L'Algérie de plus près

5 octobre 1988 ou la révolte contre le système mafieux

Par Professeur Mohammed Guétarni

« Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer »

Gaston BERGER

Les émeutes fatidiques d’octobre 1988 ont éclaté à partir du 2 au 3 octobre dans les lycées Abane Ramdane (El-Harrach) et les Eucalyptus (Bourouba) dans la banlieue d’Alger pour se propager dans la nuit du 4 au 5 octobre dans le quartier populaire de Bab-El-Oued à Alger. Elles s’étendent rapidement à d’autres grands centres urbains du Nord pour faire, ensuite, tache d’huile sur l’ensemble du pays sans réseaux sociaux, à l’époque. Cependant, grâce aux antennes paraboliques, qui poussaient, comme des champignons sur les toits, les habitants des autres villes Constantine, Batna, Oran… ont appris, par le biais des télévisions françaises, entre autres, qu’Alger s’est embrasée. Les émeutes furent réprimées dans le sang par l’armée.

Ces événements annonçaient, depuis longtemps, leurs prodromes qui devaient être interprétés comme des tirs de sommation de la société en direction du pouvoir autiste aux doléances populaires. D’après la presse nationale, ils sont survenus après une série d’avertissements telles que des explosions en Kabylie (1980), Oran et Saïda (1982), Oran (1984), Alger (Casbah) 1985, Constantine et Sétif (1986). La grève de Rouïba (septembre – octobre 1988) a marqué un tournant décisif. Elle fut le déclencheur qui va précipiter les évènements. La jeunesse algérienne a défié le régime défaillant parce que tiraillé par les luttes intestines entre différentes factions au sommet de l’État, dont la plus importante oppose le Président Chadli Bendjedid (1979–1992) à l’oligarchie du parti unique FLN qui contrôle, à la fois, le syndicat UGTA et l’Organisation des Anciens Moudjahidine (ONM). Un régime qui ne s’est jamais occupé du peuple mais uniquement de son pouvoir. Toujours selon la presse, il y avait plus de 100 000 manifestants dans la rue algérienne. Une digue humaine pour protéger le pays des dérives. Dans un premier temps, le pouvoir misait sur l’essoufflement du mouvement puis tout rentrera dans l’ordre (ou, plutôt, désordre) habituel.

Quelle que soit l’époque, la jeunesse algérienne a toujours répondu présente, par devoir de nationalisme et de citoyenneté, lorsque le pays l’interpelle parce qu’il est en danger et ce, depuis le début de la colonisation en 1830 (l’Émir Abdelkader), la Révolution de Novembre 1954 (Boudiaf), en passant par celle d’octobre 1988 et février 2020 (le Hirak). Ces manifestations sont inscrites de marbre dans l’Histoire et la conscience algériennes. Le pays a vécu des agitations sociales graves. Une déchirure nationale des plus insupportables en raison des troubles politiques À chaque fois, il y a changement d’hommes mais… jamais de système. Les Algériens nés au 21ème siècle ont, aujourd’hui, 21 ans. Ils n’ont plus besoin de tuteurs. Ils sont majeurs et vaccinés (pas seulement contre le Covid-19). Une jeunesse consciente de sa force et, aussi, de sa discipline légendaire, pour défier quel que soit le pouvoir dictatorial dès lors qu’il use et abuse de son pouvoir illégitime et omet de s’occuper du peuple. Une jeunesse qui croit dur comme fer en son pays, hélas, gouverné par des malfrats aux mœurs crapuleuses et au comportement mafieux depuis l’Indépendance.

C’est le désespoir qui a poussé les jeunes à sortir dans la rue pour manifester. Ils se sont attaqués aux symboles de l’État pour exprimer leur ras-le-bol ainsi que leur haine viscérale au système mafieux dont ils n’en veulent plus. L’armée est intervenue faisant usage des armes en tirant à balles réelles contre une jeunesse désarmée. Cette jeunesse qui n’avait, pour bouclier, que sa poitrine nue à même de montrer, à ses assassins, son cœur qui bat au même rythme que celui de son pays qu’elle a toujours adoré après Dieu. « L’Amour du pays est un acte de Foi », disait le Prophète (QSSSL). Une dérive humanitaire. Les victimes se comptaient par centaines. De sources hospitalières, le bilan des cinq journées d’émeutes s’élevait à plus de 400 morts, soit 80 morts/jour ; côté officiel : 159 morts. Sans rentrer ans la querelle des chiffres, quel que soit le nombre de morts, ce sont des balles assassines algériennes qui ont assassiné de jeunes Algériens dont le seul tort (si cela en est un) est qu’ils réclament – (et continuent, d’ailleurs, de réclamer) – une vie décente et digne dans leur pays pour lequel leurs parents se sont sacrifiés.

Les violents évènements du 5 octobre 1988 ont pu porter quelques réformes qui ne sont rien d’autres que de la poudre aux yeux, même pas un baume au cœur. Plus de 30 ans après, le système est toujours là avec ses faiseurs de rois. Les jeunes algériens continuent d’être assassinés mais … d’une autre manière : le danger des « Hargate », à bord d’embarcations de fortune, vers la rive nord de la Méditerranée où nombre d’entre eux meurent en naufrage. À l’époque, il n’y avait pas d’espoir. Aujourd’hui non plus. Du moins, pas dans l’immédiat.

Le règne de Bouteflika, a annihilé toute perspective d’avenir pour ces jeunes. Il reste glaçant car incolore. Ils ne le voient pas venir. De même qu’ils refusent de subir l’avenir qu’on leur propose. Ils désirent, plutôt, inventer eux-mêmes le leur propre. Un avenir nouveau, moderne qui répond à leur désir, leur goût et… leurs aspirations parce que l’Algérie, c’est eux. L’État doit simplement les accompagner et ne doit surtout rien promettre par simple flatterie lorsqu’il n’a rien à promettre.

M. G.

Docteur ès Lettres