Un écrivain talentueux, par son style et sa verve, solitaire dans sa quête littéraire, qui accepte de se confronter au regard de l’autre, celui qui est différent, et qui croit qu’il est «un schizophrène normal» de par sa double culture franco-Algérienne, Akli Tadjer, l’auteur prolifique avec ses 12 romans et son essai : «Qui n’est pas raciste, ici ?», livre ses impressions, à cœur ouvert, au journal Le Chélif.
Le Chélif : M. Tadjer, si vous voulez bien éclairer nos lecteurs sur votre vie et parcours d’écrivain.
Akli Tadjer : La vie d’un écrivain et une vie de solitude, c’est pourquoi j’éprouve toujours un grand plaisir à rencontrer mes lectrices et lecteurs dans les manifestations littéraires. J’aime aussi échanger avec d’autres écrivains qui ne partagent pas le même point de vue que moi sur l’Histoire, mon histoire qui n’est pas la leur. Je pense que c’est un enrichissement pour soi de se confronter au regard de l’autre, celui qui est différent. C’est bien connu, on ne voit pas le même monde selon que l’on soit à gauche ou à droite. Et puis, chaque roman me demande beaucoup de recherches historiques, ça aussi c’est très enrichissant.
Etant né en France de parents Algériens, à quelle distance vous situez-vous par rapport à ces deux pays ?
C’est vrai que ce n’est pas toujours simple, j’ai d’ailleurs longtemps été schizophrène. Avec l’âge, les choses se sont apaisées. Je suis désormais un schizophrène normal. Quand je suis en France, je suis Français, parce que je veux être maître de mon destin et quand je suis en Algérie, je suis Algérien parce que c’est mon histoire, mes racines. Mais je me méfie des assignations à résidence. Je suis un écrivain qui a trouvé asile dans ses romans.
De quel côté culturel (français ou algérien) vous puisez votre «génie» littéraire ?
Des deux côtés de la Méditerranée, et c’est bien normal. C’est une richesse et de la matière à fiction que de raconter l’histoire chahutée de l’Algérie et de la France. Et je ne m’en prive pas. La fiction est un mensonge qui dit la vérité.
Revenons à votre œuvre, si riche et diversifiée, quel constat en faites-vous jusqu’à ce jour, et à combien de romans et ouvrages est arrivé votre compteur littéraire ?
J’ai écrit douze romans, dont beaucoup sont traduits en Allemagne, Italie, Suède, Russie. Certains de mes romans ont aussi été portés à l’écran. J’ai aussi écrit un essai sur le racisme. D’autres suivront, je ne sais rien faire que d’écrire. C’est une passion solitaire et dévorante mais j’aime ça.
Comment s’est fait l’adaptation de vos romans (Il était une fois…ou peut-être pas, Le porteur de cartable et La reine du Tango) à la télévision ?
En fait, c’est moi qui vais vers les producteurs. Selon leur sensibilité, je leur propose tel ou tel roman. Je les adapte moi-même car j’ai été durant plusieurs années scénariste pour la télévision. Le plus dur étant de réussir à leur faire ouvrir le livre.
Je voudrais revenir à votre roman : «La vérité attendra l’aurore» (que j’ai lu et apprécié). Ne pensez-vous pas que la fin du roman est un peu tronquée, voire abrégée, et nécessite une suite de l’histoire ?
Tronquée ? Je ne crois pas. J’ai écrit ce que je voulais écrire. En tout cas, je le prends comme un compliment. Pour Le Porteur de Cartable, j’ai souvent eu la même réflexion. Et après, qu’est-ce qu’il se passe? Mais il faut bien que les livres aient une fin. Il me semble qu’il vaut mieux rester sur votre impression que de songer que l’auteur noircit des pages et des pages pour combler la vacuité de sa pensée.
Je ne sais pas si vous êtes au courant que vos romans ne sont pas toujours (et tous) disponibles dans les librairies algériennes, avez-vous des projets pour remédier à cette situation ?
J’ai quatre romans publiés par les Editions Apic, Le porteur de cartable, La meilleure façon de s’aimer, Les Thermes du Paradis, La Reine du Tango, et La vérité attendra l’aurore, chez Casbah Editions. Hormis le Salon international du livre d’Alger (SILA), la grande librairie éphémère de l’année, c’est une catastrophe. Il y a un gros problème de distribution du livre en Algérie. Quant aux librairies, c’est un domaine carrément sinistré, une rareté dans certaines régions. Il y a urgence à ce que le ministère de la Culture leur vienne en aide avant qu’elles ne deviennent plus qu’un souvenir.
