«Je pense qu’il n’y a pas de réponse facile. De toute évidence, la population a le sentiment d’être abandonnée par les pouvoirs publics en ces temps de crise de Covid-19. Les gens ne croient nullement en l’évaluation fantaisiste de ceux qui parlent au nom de l’institution santé. Aujourd’hui, on se rend bien compte avec les réseaux sociaux et les lanceurs d’alerte, notamment des médecins, que la situation est beaucoup plus grave qu’elle n’y parait.
Personne ne se faisait d’illusion sur la capacité du système de santé à faire face à l’épidémie, et c’est bien le cas.
Dans son malheur, le peuple algérien est relativement protégé par la vaccination BCG et un état de l’immunité constamment mis en alerte par les pathologies infectieuses, bien prévalantes. La pyramide des âges explique aussi la différence de virulence de l’épidémie.
L’épidémie de Covid-19 est un moment où la population est confrontée à une institution vidée de sa substance et vendu aux appétits de la médecine privée avec l’avidité et les incompétences notoires.
Cette colère, malheureuse, que je n’approuve pas évidemment, est l’expression d’un rejet de cette situation, doublée d’un sentiment d’impuissance et de fatalité face à la maladie, alors que les nantis du système pouvaient se rendre à n’importe quel endroit de la planète pour le moindre bobo.
Elle est l’expression de l’absence de canaux d’expressions de la société, et prosaïquement la situation de répression inacceptable du Hirak ; Hirak qui a réussi à canaliser la colère dans une expression citoyenne démocratique.
Cette colère est l’expression légitime d’une frustration globale des citoyens à l’envers des pouvoirs publics, dans un domaine le plus sensible dans la vie des gens après l’alimentaire ; leur santé.
Nous n’observons pas un tel mouvement dans les pays ou l’institution santé a pu se hisser à la hauteur de la crise et répondre aux doléances des citoyens et ce malgré une désastreuse mortalité comme en Grande Bretagne ou aux Etats Unis.
La gabegie, le mépris, la répression, finissent par générer la colère, la violence et le désordre.
Il n’y a pas d’autre voie que celle du sursaut patriotique pour épargner à notre pays un désastre sanitaire qui s’accompagnera d’un recul économique et social aux conséquences inimaginables.
Le pouvoir doit saisir l’occasion pour engager une réforme profonde du système de santé qui passe par une réhabilitation des infrastructures de santé, l’amélioration sensible des statuts et des revenus des agents du service publics, qui doit rester le pôle d’excellence et rester la référence dans le pays.
C’est la voie empruntée par les pays européens au décours de cette crise sanitaire.
Les années de l’indépendance ont été un formidable creuset qui a permis la formation, comme nulle part ailleurs, d’un encadrement de qualité dans tous les domaines. Il importe aujourd’hui de ne pas laisser cette grande œuvre démocratique et sociale, la démocratisation de l’enseignement, perdre toute son importance, et jeter à terme notre pays dans une dépendance inacceptable dans le domaine de la santé».
Dr Mokhtar Keddi, psychiatre