Le polar japonais et les Yakuzas
Par Rouchdi BERRAHMA
Les japonais adorent lire. Si vous êtes au Japon et vous prenez un moyen de transport tels que le train ou le tramway, vous êtes susceptible de voir les japonais, de l’étudiant aux chef d’entreprise, avec un manga ou un Kindle. Les japonais sont des dévoreurs de mangas, mais qu’en est-il de la fiction policière ?
Les présentoirs « polars » dans les librairies japonaises sont principalement consacrés aux romans policiers se déroulant dans les trains, mais il y a beaucoup plus à la fiction policière dans un pays où les yakuzas exercent une influence très forte et très visible.
Depuis les années 1990, beaucoup d’auteurs se sont mis à écrire des romans policiers traitant des yakuzas. Ces romans donnent une base solide au crime japonais sur laquelle les nouveaux auteurs s’appuient tout le temps…
Dans cette chronique, je vous présente un de ces romans policiers : « Le Requin de Shinjuku » d’Arimasa Osawa dont la traduction française est parue en octobre 2020 chez Atelier Akatombo.
« Le Requin de Shinjuku » est un roman « hardboiled » qui se déroule à Tokyo, parmi les immeubles géants et les néons scintillants du quartier de Shinjuku, un quartier aux allures d’une métropole. Nous sommes au début des années 1990. Le département de police de Tokyo se concentre sur la hiérarchie, la bureaucratie et le sauvetage de la face. Des règles tacites mais bien comprises régissent les interactions des officiers entre eux et avec les différents gangs de Yakuza qui se partagent le territoire de la ville et terrorisent les citoyens ordinaires.
Boudé par ses collègues pour avoir refusé de suivre la ligne de conduite, le capitaine Samejima, connu sous le nom de « Le Requin de Shinjuku » pour sa quête incessante de justice quel qu’en soit le prix, est sur la piste d’un armurier Kizu, un criminel dont la spécialité est de fabriquer des armes et surtout celles qui ne sont pas reconnaissables en tant que telles mais plutôt déguisées pour ressembler à d’autres objets. Samejima n’avait pas pu trouver son atelier la dernière fois qu’il l’avait mis en prison, et maintenant que Kizu en est sorti, il est sûr qu’il est de retour au travail – et que des innocents meurent à cause des armes qu’il met en circulation.
Autrefois considéré comme une lumière brillante au sein de la police, Samejima est maintenant traité comme une sorte de marginal, mais qui ne peut pas être simplement écarté. Il détient des informations qui pourraient avoir des conséquences dévastatrices si elles étaient divulguées. Personne dans le département ne veut travailler avec lui, en partie à cause de ses méthodes et aussi par peur que sa propre carrière ne soit compromise, alors le Requin travaille seul dans l’un des quartiers les plus difficiles du Japon. Mais alors qu’il se rapproche de sa cible, il semble qu’un autre chasseur soit entré dans ses eaux et s’attaque à ses collègues officiers. La médecine légale indique qu’une arme inhabituelle a été utilisée pour tirer les coups de feu mortels. Samejima est persuadé que Kizu y est pour quelque chose.
Samejima a également une vie privée, très séparée de son travail. Sa petite amie Sho est chanteuse et Samejima l’aide même à écrire certaines de ses chansons.
Le dernier élément majeur du roman est le décor, Shinjuku, présenté comme une partie plus sauvage de Tokyo dégoulinant de sexe et de crime, en particulier dans ses petits clubs répondant à une variété de goûts.
« Le Requin de Shinjuku » est intéressant pour montrer certains des côtés les plus sombres du Japon en particulier en ce qui concerne les yakuzas et la façon dont ils sont tolérés.
« Le Requin de Shinjuku » est un bon polar, un plaisir à lire du début à la fin. Cela ressemble à un roman policier typique, mais la sensation étrangère le rendait également différent, spécialement pour un roman policier japonais. Un livre plein d’actions mais toujours intelligemment écrit avec des morceaux d’humour ironique. La traduction de Jacques Lalloz est bien faite et la maquette du livre est superbement confectionnée avec des motifs et des symboles du patrimoine japonais.
La série Samejima d’Osawa est extrêmement populaire au Japon et a remporté de nombreux prix littéraires. J’ai envie de lire le reste de la série mais j’espère que ça ne deviendra pas trop cliché.
En conclusion, si les mystères des meurtres, la mafia japonaise et les histoires de poursuites policières du chat et de la souris vous font palpiter le cœur, prenez ce roman policier japonais pour votre liste de lecture automnale. « Le Requin de Shinjuku » est sûr de vous garder debout, les portes verrouillées et de lire toute la nuit…
Quatrième de couverture :
Tokyo, début des années 90. Samejima, 36 ans, est capitaine au commissariat de Shinjuku, le quartier le plus peuplé et agité de la capitale. Malgré les apparences, c’est un placard : sa hiérarchie préfère l’avoir à l’œil plutôt qu’en roue libre dans une préfecture éloignée. Depuis le suicide d’un collègue, il détient en effet des infos compromettantes sur l’institution policière. Ostracisé, il travaille seul. Son surnom, le Requin de Shinjuku, lui vient-il du simple fait que same signifie « requin » ? Pas sûr. Sa haine des yakuzas et son constat que les autorités de son pays sont trop tolérantes avec eux le poussent à utiliser des procédés musclés que sa hiérarchie fait mine d’ignorer. La seule personne en qui il a confiance est Shō, sa petite amie, une talentueuse rockeuse de 22 ans, qu’il aide parfois à écrire ses chansons. Lorsque deux gardiens de la paix sont tués en pleine rue par un inconnu muni d’une mystérieuse arme relevant de la prouesse technique, Samejima y voit le style d’un armurier qu’il a déjà arrêté dans le passé. Bientôt, d’autres policiers sont abattus. Samejima est face à un choix. Intégrer le QG d’enquête ou appliquer ses propres méthodes.
Le Requin de Shinjuku est le premier opus d’une série plébiscitée pour son atmosphère très réaliste. Il est aussi l’acte de naissance d’un héros aussi séduisant qu’incorruptible, incarné au cinéma par Hiroyuki Sanada (Le Dernier Samouraï, Ring).
R. B.
Bio express :
Né en 1956 à Nagoya, Arimasa Osawa décide de devenir écrivain de hard-boiled après avoir lu Raymond Chandler et William P. Mc Givern. Ses débuts sont difficiles, mais Le Requin de Shinjuku, publié en 1990 au Japon, lui fait connaître un succès foudroyant. Romancier multi-primé, il est également scénariste de jeux électroniques.