Si vous nous parliez de votre énigmatique ouvrage : «Qui n’est pas raciste, ici ?». Ses circonstances, sa trame et son but ?
Volontiers. Le Porteur de Cartable est un roman au programme du BAC depuis une douzaine d’années. Souvent, les enseignants me demandent d’intervenir dans leurs lycées pour parler de la Guerre d’Algérie car ils ne savent pas trop comment s’y prendre. Il y beaucoup de jeunes gens d’origine algérienne et c’est souvent des échanges houleux. Pour éviter cela, ils font appel à des auteurs qui ont écrit sur le sujet. En novembre de l’année dernière, des lycéens de province ont refusé de le lire, au prétexte que la guerre d’Algérie ne les concernait pas et je vous passe les insultes à caractère raciste. L’enseignante m’a demandé si je voulais bien les rencontrer. J’ai accepté. La première question que je leur ai posé était : Qui n’est pas raciste, ici ? Certains ont levé la main, d’autres pas. Puis s’est engagée une discussion. Et l’on s’aperçoit que, pour eux, La Guerre d’Algérie est un non évènement. C’est vous dire le niveau… Pire, certains n’en avait jamais entendu parler… où alors de vagues récits de leurs grands-pères. Voilà où en est la France rurale en 2020. Triste et pathétique.
Votre style d’écriture est bien particulier, qui réunit le lyrique et l’humour, voir la dérision et l’émotionnel, de quelle école tirez-vous votre inspiration stylistique ?
Aucune. Quand on écrit, c’est sa vraie nature qui ressort.
Avez-vous des contacts avec des écrivains Algériens et que pensez-vous d’eux ?
Je rencontre d’autres écrivains algériens dans les salons du livre et j’ai plaisir à les retrouver. Sansal, Khadra, Begag, Salim Bachi, Aissaoui… Certains disparaissent peu à peu des écrans radars et c’est bien dommage parce qu’ils ont énormément de talent à l’image de Djemaï ou Benmalek, Malika Mokadem. Mais je ne me fais pas de soucis, la relève est là à l’image Faeza Guène. Ce que je pense de mes collègues d’écriture ? Ce sont souvent des rapports de circonstance. Ça va ? Ça va ? Hamdoullah. Puis invariablement, comme tout Algérien qui se respecte, il est vite question des problèmes en Algérie, autant parler d’un puits sans fond.
L’Algérie recèle, depuis la première génération d’écrivains des années 1950 à nos jours, une pléthore d’auteurs universels non négligeable, ne croyez-vous pas qu’il y ait parmi eux des Nobélisables ? Sinon, à votre avis, quelles sont les causes qui ont empêché cette reconnaissance littéraire mondiale ?
Il y a évidemment des écrivains algériens qui auraient pu obtenir le Nobel. J’en vois au moins un : Mohamed Dib, son œuvre marquera pour longtemps la littérature avec un grand L, pour peu qu’il y ait encore des librairies en Algérie dans les dix ans à venir. S’agissant des critères d’attribution, ça restent pour moi une énigme. Sont parfois couronnés, voire souvent, des auteurs obscurs, confidentiels, dont on a jamais entendu parler. C’est ça aussi qui fait son charme, ça nous renvoie à nos lacunes.
Une dernière question tout en vous remerciant pour votre disponibilité et amabilité. Que pensez-vous, en tant qu’écrivain, de ce qui arrive à l’humanité avec ce virulent virus Covid-19 et quels enseignements peut-on en tirer dans l’avenir ? A vous, personnellement, ne vous a-t-il pas inspiré une trame de roman, comme «La peste» d’Albert Camus ?
Je pense que la troisième guerre mondiale a déjà commencé. Elle est virale. Plus besoin d’investir dans les armes de destruction massive. Un seul postillon peut signer votre mort. Chaque personne que vous croisez peut vous détruire à son insu. Pas de doute, c’est que c’est de la belle matière à fiction. Mais Fred Vargas a déjà écrit sur une pandémie qui ravagerait l’humanité. Concernant Albert Camus, j’aime beaucoup le romancier mais je n’aime pas le moralisateur donneur de leçon.
Propos recueillis par Rachid Ezziane