Kamel Rachidi, le faiseur de bonheur
Tous ses amis, les vrais, ceux du monde de la culture et les autres, tous ses voisins, nouveaux et anciens, étaient au rendez-vous en cette triste journée du mardi 14 septembre 2021, au cimetière de Sidi Laroussi, pour rendre un dernier hommage à l’homme qu’il était dans la vie de tous les jours, à l’artiste musicien incontesté et incontestable que la ville de Chlef a enfanté.
L’artiste musicien Kamel Rachidi de Chlef, a tiré sa révérence, il vient de nous quitter à l’âge de 56 ans pour l’autre monde après une méchante infection pulmonaire qu’il a essayé de combattre pendant plus de deux mois et qui a eu raison de lui le 13 septembre dernier. Il emporte avec lui ses rêves et ses attentes inassouvies ainsi que son amour de la musique algérienne sous toutes ses formes.
Kamel est parti sans réaliser son rêve le plus cher à ses yeux : la création d’un orchestre de willaya qui lui tenait à cœur parmi tant d’autres projets culturels et artistiques.
Kamel a fait face à la cruelle maladie qui le rongeait sans aucune assistance des services de la culture de la wilaya. Même après sa mort, sa famille n’a bénéficié d’aucun apport des services concernés.
De son vivant, il a vécu en ne comptant que sur lui-même, sans aucune prise en charge alors qu’il avait entrepris de former des jeunes musiciens, par dizaines, pour qui il composait des chansons, dans les différents styles correspondant à la voix de l’interprète dans son minuscule studio d’enregistrement situé dans une cave, au centre-ville de Chlef. Plusieurs jeunes chanteurs de la wilaya et hors wilaya ont pu enregistrer leurs chansons dans les genres chaabi, haouzi, andalou, rai, bédoui, moderne et même kabyle, certaines ont connu du succès, leurs auteurs se sont fait des noms dans la scène artistique avec l’aide son savoir-faire de compositeur. Kamel a démontré à plusieurs reprises son talent inégalable sur la scène artistique locale et nationale, il a représenté dignement sa ville à travers les festivités nationales où on faisait appel à ces services pour animer avec ses différents groupes les soirées de gala.
Cet homme humble, sociable, très généreux dans métier, qui s’est investi toute sa vie pour sa ville natale dans la musique, oubliant même sa situation sociale pour la projeter devant la scène nationale artistique, n’a pas eu l’estime, la prise en charge et la reconnaissance de son travail par les tenants de la culture à Chlef malheureusement.
Dans nos multiples rencontres, il ouvrait grand son cœur pour discuter des projets musicaux pour la ville de Chlef et les entraves qui empêchent la culture et la musique en général de sortir de leur inertie.
Pourtant, ce n’est pas la qualité qui manque et qui ne demande qu’à s’illustrer et progresser encore. Mais en face, les responsables de la culture qui sont missionnés pour prendre en charge cette catégorie de virtuoses par des formations préfèrent fermer leurs portes… Ce ne sont pas les espaces culturels qui manquent. Cependant, elles demeurent à ce jour des coquilles vides.
Kamel Rachidi ne méritait pas un tel sort pour tout ce qu’il a donné à la musique.
De l’avis de tous les connaisseurs et les amoureux de l’art musical, Kamel Rachidi et Yacine Bounaadja étaient les seuls artistes à s’intéresser à la formation musicale des jeunes musiciens ici à Chlef, mais ils étaient toujours ignorés par les responsables de la culture. Une partie des artistes organiques et clientélistes, qui profitent depuis des années des faveurs et largesses des responsables qui se sont succédé à la tête de la culture de Chlef, font tout pour marginaliser les jeunes artistes qui ont démontré leurs talents.
Ce sont toutes ses aspirations culturelles qui tenaient à cœur à Kamel Rachidi depuis des décennies. Il était le seul à avoir rassemblé en 2007-2008 la grande famille du Chaabi lors d’une soirée musicale dans une salle de fête privée au centre-ville de Chlef. Et c’est tout à son honneur car il a essayé par la suite de terminer sur ce rythme pour relever le niveau de la musique dans toute sa dimension. Hélas, il a empêché de terminer son projet. Rappelons que le même sort a été réservé à feu Djamel Sehouadj, chanteur de chaabi qui a été poussé jusqu’à fuir sa ville, tellement qu’il a été marginalisé dans son propre fief avec la complicité de certains artistes locaux connus sur la scène musicale. La raison ? Il leur faisait de l’ombre par son professionnalisme dans la chanson chaabi qui a dépassé les frontières de la wilaya.
