Par Rachid Ezziane
Sous d’autres cieux, les retraités sont considérés comme des guerriers au repos. Ils ont droit à tous les honneurs. A toutes les écoutes. A tous les droits d’assistance sanitaires et autres. Leur pension leur permet de passer des vacances. De voyager. De bien se nourrir, surtout. On les appelle les séniors et on les invite à toutes les occasions de fêtes ou cérémonies. Chez-nous, ils sont les «mouta-kaadine», les morts assis qui attendent le miracle qui ne vient jamais…
Bien se nourrir. Là est la question. Là est le «non-dit» chez-nous. Et encore si l’on peut se le procurer ce «fantomatique» sachet de lait que les autorités jurent qu’il est disponible et que personne ne trouve nulle part. Heureusement que le petit-lait(Lben) nourrit bien son homme. Et le pain aussi. Sans oublier les figues de Barbarie qu’on ingurgite treize à la douzaine, surtout de bon matin.
Durant un mois, sans discontinuité, tous les médias du pays ont annoncé une augmentation de 2 à 6 % pour les retraités. On en a tellement parlé que les pauvres «chibani» ont vraiment cru à quelques dividendes à se mettre sous la dent. Que dalle ! Le meilleur d’entre eux a eu moins de mille dinars d’augmentation car la majorité des retraités ne touche pas plus de 40 000 dinars mois. Bien-sûr, je ne parle pas des cadres supérieurs, des députés et autres commis de l’Etat, ceux-là, comme on le sait, il leur suffit de quelques années (entre 6 mois et 5 ans, voir au plus 15 ans) de cotisation pour bénéficier d’une retraite mirobolante équivalente à 100% de leur salaire. Pour les autres, 32 ans de service n’engendrent que 80 % de leur salaire. Certes, tous les retraités bénéficient de la protection sociale et détiennent la carte «Chifa», mais ces derniers temps le nombre des médicaments remboursables a rétréci comme une peau de chagrin. Et ça n’arrête pas d’aller toujours crescendo. D’ici quelques temps, la carte Chifa ne sera d’aucune vraie utilité pour le remboursement des frais médicaux. Et puis, on continue à leur faire payer l’impôt sur le revenu (IRG) à des taux très élevés comme s’il s’agissait de nouveaux employés. Il en est ainsi avec la cotisation des 9 % de la sécurité sociale qu’ils continuent à payer rubis sur ongles. Et voilà, maintenant, qu’une autre «subtilité» administrative vient s’ajouter à leurs maux quotidiens. Et pas des moindres. Donner du coude et des bras pour percevoir la pauvre pension. Et encore, si ce n’était que ça. Mais non, il y a des vertes et des pas mûres, plutôt des billets de banques introuvables, que les retraités courent derrière du matin au soir. Partout où ils mettent coudes sur guichets, on leur fait savoir qu’il n’y a pas de liquidité. C’est-à-dire, tout simplement, pas d’argent liquide dans les postes. L’Aïd arrive à grand pas, les enfants et la famille réclament de la «bonne chère» pour la fête. Mais la bonne chère sans viande n’est qu’illusion et poudre aux yeux. Mais les vieux de la vieille ne savent plus à quelle porte frapper ni à quelle connaissance pour percevoir leur dû. Personnellement, j’ai fait le guet et le pied de grue devant les bureaux de poste pendant plus de cinq jours. Walou ! Pas âme de dinar en vie, ni en vue. Mais les retraités sont patients et sages. Ils savent attendre, eux qui ont passé des années à courir derrière le bout de pain sans jamais perdre espoir, ils ne vont pas lâcher le morceau ni baisser les bras pour apporter à leur famille la subsistance de la «dignité», vaille que vaille…
Et c’est à eux, les retraités, paisibles gens de tous les jours, que je dédie ma chronique d’aujourd’hui.
R. E.