L'Algérie de plus près

Football : divertissement social ou instrument politique ?

Par Mohammed GUÉTARNI

« Le sport est devenu un nouveau terrain d’affrontement (dans le respect des règles, de l’esprit du jeu et de l’adversaire) des États. C’est la façon la plus visible de montrer le drapeau, d’exister aux yeux des autres et d’être présent sur la carte du monde. »

                             Pascal Boniface (Géopolitique du sport).

Le football est, certes, le sport le plus prisé au sein de la société humaine. Durant les 90 minutes de la partie, les (télé)spectateurs retiennent leur souffle au rythme de la compétition. Cependant, est-il en phase de se transformer en instrument politique à même d’en faire un opium du peuple pour l’endormir ou… mieux canaliser la navigabilité des foules, parfois, déchaînées ? Dans ce cas, vers où ? Là est l’épicentre, voire le nœud gordien d’une question difficile à trancher. Pour parer à toute éventualité, les politiques inventent des tissus de contradictions à partir d’un ensemble d’éléménts disparates et sans harmonie sociale ni politique qui devraient, en principe (je dis bien en principe) constituer une synergie à même de promouvoir une structure homogène. Le football est-il devenu un moyen pour anesthésier les peuples et les rendre amorphes ?

One, too, tri, viva l’Algérie !

Ce logos crié à tue-tête dans les tribunes porte, en soit, la rationalité d’un état de fait sociologique qui n’a rien à voir avec l’idéologie. C’est cette raionalité qui devait gouverner le pays et le peuple. Dans ce cas, quelle est la portée de l’exaltation des Algériens à chaque victoire d’une compétition contre des équipes étrangères ? C’est une manifestation de l’amour qu’ils vouent à leur pays. Un amour inconditionnel, démesuré, voire effréné des Algériens pour leur Algérie-chérie. Un amour sans limite qui relève de la « piété. » L’Algérie est une Déesse pour les Algériens digne d’être honorée, adoreé, vénérée. Ces manifestations sont un « Hirak » bis un peu plus retentissant. Il s’agit de l’effet d’une joie incontrôlée qui prend valeur de nationalisme, mieux, du patriotisme chez les jeunes. L’actuel Président, M. Tebboune, a bien compris le message : « Il faut respecter l’esprit de la jeunesse et rester à son écoute. » C’est elle l’avenir. L’Algérie doit être construite selon ses demandes, selon ses commandes, ses rêves, ses aspirations, ses ambitions.

L’esprit fraternel au stade et aux gradins

Goebbles a raison de dire : « Celui qui peut régner sur la rue règnera un jour sur l’État car toute forme de pouvoir politique et de dictature a ses racines dans la rue. » Quant à la compétition Algérie-Tunisie, l’Algérie n’a pas gagné et la Tunisie n’a pas perdu la coupe. Le gagnant, dans ce grand match, est l’esprit sportif qui a régné durant toute la compétition. Il en va de même avec l’équipe du Maroc. Avec tout ce qui se passe, actuellement, entre le « Makhzène » et le gouvernement algérien, lors du match avec nos frères marocains, il n’y avait aucun incident ni malentendu, ni avec les joueurs algéro-marocains entre eux ni, encore moins, avec les sepctateurs dans les gradins. Oui, cela est vrai. Le sport peut être un cordon omblical entre les pays frères, un rassembleur des peuples, notamment, de la même région qui constituent une forme de derby. Cependant, cet esprit d’union doit être accompgné par des politiques idoines pour donner du tonus à l’œuvre sociale. La photo, sur les réseaux sociaux, montrant trois jeunes Algériens et Tunisiens, tenant ensemble les deux emblèmes, a une valeur symbolique qui illustre bien la fraternité qui lie nos deux peuples. C’est ce que l’on peut appeler « la sociologie du sport » pour mieux conforter la cohésion fraternelle entre nos peuples maghrébins, arabo-musulmans, voire la famille humaine dans son ensemble. Si la Ligue Arabe n’a pu unir les Arabes à l’instar de l’Union Européenne, le sport pourra le faire à sa place. Il prouvera aux politiques que le sport (le foot, principalement) est capable de faire ce que leurs politiques n’ont et ne pourront jamais faire car cela relève de la volonté délibérée des jeunes qui sont l’avenir de leurs nations.

