L'Algérie de plus près

Les sautes d’humeur de Da Ferhat de Vialar

Par Rabah Saadoun

Comme chaque Ramadhan, Da Ferhat se métamorphose complètement. Irascible et grincheux de nature, il devient tout simplement insupportable, que ce soit chez lui ou en ville, avec toute personne que le destin met sur sa route.
On raconte beaucoup d’anecdotes sur lui durant ce mois sacré. Le premier jour d’un mois de Ramadhan, en sortant de chez lui, il vit le cadavre d’une grosse grenouille jeté au bord de la route, percuté sans aucun doute la veille par une voiture. Il s’exclama : «Oh ! Mon Dieu, protège-nous de ce mauvais présage» et il continua son chemin en se disant in petto : «Allah yahfadh w yestour (que Dieu nous protège), il a commencé cette année par les grenouilles».  (En parlant du mois sacré)
Grand fumeur, Da Ferhat veille tard et ne se lève que l’après-midi. Sous son drap, bandeau sur sa tête et son réveil juste à côté, il passe tout son temps à le scruter et changer de position. Un jour, il fut réveillé par un puissant cocorico de son coq. Enervé, il demanda à ce qu’on l’égorge illico-presto et à ce qu’on le jette dans la marmite de la «h’rira» du jour. Cela me rappelle un fait divers insolite à travers lequel la justice allemande avait interdit à un coq de chanter hors des strictes «plages horaires». En effet, le tribunal d’une ville germanique avait été saisi du cas de ce volatile qui troublait le sommeil des voisins par ses cocoricos intempestifs. Pour eux, ça constituait une nuisance sonore insupportable. Pauvre coq de Da Ferhat qui n’a fait qu’obéir à son instinct et qui a été exécuté sans jugement !
Ses belles-filles, pour rigoler et titiller ses nerfs, se mettent près de lui et font semblant de discuter le plus normalement du monde en montant un scénario. L’une d’elles s’adresse à l’autre et lui demande d’entamer la préparation des galettes pour le «f’tour» et l’autre de lui répondre : «Il est encore tôt, il n’est que 10 heures». En les entendant, Da Ferhat se leva brusquement et les bombarda d’injures : «Foutez-moi la paix, maudit soit Satan, allez bavardez ailleurs…» Pauvre Da Ferhat, il pensait qu’il était 16 heures passées et voilà qu’elles viennent lui annoncer qu’il n’est que 10 heures !
Un jour, au marché de la ville de Tissemsilt, une vieille connaissance lui faisait les éloges de son «f’tour» de la veille. Da Ferhat se laissa emporter par la description gastronomique de son ami et s’imagina devant une table bien garnie. Il commença par décrire la «h’rira» et lui dit : «L’odeur de la h’rira ! Oh là là ! Formidable ! Tu ne peux pas imaginer ! Une bonne h’rira bien épicée qui vous offre une explosion de saveurs en bouche… Miam-miam ! Surtout lorsqu’on lui ajoute quelques gouttes de jus citron…»
«Je n’aime pas le citron. Mets-en dans ton bol c’est tout». A ces mots, l’ami ne pouvait retenir ses éclats de rire. Se rendant compte de sa gaffe, il lui donna un coup de canne qui le fit déguerpir en riant. «Maudit soit ton père et ta soupe, va-t-en !», lui dit-il.
Taous, sa pauvre femme, souffre chaque Ramadhan de ses sautes d’humeur et se souviendra elle aussi longtemps de cette journée où il lui apporta, à quelques heures seulement du f’tour, la tête d’un mouton et lui demanda de la lui préparer pour le f’tour. Etonnée, elle lui dit : «Mais ce n’est pas possible, avec tout ce que je t’ai préparé, voilà que tu rajoutes ce truc-là ! Qui va le manger ?» «Mêle-toi de tes affaires. Tu me le prépares pour le f’tour et tu te tais !», répliqua-t-il.
Connaissant bien le caractère de son mari durant ce mois sacré, Taous commit l’erreur de sa vie en négligeant sa demande, pensant qu’il allait oublier son «bouzelouf» une fois rassasié avec ce qu’elle lui avait déjà concocté. Le muezzin n’avait pas encore terminé son appel à la prière quand Da Ferhat fut pris d’une violente colère en sachant que sa tête de mouton n’était pas prête. Il renversa la meïda d’un coup de pied et lui jeta tout ce qui se trouvait à sa portée. Il allait la répudier n’était l’intervention de quelques sages de la famille qui finirent par les réconcilier.
Les membres de la famille de Da Ferhat ne sont pas près aussi d’oublier ce premier jour de Ramadhan où, agacé de voir Taous traîner en posant les couverts et voulant l’aider à mettre la table, il se dirigea vers la cuisine en marmonnant, saisit la soupière et fonça droit à la salle à manger. Soudain, on entendit brusquement un grand splash !!!! Suivi d’un cri de douleur… «Oh mon Dieu ! Que s’est-il passé ?», crièrent-ils à l’unisson.
Da Ferhat venait de trébucher, la soupière à la main. Comment cela s’est-il produit ? La faute à la multitude de tongs et de chaussures que les frères et sœurs ont laissé traîner sur son chemin ! En se précipitant pour voir ce qui s’était passé, ils découvrirent Da Ferhat pataugeant dans la h’rira ! Fort heureusement, aucune blessure n’était à déplorer et la soupière était intacte. En revanche, en ce qui concerne la soupe… Il ne restait plus qu’à passer la serpillière. Bon Ramadhan à tous et en particulier aux lecteurs du Chélif !

R. S.

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