Par Abdelkader Guerine*
A l’heure où les pays faibles se battent pour minimiser les dégâts causés par la pandémie de coronavirus qui envahit le monde, d’autres, plus puissants, pensent déjà à affronter les difficultés de la période post-Covid-19. Quelles que soient les conséquences du passage de cette maladie généralisée, elle aura certainement une fin. Le plus important demeure la reconstruction des structures sociales et économiques avec de nouvelles énergies matérielles et d’autres dispositions morales.
Il faut d’abord définir la crise sanitaire actuelle comme une catastrophe majeure en raison de son impact considérable sur le psychique et le comportement des hommes. Ces derniers auront sûrement l’obligation de composer avec les nouvelles règles imposées par les faits accomplis par cette maladie. Ils seront appelés à penser, en s’appuyant sur d’autres repères, à imaginer leurs plans futurs en inventant d’autres terrains de rêves. Les contacts interhumains prendront d’autres formes. Les relations entre les individus et les groupes seront ajustées par d’autres mesures. La consommation des gens sera conditionnée par le taux du déficit financier engendré par la rupture globale de l’activité économique. Les hommes réfléchiront et réagiront autrement. La pandémie aura alors été un véritable lavage de cerveau.
Loin d’être un fait de la nature, la pandémie du Covid-19 est une démarche humaine intentionnelle qui profite aux intérêts restreints de ses commanditaires. En plus des pertes humaines et du grand dommage financier, la maladie aura été une destruction fatale de la personnalité collective humaine. Les hommes qui survivront à la contagion devront édifier un autre mental pour s’adapter aux nouvelles façons d’être. Il y aura des restrictions dans les gestes et des limites pour les libertés. Le retour aux anciennes habitudes sera considéré comme un délit rebelle ou une récidive.
Comme toutes les catastrophes humaines ou naturelles que l’humanité a connues durant son parcours, le Covid-19 est aussi un accident de route nécessaire dans le changement du cheminement de l’histoire. Ce phénomène est perçu dans son ensemble comme la suite des secousses qui surviennent après une forte explosion. Naomi Klein, une journaliste Canadienne, identifie ces répercussions logiques comme des méthodes appliquées pour enclencher un choc psychologique et imposer une autorité politique et économique désignée, aussi bien à l’échelle des Etats qu’au niveau de l’ordre international.
La théorie de Naomi Klein, éditée en 2007 dans un essai sociopolitique altermondialiste, est intitulée «La stratégie du choc : la montée du capitalisme du désastre». En effet, selon cette étude, le capitalisme se revalorise après chaque événement catastrophique. La privatisation en large du champ de l’économie permet l’émergence des activités libérales, car le secteur public des Etats concernées se retrouve incapable de remplir les contrats sociaux engagés avec les citoyens. L’auteur donne des exemples réels de l’influence des épreuves calamiteuses sur le bouleversement des centres de puissance politique et économique : les guerres et les conflits militaires, les catastrophes naturelles comme les tsunamis ou les tremblements de terre, les attentats comme celui du 11 septembre aux Etats Unis, les coups d’Etats ou les épidémies qui ravagent périodiquement de bonnes parties du monde.
Céder aux exigences capitalistes… ou le chaos !
Ainsi, par strict besoin, c’est la nécessité économique qui détermine les décisions politiques. «La stratégie du choc» est un dénouement inévitable pour le cas de la présente pandémie. Le capitalisme se verra consolidé par un renforcement de l’autorité néo-libérale afin de soutenir le chaos économique qui touchera beaucoup de pays. La privatisation du bien public atteindra des domaines névralgiques comme l’énergie ou les télécommunications. D’autres services d’importance capitale comme le transport, la santé ou l’éducation seront en grande partie des propriétés privées.
Politiquement, nous assistons à la poussée d’une sorte de corporatisme universel qui consiste à associer les systèmes politiques, qu’ils soient capitaliste, socialiste, communiste, conservateur ou autre, aux exigences libérales de l’heure. Du point de vue économique, la situation d’un marché oligopole s’installe systématiquement et se confirme comme une résolution irréversible. Il s’agit d’un marché avec un nombre faible d’offreurs pour servir les demandes d’un nombre important de clients.
