Par Mostefa Mostefaï
Natif d’El Karimia, Abdelhadi Chihani est issu d’une famille d’artisans-coiffeurs reconnue pour son savoir-faire dans ce métier. Ayant l’habitude de voir ses frères manipuler les ciseaux avec adresse pour donner une belle forme aux cheveux des clients, nombreux à fréquenter leur salon familial, Abdelhadi, aujourd’hui âgé de trente-deux ans, a vite trouvé ses repères dans ce milieu professionnel.
Il faut savoir qu’avant d’entrer de plain-pied dans le métier, notre dynamique artisan a été précédé par ses deux grands frères : Kouider, l’aîné, qui a remplacé le défunt père et Noureddine, le cadet, qui a pris sa relève.
Abdelhadi explique les raisons qui l’ont poussé à adopter ce métier : « J’ai quitté l’école alors que je n’avais que quinze ans et le niveau scolaire de neuvième année fondamentale, je me suis retrouvé dans l’obligation de trouver un boulot, n’importe quel boulot, pour améliorer notre situation sociale qui était lamentable. La maigre pension que ma pauvre mère touchait ne suffisait guère à assurer nos besoins alimentaires car on était nombreux dans la famille ».
El Hadi, comme l’appellent ses amis, dut donc travailler dur comme manœuvre trois ans durant dans de nombreux chantiers de construction et de bâtiment. Il se fit employer dans plusieurs entreprises privées de la région. Et comme tout le monde le sait, certains entrepreneurs traitent leurs ouvriers journaliers comme des esclaves, parfois en les humiliant et sans se soucier de leur état de santé physique, la majorité écrasante ne les déclaraient même pas aux assurances sociales. Chose qui a poussé Noureddine, le frère cadet, à le débaucher de ces chantiers de la honte en lui confiant un travail moins pénible : le nettoyage du local de coiffure et l’entretien du matériel. C’est mieux, s’est dit le frère, que de laisser El Hadi user son jeune corps dans des travaux pénibles chez des patrons véreux.
« Je passais de longs moments à regarder mon frère dans son travail en fixant ses deux mains et les cheveux des clients tandis que mon rôle ne dépassait pas le nettoyage de la salle, le séchage des serviettes et le lustrage des glaces. »
Notre jeune coiffeur s’est impliqué dans son domaine d’une façon anecdotique dans le métier proprement dit lorsqu’un jour, un client pressé pour se faire coiffer, s’est présenté au local. « Mais comme Noureddine était absent, ce client m’exigea de le coiffer rapidement, il a dit que même si je lui entaillais le cuir chevelu, il ne m’en tiendrait pas rigueur, l’essentiel est qu’il ait sa coupe.
C’était une chance pour El Hadi de se familiariser avec le métier. Notre apprenti savait tenir les ciseaux mais pas comment les manipuler. Après insistance du client – et les encouragements prodigués par un camarade présent au salon -, il s’attela à la tâche en procédant comme il a vu faire son frère. À la fin de l’épreuve, parce que c’en était vraiment une, il n’en croyait ses yeux : on aurait dit que c’est Noureddine, le patron, qui l’a réalisée. Elle était parfaite.
Depuis ce jour, on ne compte plus le nombre de têtes coiffés par El Hadi. Par la suite, le jeune artisan fut conseillé d’obtenir un diplôme pour pouvoir pratiquer le métier convenablement, chose qu’il a exécutée au centre de formation professionnelle d’Oued Fodda. Le stage dura dix-huit mois, période durant laquelle il trouva aide et facilitation pour approfondir ses connaissances.
Une fois le diplôme en poche, El Hadi n’a pas eu la chance d’exercer son job à côté de son frère car le contrat de location du local est venu à expiration. Son frère n’avait d’autre choix que de changer d’activité. El Hadi n’était pas à vrai dire dans l’impasse : « Dans ces moments difficiles, je n’ai trouvé d’autre solution que de prendre ma valise et prendre la destination d’Alger, précisément le quartier de Bouzaréah où j’ai pu partager le local d’un autre coiffeur. Il faut signaler que j’ai vécu de moments pénibles, je dormais dans les lieux même de travail. »
Après plus d’une année passée dans ce salon, l’aventure d’El Hadi se termina par son retour au bercail en 2014. Cette fois avec un capital expérience forgé chez les Algérois et avec des économies respectables qui lui ont permis d’ouvrir son propre local. Le lieu attire depuis bon nombre de clients. El Hadi préfère coiffer les adultes, précisément ceux qui demandent des coupes simples ou classiques. Parmi ses « abonnés », on rencontre des fonctionnaires (enseignants, employés de l’administration, professions libérales) qui choisissent les coupes simples, contrairement à certains adolescents qui préfèrent des coupes bizarres.
Aujourd’hui, Abdelhadi s’est installé dans son nouveau salon de coiffure situé au centre-ville d’El Karimia, non loin du siège de la mairie. Deux mois après la fermeture de son ancien local, période où il est resté sans travail, ses clients ne l’ont pas oublié, tous l’ont rejoint dans son nouveau palais de glace parce qu’ils connaissent le sérieux et le professionnalisme du jeune artisan.
Abdelhadi regrette de n’avoir pu bénéficier d’un local professionnel, à l’image de ses collègues bénéficiaires des locaux dits « locaux du président ». Ce regret exprime la cherté du loyer que notre jeune coiffeur doit débourser chaque année au propriétaire du local.
M. M.