Le groupe mythique des années 1970 de Vialar
Ils avaient l’élégance de leur musique. Des artistes hors pair. «Les fils du soleil» étaient de talentueux musiciens et chanteurs. Dès leur adolescence, ils montraient des dons exceptionnels pour tous les instruments de musique et en particulier la guitare, la batterie et l’orgue. Ils étonnaient par leur capacité à improviser et à déchiffrer les partitions. C’était toujours un plaisir de les voir avant le début d’un gala en train d’accorder la batterie ou leurs guitares électriques afin d’optimiser leur pratique instrumentale. C’était pour nous un avant-goût de ce qu’il allait nous régaler. Rachid à la guitare solo, Tahar à l’accompagnement, Ouatik à la basse et Cherchali à la batterie. Waouh !!
S’il y a un groupe de musique qui nous a enchantés et qui a marqué notre enfance, notre jeunesse, notre adolescence et même les vieux jours de certains, cela ne peut être que le groupe mythique «Les fils du soleil» de Vialar des années 1970. On s’ambiançait sur leurs sons, on se déhanchait de manière chaloupée sur la voix de ses chanteurs. Il excellait dans la musique occidentale. Ses membres s’habillaient à l’occidentale en adoptant le look des seventies : cheveux longs, pantalons patte d’éléphant, T-shirt imprimé…
Et puis, après un certain bout de temps de carrière et sans nous prévenir, ses membres se sont séparés pour diverses raisons, laissant derrière eux un riche palmarès. Mais ils resteront toujours dans notre cœur car il ne faut pas se mentir, leur style décapant nous manque énormément!
Comme si, ce groupe a subi le même sort de tous les groupes musicaux qui ont existé un peu partout dans le monde. Eh oui ! Le monde de la musique est régi par des règles qui nous dépassent tous et, parfois, alors qu’un groupe dont on est complètement fan vend des milliers de disques comme des petits pains, du jour au lendemain ses membres se séparent et le groupe se désagrège. Black Eyed Peas, Beatles, Beach Boys, Jackson Five, Oasis, Pink Floyd, The rolling stones… sont un exemple de cette séparation-disparition.
Pour en savoir plus sur ce groupe mythique, nous avons approché un de ses membres fondateurs, en l’occurrence M. Rachid Benali, l’un des premiers professeurs d’enseignement secondaire de mathématiques de toute la wilaya et dont j’ai eu l’honneur d’avoir comme enseignant. C’était un excellent professeur, quelqu’un de bien. Je dirais même qu’il était plus qu’un brave, il était pur, probe, intègre et surtout très méthodique dans ses cours. Il était assidu, sérieux, empathique et avait le cœur dans une main, dans l’autre sa famille, ses proches et ses apprenants. Actuellement retraité et vivant avec sa petite famille à Alger, cet artiste né a bien voulu faire avec nous ce petit voyage dans le temps pour nous parler avec émotion de cette belle époque qu’il a vécue.
Qui était derrière l’idée de former le groupe de musique occidentale «Les fils du soleil» et en quelle année remonte sa création ?
Je dirais que c’était l’idée de tous ses membres qui étaient en même temps une bande de copains. Le noyau du groupe était constitué de votre interlocuteur Rachid Benali, Tahar Abdelaoui, feu Mohamed Cherchali et Tahar Ouatik. Donc, ce sont ces quatre personnes qui étaient les premiers membres fondateurs du groupe.
Par ailleurs, l’embryon du groupe s’est formé dès le début des années 1970. Le père de mon ami Tahar Abdelaoui, feu Si Mouh, vendait des guitares qu’il exposait dans sa vitrine et on était curieux de les utiliser. Chaque jour, Tahar volait les clés du magasin à son père entre midi et 14h et on commençait à les manipuler. C’est là qu’on a été contaminé par la passion de la musique. Ne pouvant se permettre d’en acheter une, on se contentait de se débrouiller des morceaux de fil de pêche qu’on utilisait comme cordes de guitare et qu’on disposait sur des bouts de bois en guise de table d’harmonie et de manche ; c’est de cette manière qu’on a appris à produire des notes différentes. Et c’était surtout notre voisin et ami Jorbane qui nous aidait à fabriquer ces formes de guitares artisanales dans son petit atelier.
Etant collégien, c’est le maestro Benaouda Kessar qui était notre professeur de musique qui nous a initiés aux notions de base de la musique qu’on a creusées un peu plus au lycée Ibn Rostom de Tiaret et cela en intégrant la chorale de l’établissement. On abordait tous les genres musicaux avec talent : musique classique, musique orientale, traditionnelle, contemporaine, raï, symphonies, œuvres pour chorale, œuvres religieuses…
Pour ce qui est de la création proprement dite du groupe, elle remonte au début de l’année 1973, et plus exactement le 4 juillet, la veille de la fête nationale de l’indépendance, date à laquelle le groupe a animé sa première soirée au café-hôtel de feu Abdelkader Baroud, un notable et bienfaiteur, au centre-ville. Ce fut un grand succès annonçant par conséquent le baptême de notre groupe musical et le début d’une carrière très riche en évènements artistiques et musicaux. Il y avait ce jour-là un monde fou. Par la suite, le groupe s’est enrichi de l’arrivée d’autres amateurs de musique dont Soudani Nanor, Lamine Abboune et autres.
