L'Algérie de plus près

Patrick Amand en exclusivité au journal Le Chélif : « Nous évoquerons la guerre d’Algérie dans notre prochain ouvrage »

Patrick Amand est un écrivain français. Auteur de polars et de nouvelles, il est également directeur de la collection Noires nouvelles des Editions du Caïman (France). Il nous parle, aujourd’hui, de sa vie, sa relation avec la lecture et l’écriture et nous présente dans un scoop exclusif pour Le Chélif, « Au-delà des colères muettes », le prochain numéro de la collection Noires nouvelles, à paraitre en mars 2022, un livre collectif qui traite sur la colonisation et la décolonisation avec une bonne moitié réservée à l’Algérie et à la guerre de libération nationale.

Le Chélif : Bonjour Patrick et bienvenu.

Patrick Amand : Bonjour à vous et à vos lectrices et lecteurs

Quelques mots pour vous présenter, d’abord.

Je suis fonctionnaire à la Mairie et Communauté Urbaine de Grand Poitiers (200 000 habitants), ma ville natale, à la Direction de la culture et du patrimoine sur des missions administratives, techniques et patrimoniales. Et j’ai 51 ans.

Comment vous êtes devenu écrivain et auteur de polars et nouvelles noires ?   

Je serai tenté de dire par hasard, mais quand on baigne dans une famille de grands lecteurs, entouré de livres et qu’on aime raconter des histoires, c’était peut-être écrit. Et un jour, cela m’a tenté. En 2004, on commémorait le 60e anniversaire du Débarquement de Normandie, événement qui me passionne, et je me suis laissé aller à écrire un polar qui évoquait cette période, qui a finalement trouvé un éditeur 5 ans plus tard.

Que représente l’écriture pour vous ?

Avant tout des plaisirs. Plaisir d’écrire, se triturer les méninges pour inventer une histoire, trouver une intrigue qui tienne la route, imaginer des personnages, faire des recherches historiques. Le plaisir est également grand lorsque l’on fait plaisir aux lectrices et lecteurs et quand je les rencontre sur des salons. C’est aussi l’immense bonheur de travailler avec Jean-Louis Nogaro, directeur des Éditions du Caïman qui m’a beaucoup appris et qui me fait confiance sur tout. Enfin, c’est grâce à l’écriture que j’ai rencontré mon ami Philippe Paternolli, auteur également au Caïman et aussi correcteur et lecteur avisé.

Quels sont les livres qui vous ont façonné ?

Ce sont avant tout des polars. Je dois dire que l’arrivée de Didier Daeninckx dans les années 80 a été un électrochoc. On dit de lui qu’il « a fait irruption » dans le polar. La formule est juste. J’avais une quinzaine d’années lorsque j’ai lu Meurtres pour mémoire. Puis La mort n’oublie personne m’a aussi marqué. Sinon, un de mes auteurs préférés est Frédéric H. Fajardie avec la série de l’inspecteur Padovani dont La théorie du 1% est un chef d’œuvre. Jean Amila a aussi été une lecture qui compte, comme Jean-Patrick Manchette et les adaptations en BD de Tardi. J’ai aussi le souvenir vivace de La reine des pommes de Chester Himes : mon premier polar américain !

Vous comprendrez que je ne suis pas du tout Agatha Christie, ni thriller…

Quand écrivez-vous ? Avez-vous un « rituel d’écriture », des horaires ?

J’écris vraiment lorsque j’ai envie, je ne m’astreins pas à des horaires. Lorsque je suis lancé, cela peut être de longues heures d’affilées. C’est souvent en musique qui peut aller de la chanteuse de jazz Elina Duni, du calypso des années 50 à des chants de partisans Yougoslaves de 1944. Mais la musique psychédélique du groupe texan Khruangbin ou celle instrumentale des canadiens de Do make say think revient souvent. Sinon, selon le sujet j’aime m’entourer d’objets ou d’images en lien avec le thème de mon texte dans mon bureau. Et je les laisse quand l’écriture est terminée. J’ai donc toujours sous les yeux une barge du D Day et un taxi coccinelle de Mexico miniatures, des photos du caricaturiste communard Pilotell et de l’écrivain Jean-Richard Bloch… 

Vous êtes également directeur de collection aux éditions du Caïman. Parlez-nous de cette expérience et de la collection « Noires Nouvelles ».

Pendant des années, j’ai écrit des nouvelles sur le Débarquement (on y revient !). Lorsque j’en ai eu un nombre intéressant, j’ai proposé à Jean-Louis Nogaro de les publier dans le cadre du 70e anniversaire du débarquement en 2014. Il n’était pas très chaud au départ, mais en les lisant cela lui a plu. II a trouvé cela varié : 14 nouvelles qui se passent entre 1944 et 2014 (de la première Omaha blues – qui donne le titre au livre – à la dernière Obama blues). Les histoires sont issues d’anecdotes glanées un peu partout : un faux parachutiste qui s’invente un passé glorieux, une commémoration avec des vétérans éméchés, des désertions… Sans le vouloir, j’ai donné le ton à cette collection. En effet, l’année suivante, je propose à Jean-Louis de refaire un recueil de nouvelles, cette fois collectif, afin de commémorer le 80e anniversaire de la création des Brigades Internationales en 2016. Non seulement, il dit oui, avec enthousiasme, en plus me nomme directeur de la collection « Noires Nouvelles » (fonction très sérieuse et bénévole, je le précise) et on se donne comme objectif d’en produire un tous les deux ans avec comme ligne éditoriale la commémoration d’un événement ou d’une période historique revisités dans la plus pure tradition du polar : celle de la critique sociale, de la face cachée de l’Histoire, du questionnement politique. On ne savait pas dans quoi on se lançait !