La coupe arabe des nations de Doha, entre autres coupes arabes, devrait servir de passerelle pour unir le monde arabe à constituer une 4ème force politique et économique à côté des États-unis, la Russie et la Chine. Trop d‘argent a été dépensé pour la construction de ce stade pour rester, ensuite, en friche le restant de la vie sans être exploité. Non ! S’il a servi d’espace symbolique pour avoir réuni toutes les équipes footbalistiques des pays arabes, pourquoi ce petit pays de 11 586 km² et une population de 2,7 millions d’habitants, ne devrait-il pas couvrir cet enjeu pour continuer à jouer son rôle prépondérant dans la cour des grands à même de réunir, cette fois, les équipes politiques de tous les pays arabo-musulmans pour n’en faire qu’un seul bloc homogène mais… pour de vrai, cette fois.

Le sport est capable de jouer un rôle politique. Lors de la période de la guerre d’Algérie, le Front de Libération Nationale (FLN) entre en conflit contre la France coloniale pour recouvrer l’Indépendance. A côté du conflit armé, il (FLN) a créé une sélection de football, en avril 1958, tous des professionnels, baptisée le « Onze de l’Indépendance. » Ils ont tous évolué en France. Les dirigeants l’ont utilisée en tant que catalyseur du nationalisme en faveur de l’indépendance. L’objectif était de montrer au monde que le sport, aussi, s’implique dans la politique pour réveiller les consciences velléitaires en faveur de la cause nationale quitte à renoncer à leur statut de professionnels. Cette équipe militante a disputé, environ, 80 compétions en Europe, Asie et Afrique et ce, jusqu’à l’Indépendance. En 1963, elle cède la place à l’équipe nationale algérienne naissante. Le foot peut, donc, contribuer au développement de la mondialisation de tous les terriens sur les plans aussi bien politique, économique, social qu’humain à l’échelle planétaire.

Remugle de la politique dans le sport

En 1980, il y avait des tensions pour des raisons hégémoniques entre les USA et l’URSS, les deux géants de la planète. Cette même année, ont eu lieu les Jeux Olympiques d’été qui devaient se dérouler à Moscou. Les États-Unis et 64 autres délégations olympiques ont refusé d’y participer pour motif politique. Même la Chine a décliné l’invitation pour se rapprocher davantage des États-Unis. L’URSS a profité de la conjoncture pour montrer sa puissance au monde quant aux résultats sportifs. Elle a été classée première pour avoir grapiller un grand nombre de médailles. Pour certains journalistes, ce fut la victoire de « l’homo sovieticus », véritable machine à gagner.

En 1984, les USA ont organisé, à leur tour, les jeux olympiques à Los Angeles. Comme de raison, l’URSS, avec 14 nations de ses satellites du bloc socialiste, ont boycotté les jeux. La délégation américaine a excellé, durant ces jeux, finissant première au classement quant à la récolte des médailles. C’était, rappelons-le, la période de la Guerre Froide (1947-1991). Comme il est constaté, le sport n’est pas exempt de remugle politique. Il est brandi comme instrument tantôt social, tantôt politique. Chaque bloc avait ses spécialités sportives (sprint ou basket pour les USA, course de fond et gymnastique pour l’URSS). Cette passionnante concurrence a donné lieu à des sommets sportifs qui ont marqué l’Histoire mondiale du sport. 

