Bocca des Ziatif à Oued Goussine
La plupart des membres de la famille Zitoufi habitent à Oued Goussine, commune rurale dépendant de la daïra de Beni Haoua, dans la wilaya de Chlef. Leur hameau s’appelle « Boccay Ziatif », il surplombe l’entrée de la ville. Une piste en pente raide, caillouteuse et très mal aménagée mène aux nombreuses habitations qui s’y trouvent. Il n’y a pas d’eau courante, les gens s’alimentent par citernes…
Au hameau des Ziatif vivent près de 200 familles composées chacune de plusieurs membres. Parmi les habitants, quatre frères moudjahidines condamnés à mort par le tribunal permanent des forces armées françaises. Leur tort ? Avoir été du côté du FLN et transformé leurs demeures en « markez » de l’Armée de libération nationale. C’est en effet dans leur « bocca » qu’ont été réceptionnées et cachées les armes détournées par l’aspirant Henri Maillot, membre du parti communiste algérien. Après sa désertion du 57e bataillon de tirailleurs de Miliana, le 4 avril 1956, l’aspirant détourna un camion d’armes et de munitions pour rejoindre un groupe de maquisards communistes qui s’était constitué dans la région d’Orléansville. D’après ce que nous ont raconté les frères Hocine et Mohamed Zitofi, le Dr Jean Massbœuf, médecin à Ténès, a été un intermédiaire dans cette transaction. Son réseau de résistants a réceptionné les armes puis les a livrées aux maquis FLN par le biais des frères Zitofi. Ces derniers seront par la suite vendus par des traîtres, très nombreux dans cette zone où ils vivent encore dans une certaine opulence. Les quatre frères sont arrêtés, de même que l’épouse de l’un d’entre eux. Ils seront torturés et condamnés à la peine capitale. Ils s’en sortiront miraculeusement vivants en 1962.
En racontant cet épisode de sa vie, Hocine Zitofi ne put retenir longtemps sa colère : « Et dire que, depuis 5 ans, nous sommes obligés d’acheter notre eau par camion-citerne alors que des traîtres bénéficient d’un approvisionnement régulier et sont desservis par des routes bitumées ».
Le pire est que l’eau était auparavant disponible dans le hameau. Une ancienne conduite alimentait toutes les habitations. Il existe même plusieurs bassins d’irrigation construits dans le cadre de la politique de promotion et de développement rural. Les habitants s’en servaient pour irriguer leurs arbres fruitiers et quelques cultures maraîchères. Ils sont asséchés depuis des années maintenant.
Car tout a changé depuis l’élection du dernier maire qui a tout fait pour détourner la conduite principale et couper l’eau aux Ziatif. Pourquoi ? « Comme ça, par pure méchanceté », nous dit Ali Zitofi, en précisant que pratiquement tous les hameaux sont desservis sauf les Ziatif qui ont été « zappés ».
Le maire, Abdelkader Hassani, refuse, affirme-t-on, de recevoir les habitants. « À chaque fois qu’on essaye d’aborder avec lui le sujet de l’eau ou de la route, il nous chasse carrément de son bureau », nous dit Djamel Zitofi, un des premiers patriotes de la région. « Et si vous insistez, poursuit-il, il vous menace d’appeler la gendarmerie », fulmine-t-il.
Les réclamations écrites sont restées lettre morte. Même les autorités de la daïra et de la wilaya font la sourde oreille. « Nous avons remis des lettres au chef de la daïra et au wali qui n’ont pas jugé utile de nous répondre ». Cela fait plus d’une année qu’ils attendent une réaction de ce dernier responsable. Et la réponse tarde à venir. « Faut-il écrire au président de la république et dénoncer tous ces fonctionnaires qui font exactement le contraire de ce qu’il a promis au peuple ? », s’indigne encore Mohamed Zitofi.
Le mépris envers les Ziatif est total, nous dit-on. « Est-ce parce qu’on est une famille de révolutionnaires ? », s’interroge Mohamed Zitofi, un des quatre frères condamnés à mort par l’armée coloniale française.
Des citernes d’eau et la peur de finir dans un ravin
Selon des témoignages recueillis sur place auprès des habitants de Hay Ziatif, il faut sans cesse faire appel aux colporteurs d’eau pour se faire livrer une citerne d’eau. « On achète de l’eau pour boire, pour cuisiner et pour se laver. Vivre à 10 dans une maison sans eau courante est impensable. Et pourtant, cela fait partie du quotidien des Ziatif », regrette Hocine Zitofi.
La conduite principale d’où pourrait être raccordé le quartier est à moins d’un kilomètre. Les habitants du quartier affirment qu’ils sont fins prêts à financer les travaux, l’essentiel est que l’eau coule dans les robinets.
L’aménagement de la route et la pose de bitume est une autre histoire. Ce sont les habitants qui s’échinent régulièrement à lui donner un aspect avenant. Mais pour les étrangers qui l’empruntent pour la première fois, c’est la peur garantie. A la moindre manœuvre délicate, à la moindre erreur, on risque de finir dans un ravin. Inutile de rappeler les souffrances des habitants en hiver. Les pluies creusent la piste la déforment et la rendent quasiment impraticables. Il faut alors louer des engins, mobiliser tous les jeunes de la bocca et engager des travaux pour la rendre un tant soit peu praticable.
« La piste qui reste la même depuis plusieurs décennies n’a pas connu un seul aménagement de la part de la commune ; à chaque fois, le président de l’APC nous dit que la fiche technique est fin prête et qu’on va lancer très prochainement les travaux, mais ça reste que des paroles en l’air. Pour votre information, tous les autres quartiers, au nombre d’une dizaine, ont bénéficié de projets de routes sauf le nôtre. La question reste posée ! Pourquoi deux poids, deux mesures ? », s’emporte Ali Zitofi.
Notre interlocuteur profite de notre visite dans sn quartier pour lancer un message aux autorités locales de la wilaya de Chlef, à leur tête le wali de Chlef, pour leur demander d’intervenir afin de mettre fin à leur calvaire. « Nous sommes obligés d’accompagner nos enfants scolarisés jusqu’à la route nationale afin qu’ils rejoignent leurs établissements scolaires, la situation laisse à désirer de tous les points de vue », se plaint-il.
Et dire qu’un maire issu de la famille Zitofi a assumé quatre mandats successifs sans jamais penser à accorder quoi que ce soit à sa famille. « Il ne nous a jamais favorisés considérant que si jamais il inscriverait un projet de développement au profit de notre hameau, les habitants vont considérer cela comme du favoritisme », conclut Ali Zitofi.
Hocine Boughari