Son originalité est aussi – grâce à une idée lumineuse de ma compagne Sandra qui me conseille – est de faire appel à des compositeurs/interprètes, journalistes, historiennes et toute personne qui aurait des affinités et/ou des idées sur le sujet. C’est donc un gros travail de recherches, ou plutôt de rencontres. Aux côtés des fidèles de la collection (Didier Daeninckx, Maurice Gouiran, Serge Utgé-Royo) je laisse aussi de la place à un ou des auteurs/trices qui n’ont pas encore publié. Enfin, depuis le recueil sur Mai 68, nous sollicitons des dessinateurs de presse et artistes en leur demandant une illustration pour accompagner le recueil. Aujourd’hui, cette collection comporte 5 titres et a réuni 60 auteurs et autrices et 40 dessinateurs et dessinatrices différents.

Le dernier numéro de la collection sortira en mars 2022. Des indices sur ce recueil ?

Nous publions tous les deux ans. 2016 les Brigades Internationales, 2018 Mai 68, 2020 cent ans du mouvement anarchiste dans le monde, exception en 2021 et la commémoration du 150e anniversaire de la Commune de Paris, dont nous ne pouvions pas faire l’impasse. Donc si je vous dis qu’en 2022 nous commémorons, entre autres, un événement qui marque nos deux pays la France et l’Algérie, en ai-je trop dit ?

Les lectrices et lecteurs du Chélif voudront sûrement plus de détails. Encore plus d’indices, si c’est possible bien sûr. 

Ah ! Ah ! Alors vous aurez compris que nous allons parler de la Guerre d’Algérie, ou plutôt profiter du 60e anniversaire de l’indépendance pour évoquer la colonisation et la décolonisation. Il y a vingt-quatre contributions variées (fictions, histoires à partir de témoignages, poèmes…) : la moitié traite de l’Algérie, l’autre moitié évoque Madagascar, le Gabon… Le tout est accompagné de dessins d’humoristes dessinateurs/trices de presse ainsi que certains documents assez atypiques.

60 ans après l’indépendance, les relations entre l’Algérie et son ancien colonisateur sont toujours électriques. Ce livre commémoratif est-il une sorte de réconciliation ?

Pourquoi, nous sommes fâchés (rires) ? Ce livre n’a pas d’autre objectif que de traiter ce sujet par le biais de nouvelles et textes courts, de manière très libre. Ce recueil est là pour faire réfléchir, émouvoir et apprendre.  

En décembre dernier, Roselyne Bachelot, la ministre de la culture française a déclaré que la France va ouvrir ses archives sur les enquêtes judiciaires de la guerre d’Algérie (1954-1962) avec quinze ans d’avance. Selon vous, l’ouverture des archives au public contribuera-t-elle à réconcilier les deux nations ?

Je pense qu’il s’agit d’opportunisme politique avant l’élection présidentielle française. Pourquoi attendre autant ? Pourquoi a-t-il fallu attendre soixante pour reconnaître le rôle de l’État français dans la mort de Maurice Audin ? Macron souhaite se racheter de sa phrase sur « l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française… ». Bon, avant lui, il y avait eu Sarkozy et « l’homme africain qui n’est pas entré dans l’histoire » … Ou encore, Alliot-Marie ministre des affaires étrangères qui, en 2011, propose le savoir-faire français à la police tunisienne face aux manifestations … Le problème, selon moi, c’est que la France a toujours des relents colonisateurs et a particulièrement du mal avec son passé algérien. Envoyer sa jeunesse combattre la jeunesse algérienne en quête d’indépendance a laissé des traces indélébiles. Je crois plus à l’amitié et à la coopération entre les peuples plutôt qu’aux artifices de nos gouvernants.   

Un dernier mot aux lecteurs du Chélif, passionnés de littérature et de culture.

C’est un grand plaisir que de m’adresser à vous toutes et tous, et je sais que vous êtes des lectrices et lecteurs affutés, notamment grâce à ces chroniques. Je dirai aussi que c’est un peu sentimental pour moi : l’Algérie est mon premier voyage hors de France en 1982 lorsque j’avais 12 ans. J’ai un souvenir très fort de ce voyage qui m’a marqué (en plus j’avais un appareil photo tout neuf, donc j’ai encore plus d’images). Des villes, des lieux sont inscrits dans ma mémoire : les ruines romaines de Tipasa, Timimoune la rouge, le Ksar d’El Goléa, les bateaux de pêche du port d’Alger, le relief de la Kabylie… Et j’espère bien un jour venir à la rencontre des lectrices et lecteurs algériens.

Propos recueillis par Rouchdi Berrahma

« Au-delà des colères muettes », Collectif – Editions du Caïman (France), mars 2022.