L'Algérie de plus près

Qui se souvient des guillotinés d’El Asnam ?

Le 18 juin de chaque année, la France se remémore le discours du général De Gaulle. En Algérie, et curieusement le même jour de chaque année, nous remémorons la mort du premier guillotiné de la glorieuse révolution. Ahmed Zabana en l’occurrence. De Gaulle a écrit un discours pour la France à partir de Londres. Ahmed Zabana a écrit une lettre à ses parents à partir de… la prison. Le premier a fui à Londres pour combattre les Nazis. Zabana a préféré se battre sur le terrain. Les moyens ne sont pas les mêmes. L’un disposait de l’émetteur de la puissante BBC et de la protection de la Grande Bretagne de Churchill.  L’autre n’avait qu’une petite arme de poing et toute l’armada politico-militaire de la France et la logistique de l’OTAN contre lui. L’un visait le pouvoir après la libération de son pays par les alliés, l’autre voulait libérer son pays au péril de sa vie. L’un fut président de son pays. L’autre fut guillotiné par l’armée de ce président. Le premier est soit adulé mais le plus souvent contesté dans son pays l’autre adulé en Algérie. Mieux, ses compagnons ne fêtaient pas le 18 juin, jour de la mort d’Ahmed Zabana, non ils jeunaient ce jour-là en souvenir de leur compagnon d’armes. Le premier reste contesté même sur les plateaux de télévision dans son propre pays. L’Algérie et tout son peuple ont décidé de fêter chaque année pour se rappeler et rappeler aux générations montantes le sacrifice suprême d’Ahmed Zabana. Le premier est critiqué chez lui. Ahmed Zabana est chanté en Algérie.

Ahmed Zabana est le premier guillotiné, mais la faucheuse ne s’est malheureusement pas arrêtée là. Elle a continué à moissonner à travers toute l’Algérie. Ahmed Zabana est devenu le symbole du martyr pour la patrie. La France de De Gaulle a continué à tuer, croyant qu’elle allait faire peur au peuple algérien en guillotinant ses enfants. La mort, il n’y en a qu’une seule. Qu’elle soit la bienvenue, disaient les chouhada. La France a continué à assassiner les combattants de la liberté à coups de mitraillettes, à coups de canons, à coups de bombardements de l’aviation, à coups de mines antipersonnel. La France sous De Gaulle a continué à brûler au napalm les forêts, les douars sans faire attention ni aux femmes, ni aux enfants, ni aux vieillards, ni aux animaux. La France a mis les algériens dans une vaste prison aussi grande que leur pays, limité au nord par la mer, à l’est et à l’ouest par les lignes Challe et Maurice. Ce n’était pas suffisant pour briser la volonté de ce vaillant peuple, la France a alors usé de la bombe atomique comme les USA contre le Japon. C’est la France des droits de l’Homme. Mais de quel Homme parle-t-on ? Nous n’avons ni la même langue ni les mêmes concepts. Même lors des négociations d’Evian, nous n’avions pas les mêmes visions.

Comme la guillotine a fauché un peu partout en Algérie, nous avons voulu,  à cette occasion, faire une halte à Chlef pour revisiter ces chouhada d’un autre genre. Pour cela, nous nous sommes adressés à l’un des grands défenseurs de la famille révolutionnaire, en l’occurrence El Haj Abdelkader Klouche. Ce dernier a refusé de nous parler dans son bureau. Il nous a demandé de le suivre. Nous avons pris la rue des Martyrs, n’en déplaise à ceux qui continuent en 2020 de l’appeler rue d’Isly sans en lire l’histoire ou celle de ceux que nous allons vous présenter.

Arrivés au niveau de la vieille mosquée, il fallait tourner à gauche. En face de ladite mosquée, se trouve un petit jardin. Jadis fleuri. Aujourd’hui, il est délaissé. On a même voulu l’accaparer à des fins personnelles. Ce n’est pas notre sujet ce jour-ci. A l’intérieur dudit jardin se trouve une stèle de chouhada. Non, vous n’y êtes pas du tout. Cette stèle est dédiée aux guillotinés de Chlef avec noms prénoms, date de jugement er date d’exécution par la guillotine. Une stèle pour la mémoire.

