L'Algérie de plus près

TV privées étrangères et médias locaux : On tue les petits pour engraisser les gros !

Exerçant dans le flou juridique total, de nombreuses chaines de télévision off-shore sont établies de la manière la plus « officieuse » en Algérie. De droit étranger et domiciliées à l’extérieur du pays, entre autres le Royaume Uni et la Jordanie, ces chaines étrangères – répétons-le – disposent de sièges centraux imposant, de bureaux et de centaines de correspondants « agréés » par les autorités de toutes les wilayas.

En 2020, révélait l’ex-ministre de la Communication, il existait quelque 50 chaines de télévision de télévision privées exerçant en Algérie dont seules 6 d’entre elles ont reçu un agrément provisoire «pour l’ouverture de bureaux de presse et d’information pour les représenter en Algérie». Le ministre avait précisé que le nombre de personnes autorisées à exercer dans ces bureaux ne doit pas dépasser 14 employés.

Or, la réalité est tout autre. Ces chaines de télévision qui ont fait intrusion dans les foyers algériens aux côtés des chaînes clonées de l’Unique, l’ENTV, disposent en réalité d’une logistique impressionnante. Certaines chaines sont hébergées dans d’immenses tours érigées à coups de milliards, d’autres exercent à l’intérieur même de la maison de la presse d’Alger, utilisant à moindre frais des locaux dont a cruellement besoin la presse écrite. « C’est comme si l’État algérien offrait des locaux à France 2 ou CNN », ironisent des confrères en évoquant le cas de quelques chaines privées étrangères très influentes que l’on fait passer pour d’authentiques médias algériens.

Plus important, ces chaines « emploient » des centaines de correspondants « agréés » au niveau de toutes les wilayas du pays. Pour la plupart des intrus, ne respectant ni l’éthique ni les règles de déontologie du métier, ces correspondants sont devenus de véritables « stars » locales, et certains vont jusqu’à diffuser des informations tronquées ou des annonces publicitaires déguisées en se faisant grassement payer par leurs « clients ». Sans que leur hiérarchie ne s’en mêle, bien au contraire. Et l’on sait pourquoi.

Plus grave, et par on ne sait quelle pirouette administrative, ces correspondants disposent de locaux spacieux et équipés mis à leur disposition par des walis en mal de médiatisation et exercent le plus librement du monde, sans être inquiétés par les services de sécurité. Il leur suffit de brandir le logo de leur chaine pour être autorisés à filmer tout ce qui bouge… Au contraire des journalistes de la presse écrite qui, pour n’importe quelle prise de vue, se voient interpellés par la police ou la gendarmerie. Cela, malgré l’existence d’un texte de loi on ne plus clair qui cadre l’activité de presse, en l’occurrence la loi sur l’information.

Dire que la loi actuelle sur l’information ne cadre plus avec la nouvelle donne politique est, à notre sens, faux et exagéré. L’actuel ministre de la Communication sait pourtant que c’est plutôt le refus de l’appliquer qu’il faut pointer du doigt. En effet, la plupart des dispositions de cette loi sont gelées. Ou n’ont jamais été appliquées. Par exemple, l’attribution de la carte professionnelle de journaliste (par la commission de la carte) est censée faciliter l’exercice de la profession. Cette carte professionnelle nationale a été octroyée à de nombreux intrus qui continuent à ce jour de l’exploiter pour des fins très personnelles. De plus, cette même carte n’est pas reconnue en tant que telle par les services de sécurité. Plusieurs fois, des gendarmes nous ont demandé d’exhiber l’ordre de mission, considérant que la carte nationale professionnelle de journaliste est un simple « badge ».  Un badge pourtant délivré par une institution de l’État !

