Alors que le Covid-19 tue des centaines de personnes chaque jour en Algérie, que le personnel soignant est au bout du rouleau et aligne des heures de travail sans savoir s’il sera payé ou pourra récupérer ses heures supplémentaires, que l’hypothèse d’une deuxième vague plus sévère n’est absolument pas exclue, certains n’ont qu’une interrogation en tête :
«Comment allons-nous organiser nos vacances ? Est-ce qu’il sera possible d’aller à la plage ?».
D’autres se plaignent de leurs «vacances perdues». La plage ne partira pas, mais des êtres ne reviendront pas. Un peu de décence quand même ! Des préoccupations qui relèvent de l’irrationnel. Réfléchissez bien à cette phrase et demandez-vous s’il n’y a pas un problème de priorité. Ils pleurent leurs morts, vous pleurez vos vacances.
C’est dans cet ordre d’idées qu’on a essayé de poser ces questions à quelques citoyens de la ville de Tissemsilt.
Cadre à la Sonatrach, El Kodri M., nous indique d’emblée que, d’habitude, il ne rate jamais ses vacances estivales avec sa petite famille. «Mais, cette année, c’est exceptionnel, je n’y pense même pas dans la mesure où la santé passe avant tout», explique-t-il. Pour lui, cet été, il n’y aura ni farniente, ni la mer ni le soleil au bord de la Méditerranée. Il espère une seule chose : «Que dieu nous protège de cette pandémie qui n’a que trop duré. Avec le confinement d’un côté, la canicule et le manque d’aires de divertissement et de loisirs, on subit difficilement une quotidienneté envahissante sur tous les plans mais on fait de notre mieux pour décompresser et nous divertir un peu en passant quelques temps avec nos amis tout en respectant les mesures sanitaires de prévention contre le Covid-19 : distanciation, port de la bavette et nettoiement des mains».
L’emploi du temps de M. El Kodri est identique à des millions d’Algériens : «La matinée, je suis tout le temps avec mon ami intime Tahar B., devant sa librairie. On se débrouille des cafés expresso dans des gobelets jetables et on commence à feuilleter tous les quotidiens en discutant les sujets d’actualité qui y sont traités en passant bien sûr par l’hebdomadaire Le Chélif qu’on vient de découvrir et qu’on trouve très intéressant car il traite d’informations de proximité dont Tissemsilt. Et puis, qui dit Chlef dit Tissemsilt quoi ? Elle n’est qu’à quelques kilomètres de notre wilaya. A part ça, on discute un peu de tout et de rien. Et l’après-midi, rebelote, jusqu’à l’heure du confinement. Et là où le bât blesse, c’est d’entendre chaque jour le décès d’untel ou d’unetelle : des amis et des proches dans la plupart des cas. Le cœur ni y pas pour le divertissement !»
Hakim B., commerçant, avoue de son côté qu’il a hâte de faire un saut avec ses enfants à l’une des plages du centre : Alger, Tipasa ou Boumerdes où j’ai l’habitude de passer quelques jours de vacances. Et d’indiquer qu’au début de ce mois de juillet, il y a effectué un tour dans son véhicule. Hélas, regrette-t-il, «il n’y avait pas moyen de faire trempette car toutes les plages étaient désertes car interdites à la baignade. Néanmoins, si on doit choisir entre les vacances et la santé, bien sûr, rien ne vaut la santé. Sans elle, notre monde devient tout petit. Ne dit-on pas «Qui n’a pas la santé n’a rien mais grâce à elle on a tout».
Et de poursuivre : «Pour ce qui est de mes journées avec ce confinement, je les passe pratiquement dans mon magasin, et je me contente seulement du passage de certains amis dans mon commerce avec lesquels je profite pour bavarder un peu et oublier cette routine qui nous étrangle. Vous ne pouvez pas imaginer ma joie lorsque je vois un copain franchir la porte de mon local, je fais de mon mieux pour le retenir le plus longtemps possible juste pour passer quelques moments avec lui. Vous imaginez l’ennui, le stress et le mal que cette pandémie nous a infligés au point où on cherche le moindre défoulement ?»
Pour lui, c’est un moindre mal comparé à ce qu’endurent les membres de sa famille : «Si nous, adultes, arrivons à supporter ce malaise ambiant, je plains beaucoup les enfants qui n’ont aussi où aller. Il n’y a ni espaces verts, ni aires de jeux, ni rien… Tissemsilt est une ville déserte ! Ils ne leur reste que les vélos, les trottinettes et les patins à roulettes et même là, ils n’ont pas d’espace aménagés pour jouer avec, et mettent leur vie en danger en circulant sur la chaussée au même titre que les voitures.
Pour Ali B., jeune retraité de l’ANP, «programmer des vacances pour cet été relève de l’impossible. La santé passe avant tout et c’est malheureux de voir chaque jour des dizaines de personnes qui nous quittent à la fleur de l’âge pour certains». Et d’aséner cette terrible réalité : «Les plages ne partiront pas mais si les êtres qui nous sont chers partent, ils ne reviendront jamais. Croisons les doigts et prions Dieu pour qu’il nous protège de ce mal».
Ali pense avoir trouvé un plan «B» faute d’un séjour en bord de mer. «Si je projette de bouger un peu pour décompresser, dit-il, ce sera sans aucun doute au sein de notre wilaya qui recèle de pas mal de potentialités touristiques. Je pense à la forêt des cèdres d’El Medad à Theniet El Had, la station thermale de Sidi Slimane à Bordj Bounaâma ou à la forêt de Boucaïd».
Pour l’instant, dit-il avec résignation, «on est à Vialar et on supporte tant bien que mal cette réalité amère». «On s’est retrouvé coincé entre l’enclume du confinement dû au coronavirus et le marteau de la canicule, de l’oisiveté et la routine !», conclut-il.
Bakhti B., jeune retraité de l’ANP, jumeau d’Ali, est dans le même état d’esprit que son frère. «Où voulez-vous que j’aille ? Tout est fermé. D’ailleurs, en temps normal, il nous était difficile de programmer des vacances, alors comment faire avec le confinement et ce Covid-19 qui se propage plus qu’une tache d’huile ?» Bakhti avoue qu’il prend son mal en patience et qu’il subit les journées d’été «avec leur routine qui nous étrangle» en attendant des jours meilleurs.
«Je me contente comme tout le monde d’une petite virée le matin au marché pour faire mes emplettes et je reviens dans mon quartier où je choisis avec quelques amis un coin ombragé pour donner libre cours aux discussions qui n’en finissent pas jusqu’à midi», nous fait-il savoir, ajoutant que dans l’après-midi, il est impossible de faire un tour en ville où les rues sont vides, tristes et écrasées par un soleil de plomb».
Très réaliste, il conclut ainsi : «Et dans tout cela, si j’avais à choisir entre les vacances et la santé, j’opterai sans la moindre hésitation pour cette dernière !»
Rabah Saadoun