L'Algérie de plus près

Zaki Hariz, président de la Fédération algérienne des consommateurs :

« Le gouvernement navigue à vue… »

Zaki Hariz, président de la Fédération algérienne des consommateurs (FAC), ne va pas par quatre chemins pour pointer du doigt les parties responsables des tensions que connaît le marché, depuis plusieurs mois maintenant. Quand il déclare que « le gouvernement navigue à vue » », la direction dans laquelle il pointe son doigt devient évidente…

Le Chélif : Le marché connaît depuis quelques temps des tensions à ne plus en finir. Ces derniers jours, les consommateurs assistent impuissants au retour de la pénurie d’huile de table. Selon vous, quelles sont les causes réelles à l’origine de ces tensions à répétition ?      

Zaki Hariz : Je commence par la pénurie d’huile de table. Il est évident que la pénurie actuelle n’est pas normale. Sauf qu’il faut aller au fond des choses pour cerner les véritables causes à son origine. Lors de la dernière édition du Djazagro, Salon professionnel de la production agroalimentaire en Algérie, j’en ai discuté avec un fabricant d’huile et des commerciaux de Cevital. Ils m’ont dit que c’est un problème de facturation : leurs clients exigeant la facture. Sauf que la réalité est tout autre. Il s’agit en fait d’une baisse de production. Mis à part le producteur de la marque Afia, installé à Oran, tous les autres ont réduit leur production ; aujourd’hui leurs usines ne tournent plus qu’à 30% de leurs capacités de production. Ils l’ont fait non pas parce qu’ils veulent spéculer mais tout simplement pour des problèmes financiers. Ils sont à court de fonds de roulement. Et ce, du fait du non-paiement par le Trésor public de la subvention représentant la différence entre le prix d’importation de la matière première et le prix d’écoulement de leur produit, que leur accorde l’État. Une situation qui dure et qui ne fait que grever leur budget. Ajouté à cela la non-application dans les faits par le ministère du Commerce de la décision, qui existe réellement, de porter le prix au détail du bidon d’huile de 5 litres à 650 DA. Tous ces faits expliquent les perturbations que connaît présentement le marché de l’huile de table.

Est-ce à dire qu’il n’existe pas d’intentions spéculatives à ces perturbations ?

La spéculation existe là où il n’y a pas de réelle concurrence sur le marché ; là où les contraintes administratives sont trop pesantes. Il faut absolument lever ces contraintes. Le commerce est par essence libre. Il n’a pas besoin d’agréments. Ces agréments participent à l’apparition de pratiques contraires à l’intérêt des consommateurs. Pour illustrer mes propos, je vous donne un exemple édifiant. Il y a quelques années, l’importation de la banane était un quasi-monopole de deux importateurs et ce, parce qu’ils étaient les seuls à avoir un agrément. Le prix de la banane oscillait alors entre 600 DA et 800 DA le kilogramme. Après l’ouverture de ce créneau à toute personne possédant les moyens d’en importer, sans exigence d’un agrément, les prix sont passés sous la barre des 200 DA/kg ; le prix actuel de la banane est dû beaucoup plus à la perte de la valeur du dinar par rapport aux devises. Cela dit, on ne peut pas nier l’existence de pratiques spéculatives sur nombre de produits alimentaires importés. Une augmentation de 10% de leur prix à l’international est répercutée à l’intérieur par une hausse de 50% de leur prix de revente. Sauf que de telles pratiques peuvent facilement être éradiquées. Il suffit de renforcer le contrôle sur toutes les transactions effectuées et de châtier sévèrement tous ceux qui s’adonnent à de telles pratiques. L’instauration d’une réelle et saine concurrence entre les opérateurs économiques permettra au marché de s’autoréguler. Ce qui fermera la porte aux spéculateurs : ceux-ci ne prolifèrent, en effet, que dans un marché perturbé et soumis à des contraintes administratives pesantes. Et permettra à la production nationale de se développer en toute quiétude. À la « FAC », nous sommes pour l’encouragement et la protection de la production nationale. Dans ce contexte, nous saluons les efforts du groupe « SIM » qui a construit dans la région d’Oran un complexe intégré comprenant une usine de trituration de graines de soja et de tournesol, aujourd’hui importées, une usine de raffinage des huiles brutes produites dans la première usine, et une troisième pour le conditionnement des huiles raffinées obtenues dans la deuxième. Et nous demandons à ce que les pouvoirs publics imposent aux autres producteurs nationaux de s’approvisionner en huiles brutes, qu’ils continuent d’importer, auprès du complexe intégré du groupe SIM d’Oran. De même que nous saluons et encourageons le développement de la culture du colza dans notre pays. Mais, dans le même temps, nous exprimons nos craintes quant à la navigation à vue qui semble caractériser l’action du gouvernement dans les secteurs commercial et agricole…

Pouvez-vous être plus précis ?

Depuis deux mois, le gouvernement a pris la décision d’arrêter l’importation de pratiquement tous les produits alimentaires ; y compris la poudre de lait. Concernant les retombées de l’arrêt de l’importation de ce dernier produit, il est à craindre, dans un avenir très proche, et c’est une question de jours, que toutes les unités de production de lait et de ses dérivés fermeront leurs portes. Ce n’est pas là la seule mesure qui confirme que le gouvernement navigue à vue. La loi de finances 2022 impose une TVA de 9% sur le sucre et l’huile de table qui en étaient jusque-là exonérés. Cela ne manquera pas d’attiser la spéculation les concernant. Et, partant, de perturber encore plus le marché. Un consommateur qui a peur (de ne pas trouver le produit qu’il cherche) va stocker. Le pays a besoin d’une nouvelle organisation du marché et de toutes les activités connexes. Concernant le monde agricole et la spéculation qui y sévit, il y a urgence à revenir aux plans de culture. L’État doit exiger et veiller à leur application et protéger les agriculteurs qui s’y inscrivent. Quant aux autres, ceux qui décident de rester en dehors, ils ne doivent plus compter sur l’aide de l’État.

Entretien réalisé par Mourad Bendris