Pourquoi l’appellation « fils du soleil » ?
C’était fortuit pour ne pas vous mentir. Puis on s’est rendu compte plus tard, et à travers les remarques de nos fans que l’appellation rimait énormément avec l’origine du nom de notre ville. Tissemsil, et non pas Tissemsilt, et qui signifie en berbère «coucher du soleil». Et ça tombait bien. Donc, effectivement, on était les fils de Tissemsilt, ville du coucher de soleil. Et qui dit soleil dit lumière, chaleur, clarté, vie… Notre objectif premier était donc de ramener un peu de chaleur et de lumière artistiques à notre ville qui en manquait terriblement à cette époque.
Quels genres de musique jouiez-vous?
Avant, on jouait un peu de tout, de la musique algérienne : chaâbi, oranais, raï et surtout de l’oriental, on animait des soirées dans toutes les communes de la ville sous la casquette des scouts et de la section jeunesse de l’époque mais on sentait que le groupe avait du plomb dans les ailes car on n’était pas suffisamment épaulé.
Et la première vraie aide qui nous est venue, c’était celle de Si Abdelkader Baroud qui nous a remis une grande somme d’argent à l’époque en guise de récompense, somme qui nous a permis d’acheter des instruments de musique modernes : des guitares électriques, un amplificateur, une batterie (ensemble d’instruments de percussion) et un orgue. D’où, la raison pour laquelle la première soirée du 4 juillet 1973 dont je vous ai parlé, a été organisée dans son café-hôtel et c’était exclusivement une soirée occidentale. On n’oubliera jamais le geste coup de pouce du défunt Abdelkader Baroud Allah yerhmou (paix à son âme). Il nous a vraiment mis les pieds dans l’étrier.
De là on s’est spécialisé dans la musique occidentale en général et en particulier celle des Beatles. On reprenait tous les grands succès de ce groupe mythique de pop et de rock’n’roll, originaire de Liverpool, en Angleterre ainsi que d’autres groupes qui étaient connus les années 60/70.
On avait senti qu’il y avait une certaine éclipse des activités du groupe, vers la fin des années 1970. Eclipse qui a fini par être définitive ! Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, l’éclipse c’était au niveau de la ville de Tissemsilt même si d’autres éléments à l’image de Soudani, Abboune et autres ont essayé de combler le vide d’une manière impeccable, et c’était incontournable dans la mesure où Abdelaoui Taher et moi avions décroché notre bac et on s’est inscrit respectivement à l’université de Kouba et à celle de Ben Aknoun. Pour Ouatik, il a été appelé sous les drapeaux pour accomplir son service national et on s’est retrouvé tous par chance à Alger. Même Cherchali y a trouvé un travail au niveau de la banque extérieure d’Algérie (BEA) d’Alger. On s’est retrouvé tous les 4 à la cité universitaire de Kouba et de Ben Aknoun et on a repris nos activités musicales. On s’est imposé au point où de devenir le seul groupe musical à animer toutes les soirées musicales organisées par les œuvres universitaires. On avait beaucoup de succès dans le milieu universitaire. Une fois les études universitaires terminées, je suis revenu à Tissemsilt et j’ai intégré l’enseignement au même titre que mon ami Ouatik après que ce dernier a terminé son service national. Cherchali a démissionné car il n’avait pas où loger une fois que j’ai quitté la cité universitaire où je l’hébergeais. Une fois le retour au bercail, on a continué à animer certaines soirées de mariages ou de fêtes occasionnelles jusqu’à la dislocation du groupe si je peux dire. Voilà grosso modo les causes réelles de notre éclipse temporaire puis définitive. L’âge aussi y est pour beaucoup dans notre retrait de la scène artistique de Tissemsilt.
Pourquoi vous n’avez pas formé une relève parmi les jeunes amateurs de musique de la ville ?
Si ! Il y a eu une relève constituée de jeunes très talentueux et qui ont essayé de reprendre le flambeau et qui ont fait du bon travail.
Je voulais simplement bien préciser, pour écarter tout amalgame et toute susceptibilité, que le groupe n’était pas une propriété personnelle. C’est comme une équipe de football, notre Widad, à titre d’exemple, il y a eu les anciens joueurs puis, au fil du temps, l’effectif s’est enrichi puis s’est rajeuni et ainsi de suite. Donc, c’est le même cas pour notre groupe. Pour ceux qui ont repris le flambeau, je les appellerais plutôt «Les petits-fils du soleil» : Mustapha Soudani et ses frères, les Soudani cousins, Mourad mon frère, Tahar Hamdi, Bencherki, Dendane, Khaled Kortali, Nadji et autres…
Le groupe «Les fils du soleil» des années seventies restera en tous cas un groupe atypique qui a marqué l’histoire artistique de la ville de Tissemsilt. Une vraie légende que l’on évoquera à jamais !
R. S.