L'Algérie de plus près

« Nous, on a toujours fait comme ça ! »

Dans le dernier « Coradia » qui nous a ramenés, jeudi dernier, de Chlef à Alger, il y avait beaucoup de monde. Des familles, des groupes de jeunes, des voyageurs esseulés de tout âge et même des migrants subsahariens. Il restait quelques sièges vides, surtout ceux qui étaient orientés dans le sens contraire de la marche du train. « Ça donne le tournis », me dit une dame accompagnée de ses 3 enfants qui voulait que je lui cède mon fauteuil. Enfin ? la place lui convenait et elle pouvait avoir ses enfants à ses côtés. Je me lève sans trop me poser de question pour m’installer trois sièges plus loin, à côté d’un jeune homme plongé dans l’écran de son smartphone. L’essentiel pour tous est de rentrer le plus tôt à Alger. Je devais prendre le bus de l’ETUSA jusqu’à la station de Chevalley et, de là, récupérer un paquet chez un ancien voisin qui a promis de me convoyer jusqu’à mon village, sur le Sahel algérois. Le bus était pratique pour les noctambules qui l’empruntent sont des gens de condition très modeste, avec ses tarifs symboliques, l’ETUSA leur évite de se faire plumer par les chauffeurs de taxi. Une faune de rapaces au vrai sens du terme que les autorités devraient mettre au pas en leur imposant l’obligation d’utiliser le compteur.

Après quelques minutes d’attente, le train démarre. Comme d’habitude, il y a relâchement total aussi bien des voyageurs que du personnel embarqué de la SNTF. Personne ne portait de masque de protection à l’exception de quelques voyageurs. Ils se comptaient sur les doigts d’une main et j’en faisais partie. Pourtant, ce jour-là, le bilan communiqué par les autorités sanitaires avait fait état de près de 300 nouveaux cas de Covid-19 et de 9 décès. Cette augmentation significative des contaminations n’a pas influé sur le comportement des gens qui continuent à négliger les gestes-barrière. Est-ce de l’inconscience ? Ou le manque d’information sur l’extrême dangerosité de la Covid-19 ? Les campagnes de sensibilisation et d’explication n’ont pourtant pas cessé à travers les médias, l’affichage mural et dans les lieux publics…. Existe-t-il une anti-campagne qui se passe en sourdine dans les milieux populaires ? Nous n’en savons rien mais le fait est que même les agents de la SNTF semblent s’y faire, eux qui d’habitude rappelaient sans cesse aux voyageurs de porter correctement leur bavette. À signaler toutefois l’attitude très professionnelle des jeunes employés du wagon-restaurant ; tous en effet portent leur masque même si de temps à autre ils se permettent de le rabaisser sur le menton. « Pour mieux respirer de temps en temps », me confie l’un d’eux.

Le train entre en gare de l’Agha, à Alger, à 20h 45. Tout le monde se rue dehors. La capitale est quasiment vide. Les rares passants ne portent pas de masques. Dans le bus de l’ETUSA, j’ai remarqué deux ou trois individus « masqués » dont une dame d’un certain âge.

Mais pourquoi bon dieu les gens se comportent-ils ainsi ? A-t-on oublié les terribles journées où les morts ne se comptaient plus, où les hôpitaux étaient saturés, où l’oxygène maquait terriblement dans tout le pays ?

À Chlef, j’ai laissé pire derrière moi : des cafés et des gargotes bondés de monde, des gens qui s’embrassent avec force accolades et poignées de main très franches… et aucun quidam qui portait le masque.

Que ce soit dans les banques, les bureaux de poste, les pharmacies, les commerces ou les administrations, c’est le relâchement total. Même les écriteaux signalant le port du masque ont disparu des vitrines des commerces du centre-ville.

« Nous, on croit en Dieu », m’a dit le matin même un jeune commerçant. « Et puis, nous, on a toujours fait comme ça. Et si on tombe malade, c’est le destin », conclut-il, l’air ravi de l’idiot qui croit tout savoir.

A. L.