El haj Abdelkader Klouche commence à nous lire les noms un par un. Il nous dira untel est de tel douar ou de telle ville. Celui-là, son nom est écorché, il faut le réhabiliter. Là où nous ne pouvions plus supporter les supplices, c’est quand Maitre Klouche insiste sur la description de ce genre de prisonnier qui attend la mort à chaque instant. Il n’est pas informé de la date de son exécution. C’est l’attente qui le tue à petit feu. Le condamné à mort ne peut pas dormir, ni de jour ni de nuit. A l’extinction des feux dans les prisons, l’attente commence. Chaque minute est un mois, chaque seconde est un jour d’attente. Ces combattants de la liberté n’ont pas peur de la mort, c’est l’attente latente qui les tue.

Sur cette partie, nous laissons Maitre Klouche parler directement : «Je commencerai donc par le premier cité sur la plaque. Sahli Maamar. Pour ceux qui vibraient au stade de hay el Houria avec l’ASO Chlef sans savoir de qui il s’agit, aujourd’hui, ils vont être servis. Maamar Sahli est né le 21 mai 1924. Il a été condamné le 3 mai 1957. Il est resté dans l’attente de son exécution six mois, six longs mois, jour pour jour. Il n’avait que 32 ans, messieurs ! Le suivant sur la liste n’est autre qu’Abdelkader Mekaoui. Il est né le 27 mai 1930. Il a été condamné le même jour que Maamar Sahli, c’est-à-dire le 27 mai 1957. Il a été guillotiné un jour seulement après Maamar. Il n’avait que 27 ans.  Attention, celui là, il ne faut pas se tromper sur son nom. Il s’agit de Gabour Moulay Tayeb. Il est né le 26 décembre 1935. Il a été condamné à peu près un mois après Maamar Sahli et Abdelkader Mekaoui, soit le 10 juillet 1957. Lui a attendu plus de six mois avant d’être guillotiné le 25 janvier 1958. Vous voyez que les français démarrent bien la nouvelle année après les fêtes de Noël et du nouvel an. Moulay Tayeb Gabour n’avait que 23 ans quand il est mort guillotiné pour que vive l’Algérie libre et indépendante. Allez voir les jeunes de 23 ans maintenant ! Enfin, nous retrouvons Ziane Delfi Abdelkader. Lui est né le 10 mai 1936. C’est le plus jeune du groupe. Lui aussi fut guillotiné à l’âge de 23 ans à peine. Je ne peux pas omettre le travail acharné réalisé par le moudjahid Ayad, lui aussi condamné à mort, mais dieu lui a prêté vie et santé. Il a tout fait pour l’installation de cette stèle à cet endroit. Maintenant, le jardin des chouhada est délaissé. Personne ne vient lire cette plaque pour dire une «Fatiha» du saint Coran à la mémoire de ceux qui sont morts pour que nous soyons fiers d’être algérien. A propos de lecture, Valery Larbau a dit : «Ce vice impuni, la lecture».

Nous détournons les yeux et le sujet de la discussion car Maitre Klouche a feint de réajuster son masque anti coronavirus mais, en réalité, il a essuyé une larme qui s’est échappée de ses yeux fatigués et séchés.

Les jeunes d’aujourd’hui avec la paix, l’indépendance et tous les plaisirs qui vont avec n’arrivent pas à résister au confinement du coronavirus dans leurs intérêts alors que ces jeunes chouhada ont bravé le froid, la chaleur, la faim, la soif, les poursuites, les feux ennemis et la torture. Nous invitons nos jeunes à visiter ce square individuellement ou en groupe. Essayez de vous poser la question pourquoi ils ont donné leurs vies à cet âge ? Pourquoi vous vivez dans l’opulence alors que c’est eux qui ont combattu l’ennemi, «l’asserviteur» du peuple, ils n’ont pas voulu que notre génération et la vôtre gardent les cochons et nettoient les porcheries.

J’ose poser la question qui fâche. Etes-vous capables d’en faire autant pour votre peuple, pour votre pays ? Si la réponse est un oui convainquant, alors, vous méritez votre carte nationale d’identité. Vous méritez d’embrasser le drapeau algérien qui n’est pas n’importe quel chiffon car, à lui seul, il a toute une histoire qui ferait pâlir d’envie et de jalousie bien des emblèmes à travers le monde.

Khaled Ali Elouahed

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