Pour avoir une idée claire sur la stratégie du choc, il est nécessaire de revenir sur le choc que la Grèce a connu en 2008. Un choc économique et financier jamais observé dans le pays, une situation d’avanie qui pourrait servir de modèle parfait, semblable aux retombées probables de la pandémie que nous vivons à présent. Pour sortir de sa situation chaotique, la Grèce a dû se couvrir de dettes auprès du FMI, de la banque centrale européenne et de la commission européenne. Les prêts accordés étaient assortis de conditions qui touchent à la politique économique interne du pays. Des mesures d’austérité sont imposées pour le remboursement de la dette. La libéralisation de l’économie profite à un nombre infime d’investisseurs multinationaux, des entreprises publiques sont vendues à des preneurs privés. Les retraites sont révisées plusieurs fois à la baisse. Une bonne partie des fonctionnaires est licenciée, celle en fonction perd le tiers de son salaire au cours de cette crise. L’aide sociale fournie à la classe précaire de la population est totalement gelée. Les impôts sur la propriété et les revenus se sont multipliés. Le scénario grec est malheureusement une suite à laquelle il faut bien s’attendre, en regard des troubles internes observés dans tous les pays, de la stagnation des activités économiques presque totale et de la restriction des prestations sociales réduites à l’extrême urgence.
La pandémie que nous traversons est un choc réel, la stratégie du choc semble en être un aboutissement logique, encore plus austère que la maladie elle-même. Après le mal, la population mondiale devra s’attendre au pire. La cadence forcée par l’ascension ultra-libérale induit à des pressions sociales insupportables. Cette nouvelle forme de capitalisme favorise la minorité des producteurs riches au détriment de la majorité des consommateurs pauvres. Il y aura certainement des mouvements populaires de revendications qui réclameront plus de droits et de liberté, et moins d’oppression et d’austérité à cause des mesures punitives de la stratégie du choc. Mais la sécurité territoriale, alimentaire et sanitaire est une priorité qui passe bien avant l’équité des compléments sociaux.
Encore plus de profits
La crise sanitaire que nous vivons aura sans doute une fin qui s’ouvre sur une autre crise qui sera multidimensionnelle. Elle se manifestera par des difficultés économiques et financières qui altéreront forcément les services sociaux et la gouvernance politique de chaque pays. Seuls les chantres capitalistes bénéficieront de cette calamité anémique qui secoue le monde. La stratégie du choc marque donc une montée fulgurante du capitalisme. Les riches se verront plus riches et les pauvres s’enfonceront encore mieux dans leur précarité.
L’opération démocratique se montrera dans un nouveau visage. Elle sera amputée de ses allants d’égalité et des Droits de l’Homme, soit par les lois restrictives de la prévention contre d’éventuelles apparitions de nouvelles maladies, soit par le manque de moyens et de finances pour exécuter des projets visant à la construction de logements, à la création d’emplois, à l’amélioration des services et des structures de bases ou même l’édification de programmes de culture et de distraction.
L’étude de «La stratégie du choc» a été conçue bien avant la frappe du Covid-19. Fondée sur des stations difficiles que l’humanité a traversées, cette réflexion conclut qu’après chaque choc, il y a eu une période d’hostilité économique, de dégradation de la qualité de vie, d’atteinte psychologique collective et de la proclamation d’élites politiques individuelles. Le choc de la présente contagion ne peut pas faire exception à cette prévision. Pis encore, le Covid-19 est un mal plus aigu que tout autre fléau, malin avec une force de destruction qui n’a pas encore montré tous ses talents, inconnu avec des mystères humains malintentionnés qui n’ont pas encore avoué tous leurs secrets.
Cependant, l’expérience humaine a toujours prouvé que la «Solidarité» est le mot clé pour sortir l’humanité de malheurs parfaitement accomplis comme celui de l’actuelle pandémie. Il n’est jamais lassant de répéter que la prévention est une bonne arme pour éviter la contagion, mais savoir subir est aussi une faculté qui fait partie des éléments du bien-être. Devoir partager, ne serait-ce qu’un sourire, est une conduite de l’un qui peut sauver la communauté si tout le monde en faisait autant. S’organiser, sacrifier de soi pour son entourage familial, pour son quartier, son association, son syndicat ou son parti politique. La force qui pourra nous épargner tous les maux réside dans notre union et dans notre entendement. Dispersés comme nous le sommes, nous sommes des proies distinguées à la merci de n’importe quel malheur, menacées de l’extinction de notre espèce par un moindre virus.
A. G.
*Ecrivain