir et les ennemis à abattre.
Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant de n’entendre qu’une seule voix qui s’enlise de plus en plus dans les paradoxes. Ainsi, au nom d’un manichéisme désuet, l’Occident distribue généreusement les bons points aux pays dociles qui n’opposent aucune résistance à son ingérence dans leurs affaires internes les plus « intimes » jusqu’à saper complètement leur souveraineté, tandis que les autres, ceux dont la dignité passe avant les intérêts étriqués, sont vite stigmatisés avant de les désigner du doigt comme ennemi menaçant la stabilité du monde. Comment ne pas avoir honte de cette attitude lorsqu’on laisse mourir des enfants en Palestine où chaque jour les résolutions onusiennes sont bafouées par l’occupant, et ce, depuis des décennies, et qu’au lendemain d’une action armée dont la victime est cette fois-ci un pays obéissant, on ameute ses troupes pour leur demander de venger, au nom des droits de l’homme, l’ami agressé ? Si la politique a ses raisons, la morale ne s’accommode guerre des calculs d’épiciers. Heureusement, que partout dans le monde, il y a des gens qui restent attachés à cette morale qui leur fait agir conformément à des valeurs humaines, expurgées de tout intérêt et dénuées de toute complaisance.
L’autre point qui a attiré mon attention, c’est ce refus de l’Occident de s’impliquer militairement dans cette guerre. Cela m’a ramené une trentaine d’année en arrière lorsque Saddam avait envahi le Koweït suscitant une condamnation quasi unanime de la communauté internationale. Une coalition s’est alors vite constituée, et une base installée sur le champ. Des bombardements avaient pris les civils pour cibles, et la coalition ne s’est retirée que lorsqu’elle s’est assurée que l’Irak était complètement ruiné. Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui l’occident de rééditer le même scénario ? La réponse est toute simple, mais on n’ose pas l’admettre. La Russie fait peur et ce n’est certainement pas les gesticulations de certains pseudo-intellectuels qui pourraient convaincre du contraire.
Que la politique soit une question de rapport de forces, qu’à cela ne tienne. Qu’elle ne connaisse pas d’amis éternels ni d’ennemis éternels, cela est son essence même. Mais de grâce, chers belliqueux philosophes, arrêtez de nous prodiguer vos leçons de morale, et plutôt que de vous lamenter sur le sort de l’Ukraine qui, j’en suis sûr, finira par retrouver sa liberté pour peu que les deux pays acceptent de s’assoir sur la table des négociations loin des vautours, comptez les morts dont les fantômes hantent les rues de Bagdad et Tripoli, et que je doute fort qu’un jour vous les ayez considérés comme faisant partie du cercle des humains.
M. A. D.
* Enseignant à l’université Hassiba Benbouali