La France va ouvrir, “avec 15 années d’avance” sur ce qui était initialement arrêté, “les archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police qui ont rapport avec la guerre d’Algérie”. Ce sont là, les propos que la ministre de la Culture française, Roselyne Bachelot, a tenus vendredi dernier, 11 décembre, sur les plateaux de la chaîne de télévision BFM TV. Des propos qui ont surpris. Et ce, même s’ils s’inscrivent en droite ligne des déclarations faites, trois jours plus tôt à Alger où il a effectué une visite surprise et éclair, de Jean-Yves Le Drian, son collègue dans le gouvernement en charge du portefeuille des Affaires étrangères. Celui-ci y a, en effet, plaidé “pour des relations apaisées” entre son pays et l’Algérie. C’est à cela que semble tendre – du moins, en apparence – la sortie médiatique de Roselyne Bachelot. En déclarant qu’il existe “des choses à reconstruire avec l’Algérie” et que celles-ci “ne pourront se reconstruire que sur la vérité”, elle a, selon l’avis de nombre d’observateurs, tenté de faire passer le message selon lequel la France est disposée à lever tous les obstacles liés à la question mémorielle qui entravent l’établissement de relations apaisées avec l’Algérie. Comme gage de sa bonne foi – et de celle de son pays -, elle a annoncé sa décision précitée ; “le gage de bonne foi” résidant, à l’évidence, pour elle, dans l’avancement “de 15 années” sur la date arrêtée initialement de l’ouverture (des archives) annoncée.
Une annonce biaisée dès le départ ?
Parce que, au vu des limites qui lui sont imposées, cette dernière ne peut aucunement satisfaire la partie algérienne. En limitant cette ouverture aux seules “archives judiciaires sur les enquêtes judiciaires qui ont rapport avec la guerre d’Algérie” et en limitant ces enquêtes aux seules qui ont été effectuées par les services “de gendarmerie et de police”, la ministre de la Culture française a fortement réduit la portée de son annonce et, partant, suscité moult interrogations sur la réelle bonne foi des autorités françaises et du Président Macron – qui semble être le maître d’œuvre de cette opération médiatico-politique – à aller franchement vers un apaisement durable et, pourquoi pas?, définitif de leurs relations avec l’Algérie. Ni les premières, ni le second ne sont sans savoir que la vérité à laquelle aspire cette dernière ne se limite pas aux seuls faits survenus durant “la guerre d’Algérie” et établis par les “enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police” mais concerne tous les faits et méfaits qui se sont produits durant les 132 longues années qu’a duré la nuit coloniale. Et par “faits et méfaits”, il faut comprendre tous les massacres, tous les assassinats, toutes les déportations et toutes les spoliations (de biens fonciers et immobiliers) dont ont été victimes, à titre individuel ou collectif, les Algériens durant cette dernière. Et dont l’armée française a été grandement partie prenante. Et ce, tout au long de la nuit coloniale. Comment expliquer alors son “oubli” par Roselyne Bachelot dans son annonce ? Ignore-t-elle que celle-ci, particulièrement durant la Bataille d’Alger, qui a duré de janvier à octobre 1957, a accaparé tous les pouvoirs de police ? Et que, par conséquent, ses services ont eu à diligenter maintes “enquêtes judiciaires qui ont rapport avec la guerre d’Algérie” ? Pour la majorité écrasante des Algériens, toute approche qui tendrait et à “saucissonner” la nuit coloniale en périodes à prendre séparément et à absoudre l’institution militaire française des crimes avérés qu’elles a commis contre le peuple algérien, n’est qu’une manœuvre sournoise visant à nier le caractère global du colonialisme et, partant, à tempérer sa violence intrinsèque.
Mais qu’est-ce qui a motivé Roselyne Bachelot à faire son annonce ?
Sans aller jusqu’à prêter à Roselyne Bachelot de telles funestes intentions, ce serait, en revanche, faire preuve d’une grande naïveté que de croire que sa sortie médiatique n’est mue que par son seul souci de contribuer au réchauffement des relations algéro-françaises. Et, partant, que sa sortie médiatique est exempte de considérations géopolitiques et économiques actuelles. Nombre d’observateurs des relations algéro-françaises estiment, en effet, que la France pâtit fortement de la détérioration de celles-ci. Sur le plan de sa présence dans l’aire maghrébo-sahélienne et sur celui économique. La montée du ressentiment anti-français dans nombre de pays du Sahel, notamment au Mali, au Niger et au Burkina Faso, et la présence de plus en plus manifeste de l’Ours russe dans la région ne sont pas étrangères, soutiennent-ils, à cette détérioration. A laquelle ont également contribué l’appui inconditionnel apporté par la France au Makhzen dans le dossier du Sahara occidental et les profondes divergences qu’elle a avec l’Algérie sur celui libyen. Ajoutée aux difficultés croissantes qu’éprouvent les entreprises françaises à préserver leurs positions – il y a peu, dominantes – sur le marché algérien, cette dernière a fini par devenir un souci majeur pour le Président Macron. Surtout en cette période pré-électorale où la bataille entre les candidats déclarés se fait chaque jour plus serrée et “la chasse aux voix”, plus intense. Comme les électeurs d’origine algérienne sont en nombre qui n’est pas à dédaigner, on ne peut que comprendre les dernières initiatives françaises visant à l’apaisement des relations entre les deux pays. Sauf que celles-ci risquent de finir en queue de poisson : la crédibilité et le sérieux de toute initiative se mesurant à l’aune de la transparence et de la clarté des desseins de ses auteurs. Toutes choses qui semblent absentes dans l’annonce de Roselyne Bachelot de sa décision d’ouvrir “avec 15 années d’avance, les archives sur les enquêtes de gendarmerie et de police qui ont rapport avec la guerre d’Algérie”.
Mourad Bendris