Autre grief, la non-application de l’article 40 de la même loi qui institue une « autorité de régulation de la presse écrite ». Ledit article énonce qu’il s’agit d’une autorité indépendante, jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’autorité est chargée notamment :

« — d’encourager la pluralité de l’information,

— de veiller à la diffusion et à la distribution de l’information écrite à travers tout le territoire

national,

— de veiller à la qualité des messages médiatiques ainsi qu’à la promotion et la mise en exergue

de la culture nationale dans tous ses aspects,

— de veiller à l’encouragement et à la consolidation de la publication et de la diffusion dans les

deux langues nationales par tous les moyens appropriés,

— de veiller à la transparence des règles économiques de fonctionnement des entreprises éditrices,

— de veiller à l’interdiction de la concentration des titres et organes sous l’influence financière,

politique ou idéologique d’un même propriétaire,

— de fixer les règles et les conditions des aides accordées par l’État aux organes d’information, et

de veiller à leur répartition,

— de veiller au respect des normes en matière de publicité et d’en contrôler l’objet et le contenu,

— de recevoir des déclarations comptables des publications périodiques autres que celles

générées par l’exploitation,

— de recueillir, auprès des administrations et des entreprises de presse, toutes les informations

nécessaires pour s’assurer du respect de leurs obligations.

Les renseignements ainsi recueillis par l’autorité de régulation de la presse écrite ne peuvent être

utilisés à d’autres fins qu’à l’accomplissement des missions qui lui sont confiées par la présente loi

organique. »

Ayant à diriger une publication régionale d’information de proximité, nous n’avons jamais entendu parler de cette instance ni de sa composition.

Quant à la « répartition équitable » des aides de l’État à la presse écrite, tout ce que l’on sait, c’est que ces soit-disant « aides » n’ont jamais été versées officiellement aux titres de presse. Cependant, nous avons appris dernièrement que quelques journaux en ont bénéficié.

Ce qui est certain, en ce qui concerne « l’aide », quelques journaux (dont les journaux publics) bénéficient d’un quota substantiel d’encarts de publicité institutionnelle. Des journaux « nationaux » réalisés à partir des dépêches de l’APS et d’information collectées sur l’Internet, réalisent des chiffres d’affaires mensuels ahurissants, alors que d’autres, dont Le Chélif, sont traités comme des journaux de seconde zone, ou des chiens à qui l’on jette les restes des restes. Dernièrement, l’ANEP, l’agence nationale d’édition et de publicité, qui gère la manne publicitaire de l’Etat, et qui a droit de vie et de mort sur les publications de presse, a décidé unilatéralement de ne plus accorder d’encarts publicitaires aux « petits » journaux, les condamnant à la fermeture pure et simple. Nous sommes dans cette situation. Il faut préciser que le montant annuel (nous disons bien ANNUEL) des recettes publicitaires réalisées par notre journal représente à peine à la moitié de ce que réalisent certains titres en l’espace d’un mois !

Où est donc l’encouragement à la pluralité de l’information ?  Et comment veiller à la diffusion et à la distribution de l’information écrite à travers tout le territoire si une région comme le centre ouest, la zone de diffusion de notre hebdomadaire, qui est composée de plus de 5 wilayas, en est exclue ?

Nous ne sommes pas dupes. En réalité, toute l’agitation autour de la loi de l’information n’est qu’une qu’un artifice qui vise tout simplement à apprivoiser les 6 chaines de télévision étrangères « agréées » en Algérie en leur accordant la « nationalité » algérienne. Le ministre la Communication l’a d’ailleurs clairement exprimé, lundi dernier, lors de son passage au Forum de la radio nationale. M. Bouslamani a en effet indiqué qu’un projet de loi sera soumis « prochainement » au Gouvernement et le ministère a entrepris des contacts avec l’Établissement public de Télédiffusion d’Algérie (TDA) et les responsables des six chaînes de télévision agréées en Algérie afin d’entamer l’opération de domiciliation qui figure « actuellement parmi les priorités ».

Quant au sort des centaines de journalistes et assimilés ayant perdu leur emploi à cause de la décision inique, injuste et arbitraire de l’ANEP (et de sa hiérarchie) de ne plus accorder d’encarts de publicité institutionnelle à certains journaux, motus et bouche cousue. Comme si les journalistes exerçant dans des publications régionales ou locales n’étaient pas de nationalité algérienne !

Ali Laïb