Adieu l’artiste, on t’aimait bien, mais nous n’avons rien fait pour t’assister et t’accompagner dans tes idées et tes projets pour l’intérêt de la ville comme plusieurs de tes semblables qui ont quitté ce bas monde avec le regret d’un travail inachevé qui finira dans l’oubli à cause de notre hypocrisie et notre méchanceté mal placées.
Adieu l’élève que tu étais, toi qui aimais me taquiner devant ton entourage sur des sujets datant de plusieurs décennies. Adieu l’ami et le frère que tu es devenu avec les bons moments passés ensemble. Le vide que tu viens de laisser sur la scène artistique chélifienne, nul autre ne peut le combler, mais tu as laissé ton empreinte musicale chez les jeunes musiciens qui vont rendre ton passage sur cette terre éternelle à travers tes qualités morales et culturelles, ta grande contribution pour l’art musical, ta modestie et ta simplicité. Merci et pardon à la fois de ne pas t’avoir soutenu dans ta vie de tous les jours. Puisse Dieu t’accueillir en Son Vaste Paradis et sincères condoléances à toute la famille et proches. Adieu l’artiste.
Hocine Boughari
Ils ont dit
Abdelkader Boucenna, éditeur de musique :
« Notre frère Kamel Rachidi, paix à son âme, a composé plus 80 diverses chansons sur l’amitié, l’amour, le pays, l’armée, sur les handicapés, l’exil, le football, les martyrs, les parents, les problèmes sociaux, et ces derniers temps, les chants religieux qu’il encourageait et prenait en charge gratuitement. Il m’avait dit que, dorénavant, il allait travailler avec les chanteurs qui prônent la bonne parole et avec qui il a composé quelques chansons qui ont connu aussi des succès auprès des auditeurs. Je souhaite que les responsables de la culture de la wilaya de Chlef se penchent sur la situation sociale de sa famille pour le travail et les services rendus à la culture en général et à la chanson algérienne dans toute sa diversité, il mérite plus d’égards des responsables concernés.
Amari Bendenia, chanteur de bédoui :
« Mon ami et frère Kamel Rachidi, paix à son âme était un artiste né, homme de parole, de principes et de belles qualités. Je le qualifie de grand musicien, de compositeur inné dans n’importe quel genre de musique, sa touche musicale est très bien analysée, il a révolutionné la chanson chélifienne en apportant ce plus désiré pour l’adapter à notre temps, donnant la chance aux nouveaux chanteurs de réaliser leurs rêves de produire des chansons à succès, il a rempli tout le vide musical qui existait auparavant, il était à la l’école et la culture en même temps. J’ai enregistré avec lui plus de 40 chansons, il appréciait le genre oranais et c’était lui qui composait merveilleusement les « qacidat » que je lui proposais, c’était un grand monsieur de la musique qui a beaucoup donné pour Chlef et n’a rien reçu en contrepartie comme la plupart de nos artistes qui sont passionnés par la musique et restent souvent délaissés, ne bénéficient même pas du statut de l’artiste. Allah yerhmek khouya Kamel ».
Yacine Bounaadja, chanteur de chaabi :
« C’est un frère et un ami, nous étions très liés depuis des années par la musique chaabi, andalou et haouzi, il adorait sa ville, mais, en dernier, sa santé l’a trahie, il l’avait souvent négligé au profit de la musique, il souffrait depuis les années 1990 à cause des éclats de balles dans les poumons lors d’un attentat terroriste qu’il a subi, certaines éclats sont restés dans les poumons et il a vécu avec dans la souffrance jusqu’à sa mort, il n’a pas bénéficié de prise en charge adéquate, ni de suivi ou de pension de victime du terrorisme. Il n’avait ni assurance, ni salaire, ni retraite comme c’est le cas de beaucoup d’autres artistes locaux à l’image des regrettés Djamel Sehouadj, Nasseredine du groupe Abtal Chlef, Mellouki… qui sont partis sans retraites, ni indemnités, ni aides, ni hommage dû à leur rang dans la culture en général. Le ministère de la Culture, la direction de la Culture et les responsables locaux les ont complètement ignorés. Puisse Dieu le Tout Puissant lui accorder Sa Sainte Miséricorde ».
Propos recueillis par Hocine Boughari