L’esprit sportif ne se limite pas aux seules compétitions. Parfois, l’intrusion du politique dans le sport prend des tournures tragiques. L’exemple de l’attaque légendaire à Munich en septembre 1972 où un groupe de militants palestiniens s’est infiltré parmi les sportifs israéliens. Ils ont pris, en otage, des athlètes israéliens pour réclamer la libération de 248 palestiniens incarcérés dans les geôles d’Israël et, aussi, pour médiatiser la cause palestinienne devant le monde entier. Le bilan est toutefois dramatique. On dénombre 11 victimes de la délégation israélienne, 1 policier allemand, 5 palestiniens tués et 3 autres capturés. Et comme les Arabes ont « la main courte », Israël n’a pas la mémoire courte. Ce dernier a commis un véritable carnage à Sabra et Chatila en septembre 1982. Le nombre de victimes (hommes, femmes, enfants) reste, jusqu’à l’heure, imprécis allant de 460 à 3 500 morts avec la complicité des Phalangistes libanaises. Le quart de victimes est libanais. Les autres sont Palestiniens.

Par contre, d’autres sportifs sont devenus des diplomates tel que le boxeur Mohammed Ali qui a refusé de s’enroler dans l’armée américaine contre leVietnam. En plus de boxeur légendaire, il devient une véritable icône politique très apprécié dans les pays du Tiers-monde (notamment arabes pour s’être converti à l’lslam et africains pour la couleur de sa peau). Il sera invité par Nasser en 1964 et considéré comme le représentant de la communauté noire des Etats-Unis. Aussi, pendant la Guerre du Golfe, il négocie personnellement la paix et la libération de 15 de ses compatriotes en personne avec Saddam Hussein.

Le « Onze national », digne représentant de la nation.

Ainsi, le sport (particulièrement le football) est la discipline à même de souder la nation autour du « 11 national. » Ce dernier a, pour mission, de défendre les couleurs du pays. Le sport a pu bâtir des nations, créer des cohésions nationales et permettre aux couleurs nationales de se hisser dans le monde. Ceci explique la corrélation entre le pouvoir politique et les instances footballistiques dans nombre de pays.

Le foot catalyse le nationalisme populaire, provoque une réaction collective de l’amour pour la patrie. En effet, la population se rassemble facilement derrière la sélection qui hisse haut l’emblème national. Dans pareilles compétitions, l’identité paraît secondaire. Avec la coupe arabe des nations, les Algériens sont tous sortis dans la rue manifester leur sensation générale d’euphorie abstraction faite de l’origine (arabes, kabyles, terguis, chaouis ; M’zabi…). Nous sommes tous enfants de la même Algérie. Il n’y a « ni sous-citoyens » « ni super-citoyens » ; ni « Algé-riens d’en bas » ni « Algé-Rois d’en haut. » Nous sommes tous ‘’Algériens.’’ Point-barre.

Pour conclure, terminons cette palabre par ces phrases conclusives. L’objectif de la coupe arabe des nations peut réduire la fracture gouvernements/sociétés en instaurant la confiance entre les deux. Seule la confiance gouvernants/gouvernés pourra sauver le pays. Lors de la victoire de l’équipe algérienne, les manifestations populaires, à travers le pays, ont été très éloquentes : le peuple algérien a montré (à ceux qui veulent voir et entendre) son UNITÉ indéfectible, son INDVISIBILITÉ immuable et… son AMOUR indestructible pour son pays. L’équipe nationale a été, pour la deuxième fois, à la hauteur des espérances des compatriotes. Elle a représenté dignement le pays. Mission accomplie pour notre « Onze » national. Reste à notre équipe politique de… lui emboiter le pas. Faut-il élire Djamel Belmadi comme Président de la République pour mener l’Algérie de victoire politique en victoire économique. Et… pourquoi non ?

Viva l’Algérie. Vive la République.

Très bonne année 2022 à notre « Onze national », à tout le peuple algérien et… à l’ensemble de l’Humanité.

M. G.

*Docteur ès lettres